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Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

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vendredi 23 janvier 2009

TUNIS PARIS (quelques textes choisis)

Gilbert NAHUM-MOATTI

DEPART EN FRANCE : MON TROUSSEAU


Après le PCB, donc, il fallut songer au voyage à Paris, et pour cela constituer mon « trousseau ».
Jusque là je puisais dans le pool commun et en fonction de l’opportunité quotidienne où j’étais ravi « d’emprunter » une chemise, un pull à mon frère, ou à mon père.
Nous commençâmes, ou terminâmes je ne sais plus, par l’achat d’une valise qu’innocemment nous choisîmes grande pour tout contenir ; c’était quasiment une malle avec des renforcements qui tapissaient les différents angles et entouraient le corps pour inspirer confiance. Elle pût ainsi contenir tous mes vêtements sur lesquels je reviendrai, mais aussi un morceau de savon blanc « Le Chat », du « Mzar » , une corde d’alfa à défaire pour mieux nettoyer soit la peau comme un gant de crin, ou mieux laver la vaisselle, recours nature fiable et écologique ; une boite cylindrique et haute initialement consacrée à recevoir de la poudre de lait Guigoz, mais pour l’occasion bourrée de confiture de coings confits et broyés en un bloc solide voué à une conservation indéfinie, quasi infinie, signature d’une compétence et d’un accompagnement de tendresse maternelle nourrissante.
Ce broyat de coings confits devait souvent trouver sa place dans un croûton de pain : chaque bouchée était enrichie d’une gorgée de lait refroidi, dégoulinant d’un berlingot de carton, entreposé sur le rebord de la fenêtre de ma chambre d’étudiant.
La tournée respectueuse d’au revoir auprès des oncles et tantes devait se solder auprès de tonton Choua de conseils exprimés comme à l’accoutumée de manière théâtrale et par un cadeau inattendu : une paire de chaussures neuves, peut-être trop petites pour lui, mais sûrement trop grandes pour moi d’une ou deux pointures. La couleur était d’un orange assez vif, plus compatible avec le soleil méditerranéen qu’avec la grisaille parisienne. Pour pouvoir être habitables, ces chaussures furent tapissées par une semelle pour amoindrir le jeu de mes pieds dans le volume offert. Ces semelles épaisses étaient d’un vert intense, couleur « chlorophylle ». La transition de l’orange du cuir vers le vert de la semelle interne était tellement provocateur que lorsque les regards dirigés légitimement vers mes pieds en raison d’une démarche peu naturelle, se fixaient sur la couleur inattendue, j’avais la sensation qu’ils découvraient la couleur agressive des semelles internes.
En plus des chaussures, je reçus une paire de boutargue, pour affronter une petite faim en bateau grâce à l’air du large, dans le train entre Marseille et Paris, surprendre agréablement un groupe d’amis à épater au moment opportun, comme lorsqu’on sort un « joker » dans une partie de cartes
Cette belle paire de boutargue, tendre, saumonée était donc d’un orange doux, complémentaire de l’orange vif des chaussures.
Tout ceci trouva naturellement sa place dans la grande valise.
Mon trousseau fut ainsi composé :
- slips, tricots, chaussettes furent achetés au pris de gros aux souks, chez Nataf Fifo, commerçant connu par son sérieux et sa loyauté, inattendus dans u milieu professionnel où l’art du marchandage devait s’exprimer selon un protocole épuisant de propositions d’exaspération feinte, de lassitude, d’interpellation ultime avant l’accord accompagné de jurements exprimés et de jurons retenus. Il était d’autant plus mémorable qu’il était le père de cette gentille jeune fille dont le charme et la timidité souriante m’avaient rendu amoureux fou à l’âge de 14 ans, au point de faire un saut périlleux à la plage pour l’impressionner. Je récoltais une fracture et un plâtre, qui ne l’ont ni impressionnée ni attendrie….
Je me souviens que pour récolter un sourire, j’avais trouvé un stratagème. Je connaissais par sa cousine, son emploi du temps ; je me postais sur le chemin de sa maison à l’école, pour que la rencontre fortuite soit crédible. Pour que l’attente paraisse encore plus naturelle, je me faisais cirer les chaussures auprès d’un cireur, placé à un point stratégique de son parcours.
Lorsque je l’apercevais, j’interrompais le travail du cireur interloqué de me laisser partir avec des chaussures l’une brillante, l’autre terreuse et je feignais la rencontre fortuite pour quelques balbutiements banaux et un au revoir furtif pour ne pas paraître envahissant pour une jeune fille sérieuse et timide.
-un pull de laine épaisse, torsadée vert intense à col montant, chaud et piquant devait me protéger du froid hivernal. Il fut tricoté moyennant finance par Madame Warton, une voisine sicilienne chez qui régnait en permanence une odeur de rougets frits ;
- un autre marron à fin motif à col moins montant que le vert, devant permettre d’économiser le port de chemise
- Les chemises : au-delà d’une chemise en flanelle vert bouteille à carreaux foncés fondus, je pris le pari du modernisme : affronter Paris avec deux chemises en nylon qui devaient se succéder chaque jour ; celle qui était enlevée était lavée rapidement et séchait facilement pour être portée sans repassage, atout précieux d’économie. Elles furent commandées chez une relation de mon cousin Amédée, qui probablement marqué par une croissance dans le besoin et le calcul, s’arrangea pour prendre une commission sur mon dos.
Le chemisier démarrait son entreprise « Opio » et trouva un local au fond d’un couloir d’immeuble dans une grande pièce, au fond de l’avenue de Londres, juste avant le Soleil levant et la rue du Voile. Je fis mon choix guidé par le professionnel sur un bleu mi ciel bleu, mi ciel gris, puis la seconde chemise était d’une couleur complexe d’un mélange de vert terni-gris pâle et peut-être une nuance de bleu. Ces deux couleurs complexes étaient définies et appréciées comme celles du classicisme, dignes de la métropole avec des références méditerranéennes.
- une cravate rouge foncée fut définie comme la cravate des examens, symbole de sérieux, de considération et d’un peu de superstition protectrice
Pour le reste, l’essentiel, je me présentais dans une grande boutique de confection pour hommes, ADAM , bien entendu, tenue par un copain de mon père, un Monsieur MAROUANI. La formule magique de présentation fut « je suis le fils de Maurice Nahum » Grâce à ce mot de passe je fus accueilli à bras ouverts avec un grand sourire avec la garantie que je pouvais emporter tout le magasin sans souci.
Dans un monde de relation et d’amitié, de confiance et d’estime, tout était simple dès que j’annonçais ma filiation. Je pense qu’après mon père devait s’arranger pour honorer ses dettes. Je me sentais très riche et protégé pat cette notoriété et la sympathie que favorisait la personnalité de mon père.
Les conseils de Monsieur MAROUANI furent judicieux :
- un pantalon de velours marron , facile à porter, de style étudiant,
- un pantalon de flanelle gris anthracite chaud et sérieux,
- une veste en suédine marron, un peu légère qui avait l’allure du « daim » à col et manches raglan, et enfin
- un duffle- coat superbe gris anthracite avec capuche, doublé écossais, plus adapté à ma vie parisienne que la classique gabardine avec ceinture qui faisait trop bourgeois.
Même si aujourd’hui ce trousseau paraît d’allure minimale, j’avais l’impression de partir avec un arsenal vestimentaire inespéré et énorme qui représentait un effort initial et un sacrifice financier important pour mes parents.
Je ne me doutais pas que nos goûts de provinciaux d’outre mer allaient s’entrechoquer avec nos découvertes parisiennes.Ainsi lors de nos premiers pas à la place de Notre Dame, à la découverte de Paris, mes chaussures orange et le pantalon estival bleu canard en MaKo ( coton léger) d’Yvan Koskas, allaient attirer les regards de ceux qui nous interpellaient par leur facilité à affronter la grisaille pluvieuse banalisée en couvrant de plastiques imperméables trasparents des vêtements d’été de couleurs sans éclats.


LES ETUDES EN FRANCE, PREMIER VOYAGE,
PREMIERE TRAVERSEE .

Nos découvertes parisiennes :
Fort de l’expérience des anciens, j’achetais ma place de bateau en 4ème classe , la moins chère, louais à l’avance une chaise longue qui serait mon refuge pendant toute la traversée soit sur le pont en cas de beau temps, soit dans la cale à l’un des nombreux niveaux où les voyageurs se répartissaient comme ils le pouvaient, en un troupeau disparate mais résigné.
J’achetais aussi à l’avance le billet de car qui faisait la navette entre le port et la gare Saint Charles pour me permettre de prendre le train de nuit pour Paris, à une place réservée en seconde classe.Je quittais Tunis, le 28 septembre 1955, deux jours après Yom Kippour, ce qui explique que la moitié de la cale était occupée par des juifs des communautés juives du sud tunisien qui quittaient des conditions de vie archaïques pour des centres d’hébergement dans la région de Marseille avant un autre exodus pour Israêl.C’était « la ville de Marseille » qui nous attendait au port, massif et solennel, crachant pour s’échauffer quelques volutes de fumée âcre, libérant parfois une sirène grave qui semblait rameuter les retardataires. Nous arrivâmes en voiture à chevaux, hélée pendant que dans un bruit de grelots elle était conduite paisiblement par le cocher maltais. Nous nous installâmes comme nous pûmes autour de la valise qui prenait presque toute la place, dans une atmosphère mêlant le silence, la gravité, l’émotion entrecoupés de recommandations tant sur le degré de cuisson de l’omelette en train de refroidir dans un demi pain italien pour honorer mon repas du soir, que sur la prudence à manifester en priorité pour les évènements à venir, toujours sous la protection de Rabbi Mayer, baal ness évoqué contre tout imprévu ou adversité, surtout lors des périodes d’examens pendant lesquels la veilleuse maison faite de coton puisant dans l’huile l’origine de sa flamme vacillait solennellement.A l’arrivée au port, le contrôle de la douane permit de vérifier que le savon « le chat », la confiture de coings, le « mzar » et le reste étaient toujours là pour faire mériter largement au porteur le prix du transport jusqu’à la cale. A bord, l’odeur âcre et nauséabonde de la cale poussait à retrouver le pont, les copains dont certains déjà initiés nous servaient de référents pour nous agglutiner au bastingage à portée de voix de nos parents.
Nous continuâmes le dialogue intermittent de signes de la main jusqu’à ce que le monstre marin quitte son immobilité sous la traction du remorqueur pour s’engager dans le canal qui devait le mener vers le large, la conscience de la liberté et de la solitude
Au moment où la sirène signifia puissamment le moment du vrai départ où l’éloignement du quai marquait la séparation, mon père jusque là sérieux et silencieux sortit de son émotion contenue pour tirer vers le bas sa paupière inférieure par l’appui de la pulpe de son index pour agrandir son œil, symbole de vigilance et de prudence.
Je redescendis dans la cale, le cœur gros, chercher le réconfort dans le groupe d’étudiants chacun à sa chaise longue à côté de sa valise pour la traversée la plus effroyable, la plus mémorable parce qu’elle permit des situations cocasses (rétrospectivement )
Mes parents n’avaient pas de voiture. Je savais que les mains, les mouchoirs agités par ceux qui accompagnaient le navire en voiture, et restaient à sa hauteur en prenant la route qui longeait le canal, ne pouvaient me concerner ce qui nous surprit tous c’est que dès que nous dépassâmes la jetée qui prolongeait encore un peu l’avant port de « la Goulette », hier encore lieu de baignades et de plongeons perturbateurs pour les pêcheurs alignés et concentrés pour des prises parfois magnifiques qui attiraient dans un attroupement spontané, félicitations et conseils. Nous ressentîmes un changement immédiat de l’amplitude des mouvements du bateau. Nous avions pensé que le meilleur moyen de nous occuper était de sortir nos provisions pour le dîner. Je sortis donc ma rituelle omelette froide faite avec des pommes de terre des oignons, du persil calée dans un grand morceau de pain tapissé d’un peu d’Arissa sur la mie réceptive à ce parfum supplémentaire qui s’harmonisait idéalement au goût de l’omelette.
A côté, un peu plus loin, pour sauvegarder un rituel archaïque et quotidien les femmes djerbiennes des familles d’immigrants commencèrent à attiser les flammes d’un canoun dont la présence paraissait aussi précieuse que leur passeport pour la préparation d’une soupe de pâtes fluide, colorée,épicée. Le protocole paisible ne put cohabiter avec l’amplitude des différents mouvements du bateau : nous pûmes différencier le tangage du roulis, parfois du mélange des deux dans un crescendo inquiétant, ceci dans un vacarme fait de claquements de bruit de chaînes, et d’intermittentes sirènes d’une sonorité grave, prolongées angoissantes,. Cette atmosphère ne me permettait pas une déglutition paisible. J’interrogeais mes deux voisins, vétérans ( ils étaient en 2ème année de médecine) sur leur impression et la conduite à tenir.Mi inquiets et surpris eux-mêmes, ils voulurent se montrer rassurants en m’expliquant que tout se passerait bien si je pouvais adapter ma respiration aux mouvements du bateau. Rassuré par ce conseil exprimé par Max Ganem de sa voix forte et convaincante et par coco Zuili d’un regard approbateur d’un demi sourire je me mis à inspirer longuement chaque fois que le bateau semblait s’élever pour accompagner la descente qui devait suivre par une expiration adaptée à ce rythme.Mais malgré mes habitudes sportives et mon entraînement à l’effort, mon inspiration même forcée ne pouvait accompagner l’amplitude d’élévation de la proue. Je perdis confiance quand je vis mes deux aînés restituer leur repas sur le plancher avoisinant, s’affaler dans la détresse, et recourir aux frictions d’eau de Cologne Jean Marie Farina
Je fis de même, vexé dans ma certitude d’avoir avec la mer une relation fusionnelle naturelle.Ce fut le début d’un cauchemar qui débutait déjà alors que nous étions tout proches des côtes tunisiennes. Nous étions terrifiés d’affronter en fin de voyage le golfe du Lion légendaire par le tumulte rituel.En attendant, chaque minute paraissait durer une heure. Nous étions condamnés à la prostration, l’épuisement, le désarroi aggravé par la fermentation pénétrante des résidus projetés par des estomacs impuissants à garder leurs contenus, réunis en flaques ocres sur lesquels nos chaises longues glissaient en fonction de l’humeur du bateau, jouet presque passif des caprices de la colère des flots déchaînés.
Il est plus compréhensible dans cette atmosphère infernale et destabilisatrice, qu’au milieu des cris, des prières chuchotées ou exprimées, certaines voix s’élevaient pour que la collectivité les perçoive. Ainsi, une femme du groupe des immigrants juifs djerbiens, en litanie de pleureuse, suppléant en judéo-arabe : « ouakfou el babour, draj nabote out kemlou « ( arrêtez e bateau, juste cinq minutes, je descends et vous continuez ! )
La supplique était continuelle, parfois suivie d’une courte pause et comme son message ne semblait pas avoir été entendu, elle revenait à la charge en élevant son niveau d’exigence puisqu’elle interpellait en français « Monsieur le commandant « suivait ensuite la supplique habituelle d’arrêter le bateau, en judéo-arabe.A deux pas de nous,un des deux hommes, italiens, quitta sa chaise longue et prit ses deux valises ; son ami intrigué, lui demande en sicilien « ma dove vai ? où vas-tu ? L’autre raidit dans son état second, lui répondit « basta, je descends, je rentre à la maison ! » avant de se laisser tomber de la chaise longue.
A nos côtés, des militaires de l’armée de l’air se lamentaient d’utiliser la voie maritime alors que l’avion leur aurait épargné cette mésaventure
Ces quelques souvenirs donnent une idée de ce voyage qui dura sept heures de plus que l’horaire prévu.
J’eus juste le temps, hagard et vacillant, sous le poids de ma valise, impossible à porter autrement que sur l’épaule, de trouver en zigzagant la gare Saint Charles, et le train de nuit, pour une nuit blanche où malgré l’épuisement j’avais un peu d’énergie pour découvrir la France , ses toits de tuiles, d’apercevoir les pancartes des gares traversées, de réaliser que je concrétisais assez douloureusement le rêve originel. J’arrivais ainsi un vendredi matin, accueilli par le visage souriant affectueusement et protecteur de Marcel HAYAT qui m’hébergea chez lui à la Cité-Universitaire, au pavillon de Tunisie, et le soir me fit dîner en fraude toujours, au restaurant universitaire : au menu : une sinistre omelette, froide si différente du parfum du shabbat familial….

Madame Giaoui
La maman de Max Giaoui et de son frère Pierrot régnait en grande prêtresse de ces plaisirs et avait un large horizon de convivialité souriante, attraction pour nous, ses relations régulièrement accourues pour une partie de rami qu’elle menait en mâchonnant le bout de son fume cigarette au bout duquel un bout de cigarette rougeoyant lâchait quelques volutes de légère fumée qui lui faisaient plisser les yeux pour donner du sérieux à l’atmosphère de tripot éphémère.Un jour, l’histoire mérite d’être contée, l’éducation qu’elle donna à son fils, leur conception importante du plaisir des bonnes choses de la tables furent à l’origine d’une vexation de ses partenaires invités au rami habituel et une humiliation pour elle, heureusement de courte durée.
C’était un vendredi après midi, la partie de rami se terminait, la maison était pleine du parfum répandu de la préparation terminée du shabbat, dans un mélange subtil de la présence toute nuancée de la graine du couscous cuite à la vapeur plus d’une fois, pour être aussi légère et aérienne que son parfum.
S’y associait l’émanation du bouillon de viande et légumes, délicate et puissante en même temps. Les salades et leurs épices venaient parfaire cette petite symphonie, qui était annonciatrice du grand régal où le parfum serait complété par la fête des papilles.Dans cette atmosphère sereine et confiante, voilà qu’en hôtesse accomplie, Madame Giaoui propose à ses partenaires, avant qu’ils ne quittent la table de rami, un apéritif « symbolique » et traditionnel : une petite bouteille de huitième de Boukha Bokobza qui, une fois vidée dans chaque verre pour quelques gorgées, s’alignera en position horizontale dans l’attente de l’inéluctable seconde bouteille pour constituer une paire de mignonnettes ravies du devoir accompli. Quelques olives vertes, charnues, cassées pour mieux et plus vite apprécier leur jus, quelques pistaches dont le sel et le craquant sont un régal qui invite à la récidive, quelques lamelles de boutargues avec ou sans une larme de citron sont une élévation dans le plaisir, engendrant les babillements reconnaissants les émerveillements sur la découverte du raffinement.
Flattée par ces commentaires, Madame Giaoui s’esquiva à la cuisine et revint avec une assiette riche de deux boulettes (du repas du soir) l’une au cœur d’artichaut, l’autre aux cardons sommairement fractionnées, imprégnées d’un jus léger de citron ; un croûton de pain italien, dont la mie imprégnée de la sauce des boulettes devait parfaire le plaisir de la dégustation, élever le degré des commentaires admiratifs, l’incrédulité d’une telle réussite, et la demande de la recette. Madame Giaoui touchée par la sincérité de telles louanges, ramena une autre assiette de boulettes aux pommes de terre, aux poivrons, provocatrice d’une répétition du plaisir et de l’installation dans une atmosphère acquise, suspecte de véritable dîner et du dépassement du protocole de la simple dégustation .Max et Pierrot, respectueux du principe de l’apéritif symbolique, furent inquiétés par le manège de leur mère, ses allées et venues qui semblaient dévaster la réserve des boulettes, l’installation déterminée des joueurs devenus convives à les spolier calmement de leur futur plaisir. Quand, avec une part d’hypocrisie qui était en même temps une invitation à la négation polie, un convive déclara qu’il fallait envisager dans un avenir proche d’arrêter le festin « pour ne pas priver la famille d’une part essentielle de son repas »
Madame Giaoui déclara aussitôt en hôtesse charmée et sincère « mais non, mais non, ne vous en faites pas, la marmite est pleine » ;
En écoutant leur mère, Max et Pierrot bondirent dans la salle du festin pour déclarer de manière véhémente « maman, maman, il n’y a plus rien dans la marmite !«
Ce cri du cœur jeta un froid immédiat qui mit un point final à la présence des convives qu s’esquivèrent pour retrouver leur probable médiocrité. Madame Giaoui confuse, fit par principe les gros yeux à ses enfants et débarrassa la table des reliefs de ce qui pouvait être considéré comme une répétition de la grande fête du repas de chabbat.


Le Dr CORCOS( 4 )
Le Docteur André CORCOS, à l’hôpital, s’occupait d’un pavillon où il y avait beaucoup de malades atteints du tétanos, maladie grave caractérisée par des contractures musculaires qui pouvaient être mortelles quand elle concernait les muscles respiratoires. Il avait remarqué que certains malades mourraient brutalement dans la nuit alors qu’ils paraissaient tirés d’affaire. Il en fut intrigué et sa réflexion le mena à la solution.Il interdit les gargoulettes, élégants récipients de terre argileuse, qui maintenaient fraîche l’eau de boisson, dans les chambres des malades, et ... il n’y eut plus de morts inattendues.En essayant de calmer leur soif, les malades plus autonomes buvaient à la gargoulette et faisaient souvent, au cours de la déglutition, de fausses routes du liquide qui inondaient leurs bronches pour une issue fatale et immédiate.Voilà un exemple brillant du fruit de l’attention et de la réflexion.Un jour de garde j’accueillis sept croups diphtériques dans la même journée, complication mortelle d’une maladie infantile gravissime. Cette maladie hautement contagieuse avait atteint des enfants des quartiers pauvres dont le quartier juif de la Hara. Cet exemple est marquant parce que la plupart des grands patrons parisiens n’avaient pas vu de diphtérie depuis une trentaine d’années, et témoigne de la densité des pathologies révélées en Tunisie.
Enfin, à travers cet exemple, je me suis empressé d’accepter d’assurer des consultations dans un dispensaire de OSE (œuvre de secours aux enfants) au cœur du quartier juif. Je me sentais très proche de cette population pauvre, mais active, vivace, chaleureuse, en lutte quotidienne pour une survie du lendemain.
Je me souviens, dans un espoir dérisoire, avoir vu des gens proposer dans la rue, à la vente, une ampoule de calcium qui avait la vertu d’un fortifiant fondamental.Je me suis investi avec toute mon énergie auprès de cette population attachante quémandeuse d’aide avec dignité et gravité.
Mon intégration dans l’équipe médicale favorisa sans doute la proposition qu me fut faite d’assurer un remplacement de trois mois et demi en temps que médecin de l’OSE, dans le sud de la Tunisie avec résidence à Djerba.

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