Bienvenue

Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

Dans la rubrique "SOMMAIRE" vous ne trouverez que les premiers articles publiés c'est à dire jusqu'à fevrier 2009. Les autres sont classés sous la rubrique "ARCHIVES DU BLOG".

La meilleures façon de trouver un article est d'écrire le nom de l'auteur dans la barre de recherche située en haut à gauche et indiquée par le dessin d'une loupe. Puis de cliquer sur la touche " ENTREE" du clavier. Tous les textes écrits par cet auteur apparaîtront.

mercredi 17 juin 2009

LE DESSIN DE VACANCES DU LYCEE CARNOT DE TUNIS

Par le Dr Charles PEREZ


J’ai gardé un souvenir indéfectible de ma tendre enfance, lorsque ma mère, tous les après-midi de sabbat (samedi) allait rendre visite à son oncle qui habitait avec son fils Moumou, sa brue Maïra et sa très mignonne petite- fille, un vaste appartement à Tunis, près de la grande Place des Potiers, à la lisière de la partie arabe (Bab Souika) de la ville.
Je pouvais avec mon frère Albert et la petite cousine, à peu près tous du même âge, jouer à « cache-cache », ou « à qui attrape l’autre », sans que nos parents si occupés à tchatcher ne nous interdisent de courir ou de crier à haute voix.
Il y avait toujours beaucoup de monde dans une des grandes pièce, et la gravité de leur silence ou de leurs conversations à voix basse étaient souvent troublées par nos jeux qui consistaient à s’approcher d’un divan toujours parsemé de grands livres ouverts ou fermés et au milieu desquels se trouvait notre grand oncle( Aziz khali) vêtu à l’arabe et qui parlait avec beaucoup de douceur avec les nombreux hommes présents, habillés aussi à l’arabe, ou à la mode européenne et la tête toujours couverte d’une chéchia noire ou rouge ou d’un feutre à larges bords.
Nous osions même nous approcher de notre aïeul, lui baiser les mains très rapidement, et lui, non moins rapidement, couvrait de ses doigts nos petites têtes pour nous bénir en hébreu.
Notre âge nous rendait indifférents à la gêne que pouvait entraîner notre manège, car il nous arrivait de le recommencer, à l’insu de notre mère.
Notre Aziz khali qui nous aimait beaucoup, paraissait un être fort important, vu le respect et la considération qui l’entouraient.
Nous sûmes bien plus tard son importance quand nous vîmes un jour sous un ciel bas et une pluie fine, les rues qui entouraient sa demeure, noires de monde, et le silence impressionnant
qui y régnait.
Avec beaucoup de précaution et de gentillesse notre père nous fit part de son décès la veille, et nous dit que les plus hautes personnalités françaises et musulmanes étaient venues rendre un dernier hommage avec la foule de fidèles, au plus grand chef religieux de toute la communauté juive du pays depuis ces dix dernières années.
Depuis ce jour, nous allions moins régulièrement rendre visite à son fils Moumou (futur Président du tribunal rabbinique de Tunisie), on nous laissait moins courir dans la vaste demeure, ni nous attarder à regarder avec curiosité la fameuse légion d’honneur avec son ruban écarlate qui lui avait été épinglée sur sa gandoura (étole) blanche immaculée couvrant ses vêtements à l’arabe, par le Résident général de France Mr Lucien Saint.
Cette décoration était toujours recouverte d’une petite cloche en verre et trônait sur un meuble
près de son divan.
Notre grand oncle était en fait le Grand Rabbin de Tunisie Moché Sitruk, et ses pairs du judaïsme tunisien aimaient l’honorer en ces termes : la lumière d’Israël, la couronne des Rabbinims, le diadème des Dayanims.
Tous les journaux ( le Petit Matin, la Dépêche Tunisienne) avaient publié de longs articles sur lui, sa famille, sa piété, sa vaste culture, sa grande compétence de la Halakha ( Règle religieuse), sa grande sagesse, sur les livres qu’il avait écrits, ses nombreuses ‘’responsa ‘’ aux questions posées par toutes les communautés du Maghreb.
Les quotidiens publièrent aussi sa photographie ( la seule qui existait ).
Ma mère s’empressa de la découper et de la mettre dans un cadre approprié, posé sur sa table de nuit.

Les années passèrent et nous quittâmes mon frère Albert et moi, sur notre demande insistante l’école de l’alliance israélite de la rue Malta Srira pour le Petit Lycée Carnot, et mes sœurs quittèrent l’école italienne, appelée l’Asilo, située rue de Rome pour l’école française Armand Fallières.
Ces écoles nous permirent peu à peu de nous éveiller à la langue française et de nous détacher de notre langue maternelle, le judéo-arabe. ( à laquelle un demi-siècle plus tard, j’avais été amené à m’intéresser pour montrer sa vitalité, la truculence de ses proverbes, et surtout de découvrir à mon tour qu’une grande partie des mots arabes que contenait le judéo-arabe n’était que des mots hébreux , attestés par le dernier dictionnaire franco-hébraïque Larousse (par exemple Mechmech ( abricots), Hanout (boutique), Rass (tête), Mezel ( chance), Kess (verre), Chekine (couteau), Nemala (fourmie), Tabel (épice), Limoun (citron), Foul (Fèves) etc..

Plusieurs autres années passèrent et au Grand Lycée Carnot, un Professeur de dessin Mr Picard avait l’habitude de demander à ses élèves de 3éme de ramener un dessin, une aquarelle, de leurs vacances trimestrielles.
Chacun d’entre nous ramenait le fruit de ses efforts picturaux, une vue du port de Tunis, une plage, un dessin des fortifications qui entouraient à cette époque la ville.
Le jour que j’avais fixé pour ce travail avait été contrarié par une pluie diluvienne inattendue, et je fus malgré moi, enfermé à la maison, à tourner en rond, lorsque le portait que ma mère avait encadré auquel je n’accordais jamais le moindre regard, se rappela à mon bon souvenir.
Et prenant une grande feuille de papier Canson à dessin, je me mis à le reproduire et m’y attardais tant et si bien que je pus une fois achevé, le remettre à notre professeur à la rentrée scolaire, en baragouinant pour dire : c’est un dessin de vieil arabe.
Il le regarda un moment et puis me demanda si c’était bien moi qui l’avait fait.
Oh, oui Monsieur répondis-je, et il déposa tranquillement le carton parmi les œuvres de mes camarades de classe.
D’autres années passèrent encore, et j’eu un jour la curiosité d’entrer au Lycée Carnot, dont la porte d’entrée venait d’être somptuairement rénovée, et mes pas m’amenèrent à sortir de l’école par le couloir menant au bureau du surveillant général Mr Figre, dit Le Tigre avec sa petite moustache noire à la Charlot et à la mèche descendante sur le front à la Hitler
Sur la gauche il y avait une salle d’attente avec des chaises métalliques, et sur les murs quelques dessins sous verre étaient accrochés .
En m’approchant j’eus la plus grande surprise de ma vie, une d’entre elles représentait un vieil homme portant une belle barbe blanche avec un couvre chef enturbanné, et enveloppé d’une majestueuse gandoura immaculée.
Je reconnus tout de suite mon dessin, et me suis souvenu des difficultés énormes que j’avais eu pour dessiner le nez vu de face.
Je suis resté tout tremblant de satisfaction et de reconnaissance envers le professeur de dessin de ma jeunesse, qui j’en suis sûr a du révéler des dons insoupçonnés parmi les chérubins fréquentant le Lycée Carnot.
En ce qui me concerne, mes copains de classe ou plus tard d’université me reconnaissaient certaines qualités de… caricaturiste.
Je ressortis du Lycée plus heureux qu’en y entrant, avec le secret espoir que quelques autres visiteurs avaient patienté dans cette salle d’attente, et regardé mon dessin et qu’ils pourraient me le signaler, un jour.

C.P.

HOMMAGE A MARIUS CHEMLA

MARIUS CHEMLA

Par un hasard, pas tout à fait complet, nous avons écrit le nom de Marius Chemla dans le rectangle vide de Google et nous avons eu la surprise et le plaisir de lire cet « hommage à Marius Chemla ». Nous nous sommes alors dit que si la rédaction du journal l’Actualité Chimique dans lequel l’hommage était paru, nous y autorisait il serait indispensable de placer ce texte dans notre blog-nostalgie.
Cet homme a été une des gloires de la Tunisie. C’est notre chance de l’avoir bien connu.

Marius était notre ami, un garçon hors du commun qui grâce à son prénom, évoque d’emblée le soleil, le rire, les jeux et la joie. Il nous avait impressionné en passant le premier bac dès la seconde ce qui lui avait permis de retrouver les garçons de son âge.En Math Elem, c’était un bon élève en physique comme en math. Il suivait les cours allégrement sans toutefois décrocher des notes mirifiques. Je ne me souviens pas s’il a eu une mention au bac. Il est vrai qu’à l’époque les examinateurs n’avaient pas l’habitude de sur coter les copies comme ils le font naturellement aujourd'hui.
En revanche, il s’est révélé à Alger au MPC (Mathématiques, Physique, Chimie) où avec quelques amis venus pour passer le PCB, nous nous étions également inscrits en MPC pour en faire plus. Le premier cours de mathématiques sur les nombres imaginaires ( si ma mémoire ne me trompe pas) m’avait assommé, je n’y avais strictement rien compris. Gilbert Sarfati, qui avait eu le prix d’excellence en math elem, avait l’air un peu déstabilisé et Marius lui était sorti de l’amphi, frais comme un gardon.
« Je ne comprends pas ce que vous pouvez n’avoir pas compris, c’est tout simple ». C’était si simple que je n’ai plus mis les pieds dans les cours de mathématiques à la magnifique fac d’Alger, alors que la physique et la chimie du MPC avec Berland et Savornin ne nous ont jamais posé de problème majeur.Pour moi, Marius vivait dans l’utopie. Je ne savais jamais s’il plaisantait ou s’il croyait dur comme fer au futur qu’il imaginait. Ses réflexions sur la politique, la philosophie, l’être humain étaient toujours originales et agréables à écouter, en tout cas, ne nous orientaient jamais sur des sentiers battus.
Un jour il nous a raconté qu’il était entré dans l’équipe de Frédéric Joliot Curie, qui trônait pour nous au sommet de l’Olympe de la Science et des Nobel, et nous nous demandions s’il y était entré comme grouillot ou dans le cercle des proches élus.
J’étais alors englué dans ma thèse de médecine qui rapportait les résultats d’une étude entreprise par l’ensemble du laboratoire mais dont j’étais le responsable, utilisant les isotopes du soufre pour explorer les mystères de l’activité ovarienne des cobayes. Une introduction sur les isotopes s’imposait et elle devait être écrite rapidement ; je me sentais incapable de la rédiger pour des raisons à la fois d’ignorance et temps pris par mes activités d’interne.
Marius, à qui j’en faisais part et à qui je demandais s’il pouvait m’aider, a accepté immédiatement et m’a rendu une semaine plus tard, un chapitre complet d’une telle clarté que j’en avais été félicité par un des membres du jury de ma thèse.
Combien d’amis ont rendu de pareils services, et avec en « étrennes » un sourire rayonnant! « C’était rien je t’assure ! »
Le reste de sa carrière est admirablement décrit dans l’hommage qui lui est rendu.
Les années s’écoulant, et nos activités se réduisant, nous avons eu le plaisir de nous rencontrer quelquefois pour des déjeuners de surgelés au cours desquels nous nous souvenions de nos Maitres VAUDET, Madame FERCHIOU, REBOUL et surtout il me racontait ses travaux dont l’originalité me passionnait. Il me disait par exemple à ma grande surprise qu’il avait remarqué que personne ne savait comment fonctionnent les piles électriques et qu’il avait initié des recherches sur ce thème. Qui d’autre que lui aurait pu penser à la nécessité de travaux aussi simples et compliqués.Si nos cartes à puces fonctionnent de mieux en mieux, et peuvent contenir de plus en plus d’informations, c’est aussi grâce à son imagination qui lui avait fait trouver le moyen de faire des couches de plus en plus minces et de plus en plus lisses de silicium.
Mais il racontait tout cela sans aucune vanité, non pas comme témoignant de ses brillantes qualités de chercheur, mais comme on décrit un paysage dans lequel un scientifique, quel qu’il soit, peut vagabonder.
D’apprendre un jour qu’il était atteint d’une grave maladie provoquée par l’amiante, nous avait tous chagrinés. Nos conversations, téléphoniques cette fois, étaient particulièrement attristantes parce que nous le voyions par les yeux de la pensée en l’écoutant respirer lourdement, décliner irrémédiablement.
Ce qui est sûr, c’est qu’il a laissé une trace ineffaçable et « minérale » de son passé.
Je suis quasiment persuadé que c’est la profession de son père, bijoutier, qui a conduit sa vie à travers les méandres de la chimie et de la physique. Il a cherché et est parvenu à ennoblir le travail de l’or et de l’argent par l’approfondissement des connaissances humaines sur le monde des métaux, dont il a montré qu’ils pouvaient tous être précieux !
Jean BELAISCH
Je dois dire que mes souvenirs concernant Marius datent de notre première année de Math Elem (44/45) et notre première année de Fac à Alger (45/46). Bien que je ne garde que des images fugitives de ce temps, il m'en reste une impression de gaieté, de lumière et de très grande amitié. En Math Elem, il m'avait ébloui par la pratique de ses "manips", qui lui permettait avec l'acide nitrique qu'il transportait en lourdes bonbonnes de l'appartement familial à la terrasse de l'immeuble, et un mélange de bijoux berbères en argent doré, de tirer de l'or ; c'est lui qui avait inventé la technique et chaque "manip" lui rapportait 5.000 francs de l'époque! Cela a été pour moi la première démonstration pratique d'un savoir théorique.
Nous avions formé à Alger une petit groupe de 3, Marius Jean et moi, nous travaillions ensemble et je me souviens du regard à la fois interrogatif et vaguement inquiet du groupe des élèves attendant l'entrée des cours en voyant arriver ces trois Tunisiens qui semblaient "en vouloir"! Je me souviens aussi de la désagréable impression d'incompréhension qui nous avait saisi Jean et moi à la suite du premier cours de Math Géné, alors que Marius semblait très content, mais sans pour autant pouvoir nous éclaircir la teneur du cours; c'est d'ailleurs un paradoxe qui m'avait toujours frappé chez Marius: il pouvait aussi bien expliquer un point difficile avec beaucoup de clarté, que d'énoncer une idée vague sur un problème, témoignant en fait d'une intuition qui n'était pas encore arrivée à son terme.
Les années suivantes je ne l'ai pas souvent vu; et bien plus tard, nous nous sommes rencontrés quelquefois avec un grand plaisir à Deauville, grâce à Yvan Abitbol; j'ai le souvenir d'un point particulier : il niait totalement, comme Claude Allègre qu'il y ait un problème quelconque avec l'amiante de Jussieu où il avait sa chaire.....Il devait en mourir!!
Gilbert SARFATI


Hommage à Marius Chemla (1927-2005)
68 l’actualité chimique - août-septembre 2005 - n° 289

C’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris la disparition du professeur Marius Chemla, survenue le 3 juillet 2005.
Nous souhaitons, par ces quelques mots, rendre hommage à la mémoire de celui qui vient d’être si rapidement enlevé à notre respectueuse amitié et à la profonde admiration de ses élèves.
Diplômé en 1949 de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Paris, il a tout d’abord commencé sa carrière en tant que chercheur au CNRS et a soutenu sa thèse de doctorat ès sciences en 1954, sous la direction du professeur Joliot-Curie. Successivement nommé maître de conférences à la faculté d’Orsay en 1963, professeur sans chaire à Orsay en 1966 et professeur à la faculté de Paris en 1967, il y prend alors la direction du Laboratoire d’électrochimie, qui deviendra sous sa houlette une unité de recherche associée au CNRS.
Il n’est pas de notre propos de retracer ici exhaustivement la carrière si bien remplie de notre maître. C’est surtout ses éminentes qualités de cœur et d’esprit que nous aimerions évoquer.
En regardant le versant professionnel de sa personnalité,c’est évidemment sa vivacité d’esprit et sa persévérance qui émergent en premier. Ce sont d’ailleurs ces qualités qui, jointes à une grande culture scientifique, l’ont fait choisir, à l’âge d’à peine trente ans, par le professeur Frédéric Joliot-Curie pour diriger l’équipe de chimie nucléaire de son laboratoire au Collège de France. Nomination hautement méritée, car il s’illustre dans ce poste par la production du premier gramme d’isotopes séparés du lithium dans notre pays : résultat d’un travail acharné dans des conditions précaires dans les sous-sols du Collège, mais surtout résultat d’une intuition de génie qui lui a fait tenter une expérience, à l’encontre de toutes les idées reçues de l’époque, en séparant les isotopes sans séparer les éléments. Phénomène maintenant bien reconnu dans le monde scientifique sous le nom d’effet Chemla, phénomène sur lequel travaillent encore de nombreux chercheurs, certains ayant même consacré toute leur activité scientifique à cette étude. Ce phénomène est maintenant expliqué par les méthodes de simulation de la mécanique statistique, mais c’est lui qui en avait découvert l’existence et qui en avait proposé une explication quantitative qui s’est révélée pertinente.
Il aurait pu lui aussi rester dans ce domaine passionnant et, c’est là un autre aspect de sa personnalité, il aimait explorer de nouvelles voies et ouvrir de nouvelles perspectives. Certainement par vocation, mais aussi peut-être par sens du devoir pour dispenser à ses élèves un enseignement concret, valorisant et ouvrant sur de larges débouchés dans le domaine industriel. C’est ainsi qu’il a apporté une contribution importante à la préparation de l’aluminium et du fluor en résolvant des problèmes fondamentaux sur lesquels des équipes de recherche industrielle butaient depuis de nombreuses années. Nous évoquons très brièvement, et peut-être incomplètement, la liste de ses activités, depuis son intérêt pour la production d’isotopes séparés du bore et du lithium, le stockage de l’énergie, la protection des métaux, l’emploi des isotopes en chimie biologique et industrielle, jusqu’à ses récents travaux concernant l’électrochimie du silicium qu’il menait avec brio il y encore quelques mois.
Tous les étudiants qu’il a formés en électrochimie gardent de lui le souvenir d’un professeur remarquable, ayant toujours le souci de trouver l’exemple le plus approprié pour illustrer ses propos et de donner les applications industrielles qui en découlent. C’est certainement pourquoi nombre des anciens élèves de la formation doctorale qu’il a créée occupent aujourd’hui des postes clés, à la fois dans le domaine de la recherche académique, mais aussi dans le domaine de l’industrie. On dénombre même un général parmi eux...
Tout ce bouquet d’activités ne doit pas faire oublier ses qualités d’homme et de patron. Après le décès du professeur Joliot-Curie, il a dû, à son corps défendant, consacrer beaucoup de temps à de fastidieuses tâches administratives en se dévouant pour son équipe et, plus généralement, pour la communauté scientifique. On notera qu’il a été de nombreuses années directeur de l’UER de chimie physique de notre université, membre de nombreux conseils au sein de celle-ci. Au plan national, il fut membre du Comité national
du CNRS et du Conseil supérieur des universités.
Le professeur Chemla a toujours œuvré pour la promotion de l’électrochimie, notamment en organisant des congrès dédiés à cette discipline (Journées d’électrochimie en 1983, 3 International symposium on molten salts chemistry and technology en 1991), en créant, au sein de la Société Française de Chimie, le groupe Électrochimie, dont il fut le premier président.
Au cours de sa carrière, il reçut diverses distinctions :
Grand prix Pierre Süe de la SFC (1984), lauréat de
l’Académie des sciences (1987), chevalier de l’Ordre des
palmes académiques, chevalier de l’Ordre national du mérite.
Malgré la polyvalence de ses tâches, il restait proche du
travail expérimental, et il a toujours apporté par ses conseils
avisés et pertinents une importante contribution aux travaux
communs. Il avait en outre une grande capacité d’écoute et
une très large ouverture d’esprit. Quelle que soit parfois la
violence de l’orage des discussions, il n’en gardait nulle trace
de rancune, amenant ainsi l’interlocuteur à reconnaître ses
torts en son for intérieur et à repartir sur des bases apaisées.
C’était un homme de cœur sur lequel on pouvait compter.
En ces moments difficiles, nous pensons aussi à sa
femme, ses trois filles et ses neuf petits enfants et pleurons
avec eux la perte de celui qui les entourait de sollicitude et
d’affection. A ses enfants et petits enfants, nous disons qu’ils
ont eu un père et un grand-père dont ils peuvent être fiers.
Didier Devilliers, Frédéric Lantelme et Pierre Turq
UPMC Paris, Laboratoire LI2C (UMR 7612)
La SFC et la rédaction de L’Actualité Chimique s ’ a s s o c i e n t
à la peine de sa famille, de ses collègues et amis.

lundi 8 juin 2009

le grand départ

LE GRAND DEPART

Depuis l’indépendance de la Tunisie, de petits groupes de juifs tunisiens quittaient chaque année le pays natal. Ils partaient, les citadins en majorité pour la France, et ceux qui quittaient Gabes, Kairouan ou Moknine plutôt pour Israël.

Déjà, depuis l’autonomie interne concédée par Mendès-France, en 1954, les juifs tunisiens ne se sentaient plus en confiance. Les commerçants avaient leurs problèmes de licences d’importation et autres. Les musulmans avaient priorité pour les emplois administratifs. L’arabe devenait, petit à petit, la langue officielle d’un état musulman. Les juifs ne sentaient plus les enfants du pays.
Les milieux populaires craignaient en particulier que, à l’instar d’autres nations musulmanes (exemple de la Libye voisine)), les juifs ne puissent plus obtenir de passeports permettant de sortir du pays sous le prétexte que ceux qui partaient allaient forcément rejoindre l’armée israélienne.

La catastrophe d’Oslo
.
Pour faire face à ce risque, l’Agence Juive avait imaginé et obtenu une autorisation spéciale de sortie pour 60 jeunes, censés être atteints de primo-infection et devant être soignés dans un sanatorium en Norvège., en fait une simple étape avant le départ pour Israël. Par comble de malchance, l’un des deux vieux avions affrétés à cet effet s’écrasait au sol à l’atterrissage à Oslo. Un seul rescapé. En dehors des accompagnateurs et de l’équipage, 27 enfants perdent la vie. Le 22 novembre 1949 est décrété deuil national en Norvège. Mais en Tunisie, la supercherie est découverte et les autorités sont furieuses. Des pogromes sont évités de justesse dans plusieurs villes de Tunisie, grâce à différentes interventions rapides, en particulier celles de l‘Archevêque de Carthage, de certains chefs du Destour et du Dr Moatti. De plus, l’Agence Juive ayant substitué à certains non partants de dernière minute d’autres jeunes, il est impossible de savoir pendant une dizaine de jours qui est vivant et qui est mort.
L’indépendance de la Tunisie, en mars 1956, n’arrangea pas les choses. En dépit de la présence dans le 1er gouvernement tunisien de plusieurs ministres juifs importants, les nouveaux chefs du pays devaient, par ailleurs, récompenser les ex-fellaghas qui avaient combattu pour la libération du territoire, en faire des fonctionnaires, alors que ils étaient souvent illettrés et dans l’incapacité d’occuper correctement des postes de douaniers ou de postiers

La crise de Bizerte

Sur ces entrefaites et dans cette période de tension arrive la crise de Bizerte. En juillet/août 1961, Bourguiba décide brusquement que, pour parfaire l’indépendance, l’occupation de Bizerte, base navale militaire, par les troupes françaises doit cesser, bien qu’un accord existe à ce sujet avec le gouvernement français.
De toutes les villes et villages de la Tunisie, des foules d’hommes, de femmes et d’enfants entament une marche guerrière, en direction de Bizerte lançant des slogans et chantant pour libérer le territoire national. Devant la base, malgré les sommations de la troupe, les foules fanatisées avancent. Les soldats tirent et tuent. On a parlé de plus de 600 morts du coté tunisien et 20 du coté français. .Les foules s’emparent des corps des tués et les exposent de ville en ville.
L’hystérie s’empare du pays. On voit des espions français partout. Il suffit d’une chemise kaki pour crier au parachutiste français camouflé et ameuter toute une populace. Il y a rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Les coopérants français reçoivent l’ordre de ne pas rejoindre leurs postes en Tunisie. Pour ma part, comme Tunisien, quoique père de 4 enfants, je suis réquisitionné, toutes affaires cessantes, pour aller enseigner l’anglais dans un collège du Kef, ville qui était la base militaire des troupes du FLN algérien qui y exerçaient un pouvoir sans partage.
M’étant rendu au Ministère de l’Enseignement Public pour expliquer pourquoi je ne pouvais pas m’y rendre, on me répond qu’à défaut de présence à ce poste, les gendarmes viendraient me chercher. Quelques heures plus tard, je prenais place sur le premier vol pour Marseille, en laissant ma femme et mes enfants

Le départ
..
C’est la panique. Des familles cherchent à quitter le pays le plus discrètement possible. Certains voisins étendent du linge mouillé à leur balcon, laissent la maison éclairée, alors qu’en douce, ils sont en route pour l’aéroport d’El-Aouina.
Mais comment partir avec les 20 ou 30 dinars autorisés et de plus non convertibles ? Certains demandent à des amis français de transférer pour eux de l’argent en métropole. D’autres imaginent de placer des louis d’or dans de talons de chaussure évidés .ou remplacent les épaulettes de leur veston par des bons du Trésor français. On pense pouvoir monnayer des bracelets ou des bagues à Paris, si on arrive à les sortir en douce.
Dans le même temps, à Paris dans le quartier de Saint Michel certains s’entendent pour échanger, avec des restaurateurs tunisiens, des biens au pays contre de l’argent en France.
Des musulmans proches des juifs manifestent aussi leur inquiétude et leur peur de l’avenir. De nombreux amis et relations de travail musulmans ne savent pas comment nous faire part de leur sympathie, de même l’élite bourgeoise que nous fréquentions. Notre boulanger arabe demande à ma femme, puisque je suis déjà an France, de prendre son fils avec nos propres enfants comme il devine nos préparatifs de départ.. Notre femme de ménage nous supplie de l’emmener avec nous avec son enfant. Elle nous promet de dormir par terre dans la cuisine et d’être le moins encombrante possible..
Mais quelle cuisine ? dans quelle maison ? Où allions nous atterrir ? Nous n’avions aucune idée de notre destination ; nous avions même dû abandonner le petit caniche de notre fils qui en a fait une maladie pendant des années.
Et c’est donc un jour le grand départ. Nous quittons notre appartement, nos villas avec salles de bains, confort, baignades et soleil pour un débarquement en catastrophe, sans argent, sans maison, sans travail dans la grisaille et le froid de Paris.

La communauté juive de France

A cette époque, la Communauté juive de France commençait à se restructurer avec l’aide massive d’organisations américaines. Après la prise en charge des rescapés et des orphelins de la Shoah, la mise en route de l’indemnisation des survivants des camps, les procédures engagées pour la récupération des enfants baptisés, la communauté venait d’accueillir les réfugiés chassés d’Egypte qui s’étaient assez vite intégrés.
A titre anecdotique, signalons que beaucoup d’organismes sociaux juifs occupaient alors dans différents quartiers de Paris d’anciennes maisons closes, plus ou moins aménagées, libérées par la loi Marthe Richard. Toujours est-il que cette arrivée massive de juifs pauvres et étrangers, même si elle devait revivifier les structures communautaires, n’enchantait pas un certain nombre de dirigeants qui auraient préféré voir ces gens s’installer en Israël. Mais, rapidement, des Services se sont organisés pour orienter, conseiller, rechercher du travail, obtenir des permis de travail et de séjour. Pratiquement, l’accueil des nouveaux venus est fait sous l’égide des associations françaises FSJU, CASIP, OSE, ORT, COJASOR, … par des assistantes et des réfugiés arrivés eux-mêmes quelques semaines auparavant de Tunisie.
Tous les jours, une assistante accompagnait des groupes de Tunisiens à la Préfecture de Police pour les régularisations des titres de séjour. En ces temps, il avait fallu beaucoup de piston pour .obtenir, pour un ex-bourrelier, un emploi dans une entreprise de nettoyage du métro.
De même, pour un artisan bijoutier, une embauche pour l’entretien de l’argenterie dans un grand hôtel.
Mais que faire d’un ferblantier ou d’un marchand ambulant, d’un brocanteur ?
Je me souviens, par exemple, d’hommes jeunes qu’il a fallu accompagner pendant des semaines pour leur apprendre à se déplacer dans le métro et à compter les stations pour se rendre à leur travail.
Les Galeries Lafayette ont embauché des dizaines et des dizaines de manutentionnaires, ce qui leur permettait d’obtenir un premier permis de travail.
Quelques entreprises avaient aussi permis d’utiliser leur contingent de réservations du 1% patronal pour loger des familles réfugiées.
Je me souviens aussi que des dirigeants de sociétés, des hauts fonctionnaires français étaient intervenus de façon pressante pour la réintégration en métropole ou la naturalisation de collaborateurs qu’ils avaient connu en Tunisie
A Paris et en Province les services sociaux devaient aussi protéger les quelques nouveaux arrivants qui disposaient d’argent contre des courtiers véreux qui étaient censés leur vendre des appartements à tempérament, pure escroquerie, puisque les contrats ne prévoyaient que le règlement des intérêts, le montant de l’achat n’étant pas acquitté..
Des organismes américains attribuaient aux familles réfugiées des bons pour des lits, tables chaises, gazinières.
Le gros problème, en dehors de la recherche de travail, était surtout la quête de logements ; et quels logements ; surtout dans le quartier vétuste de Belleville ; appartements avec toilettes sur le palier, pas de douches, souvent sans eau, ni chauffage.
Des accords entre le Pacte et la Caisse d’Allocations familiales ont permis, moyennant un prélèvement mensuel minime, de restaurer des centaines de logements et de leur apporter l’eau, les toilettes ou une douche.
Des prêts ont permis à de nombreuses familles de régler le mois de loyer et les 3 mois de caution pour la location d’un appartement.
Grâce à un concours de circonstances providentielles, une grande partie d’une des tours de Sarcelles fut de cette manière louée par des réfugiés tunisiens qui avaient un emploi depuis un mois ou deux, au niveau du SMIG.
Il faut dire que ces prêts communautaires ont été remboursés d’une manière scrupuleuse et exemplaire par la très grosse majorité des emprunteurs qui repartaient de zéro pour une nouvelle vie à Paris ou à Grenoble
Et c’est ainsi que petit à petit, les traces de la présence de ces juifs qui vécurent pendant des siècles et parfois des millénaires en Tunisie s’effacent comme l’écume des vaguelettes de Khereddine.…..
A Paris ou à Marseille, Au bout de quelques années , les enfants ayant grandi, obtenu des diplômes, les familles, même sans le soleil de La Goulette, retrouvaient avec un nouvel équilibre, le sourire et la saveur d’un verre de boukha bien glacé, sous le ciel de France.;;
Henri Slama;

le Grand Départ par Henri Slama

LE GRAND DEPART

Depuis l’indépendance de la Tunisie, de petits groupes de juifs tunisiens quittaient chaque année le pays natal. Ils partaient, les citadins en majorité pour la France, et ceux qui quittaient Gabes, Kairouan ou Moknine plutôt pour Israël.

Déjà, depuis l’autonomie interne concédée par Mendès-France, en 1954, les juifs tunisiens ne se sentaient plus en confiance. Les commerçants avaient leurs problèmes de licences d’importation et autres. Les musulmans avaient priorité pour les emplois administratifs. L’arabe devenait, petit à petit, la langue officielle d’un état musulman. Les juifs ne sentaient plus les enfants du pays.
Les milieux populaires craignaient en particulier que, à l’instar d’autres nations musulmanes (exemple de la Libye voisine)), les juifs ne puissent plus obtenir de passeports permettant de sortir du pays sous le prétexte que ceux qui partaient allaient forcément rejoindre l’armée israélienne.

La catastrophe d’Oslo
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Pour faire face à ce risque, l’Agence Juive avait imaginé et obtenu une autorisation spéciale de sortie pour 60 jeunes, censés être atteints de primo-infection et devant être soignés dans un sanatorium en Norvège., en fait une simple étape avant le départ pour Israël. Par comble de malchance, l’un des deux vieux avions affrétés à cet effet s’écrasait au sol à l’atterrissage à Oslo. Un seul rescapé. En dehors des accompagnateurs et de l’équipage, 27 enfants perdent la vie. Le 22 novembre 1949 est décrété deuil national en Norvège. Mais en Tunisie, la supercherie est découverte et les autorités sont furieuses. Des pogromes sont évités de justesse dans plusieurs villes de Tunisie, grâce à différentes interventions rapides, en particulier celles de l‘Archevêque de Carthage, de certains chefs du Destour et du Dr Moatti. De plus, l’Agence Juive ayant substitué à certains non partants de dernière minute d’autres jeunes, il est impossible de savoir pendant une dizaine de jours qui est vivant et qui est mort.
L’indépendance de la Tunisie, en mars 1956, n’arrangea pas les choses. En dépit de la présence dans le 1er gouvernement tunisien de plusieurs ministres juifs importants, les nouveaux chefs du pays devaient, par ailleurs, récompenser les ex-fellaghas qui avaient combattu pour la libération du territoire, en faire des fonctionnaires, alors que ils étaient souvent illettrés et dans l’incapacité d’occuper correctement des postes de douaniers ou de postiers

La crise de Bizerte

Sur ces entrefaites et dans cette période de tension arrive la crise de Bizerte. En juillet/août 1961, Bourguiba décide brusquement que, pour parfaire l’indépendance, l’occupation de Bizerte, base navale militaire, par les troupes françaises doit cesser, bien qu’un accord existe à ce sujet avec le gouvernement français.
De toutes les villes et villages de la Tunisie, des foules d’hommes, de femmes et d’enfants entament une marche guerrière, en direction de Bizerte lançant des slogans et chantant pour libérer le territoire national. Devant la base, malgré les sommations de la troupe, les foules fanatisées avancent. Les soldats tirent et tuent. On a parlé de plus de 600 morts du coté tunisien et 20 du coté français. .Les foules s’emparent des corps des tués et les exposent de ville en ville.
L’hystérie s’empare du pays. On voit des espions français partout. Il suffit d’une chemise kaki pour crier au parachutiste français camouflé et ameuter toute une populace. Il y a rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Les coopérants français reçoivent l’ordre de ne pas rejoindre leurs postes en Tunisie. Pour ma part, comme Tunisien, quoique père de 4 enfants, je suis réquisitionné, toutes affaires cessantes, pour aller enseigner l’anglais dans un collège du Kef, ville qui était la base militaire des troupes du FLN algérien qui y exerçaient un pouvoir sans partage.
M’étant rendu au Ministère de l’Enseignement Public pour expliquer pourquoi je ne pouvais pas m’y rendre, on me répond qu’à défaut de présence à ce poste, les gendarmes viendraient me chercher. Quelques heures plus tard, je prenais place sur le premier vol pour Marseille, en laissant ma femme et mes enfants

Le départ
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C’est la panique. Des familles cherchent à quitter le pays le plus discrètement possible. Certains voisins étendent du linge mouillé à leur balcon, laissent la maison éclairée, alors qu’en douce, ils sont en route pour l’aéroport d’El-Aouina.
Mais comment partir avec les 20 ou 30 dinars autorisés et de plus non convertibles ? Certains demandent à des amis français de transférer pour eux de l’argent en métropole. D’autres imaginent de placer des louis d’or dans de talons de chaussure évidés .ou remplacent les épaulettes de leur veston par des bons du Trésor français. On pense pouvoir monnayer des bracelets ou des bagues à Paris, si on arrive à les sortir en douce.
Dans le même temps, à Paris dans le quartier de Saint Michel certains s’entendent pour échanger, avec des restaurateurs tunisiens, des biens au pays contre de l’argent en France.
Des musulmans proches des juifs manifestent aussi leur inquiétude et leur peur de l’avenir. De nombreux amis et relations de travail musulmans ne savent pas comment nous faire part de leur sympathie, de même l’élite bourgeoise que nous fréquentions. Notre boulanger arabe demande à ma femme, puisque je suis déjà an France, de prendre son fils avec nos propres enfants comme il devine nos préparatifs de départ.. Notre femme de ménage nous supplie de l’emmener avec nous avec son enfant. Elle nous promet de dormir par terre dans la cuisine et d’être le moins encombrante possible..
Mais quelle cuisine ? dans quelle maison ? Où allions nous atterrir ? Nous n’avions aucune idée de notre destination ; nous avions même dû abandonner le petit caniche de notre fils qui en a fait une maladie pendant des années.
Et c’est donc un jour le grand départ. Nous quittons notre appartement, nos villas avec salles de bains, confort, baignades et soleil pour un débarquement en catastrophe, sans argent, sans maison, sans travail dans la grisaille et le froid de Paris.

La communauté juive de France

A cette époque, la Communauté juive de France commençait à se restructurer avec l’aide massive d’organisations américaines. Après la prise en charge des rescapés et des orphelins de la Shoah, la mise en route de l’indemnisation des survivants des camps, les procédures engagées pour la récupération des enfants baptisés, la communauté venait d’accueillir les réfugiés chassés d’Egypte qui s’étaient assez vite intégrés.
A titre anecdotique, signalons que beaucoup d’organismes sociaux juifs occupaient alors dans différents quartiers de Paris d’anciennes maisons closes, plus ou moins aménagées, libérées par la loi Marthe Richard. Toujours est-il que cette arrivée massive de juifs pauvres et étrangers, même si elle devait revivifier les structures communautaires, n’enchantait pas un certain nombre de dirigeants qui auraient préféré voir ces gens s’installer en Israël. Mais, rapidement, des Services se sont organisés pour orienter, conseiller, rechercher du travail, obtenir des permis de travail et de séjour. Pratiquement, l’accueil des nouveaux venus est fait sous l’égide des associations françaises FSJU, CASIP, OSE, ORT, COJASOR, … par des assistantes et des réfugiés arrivés eux-mêmes quelques semaines auparavant de Tunisie.
Tous les jours, une assistante accompagnait des groupes de Tunisiens à la Préfecture de Police pour les régularisations des titres de séjour. En ces temps, il avait fallu beaucoup de piston pour .obtenir, pour un ex-bourrelier, un emploi dans une entreprise de nettoyage du métro.
De même, pour un artisan bijoutier, une embauche pour l’entretien de l’argenterie dans un grand hôtel.
Mais que faire d’un ferblantier ou d’un marchand ambulant, d’un brocanteur ?
Je me souviens, par exemple, d’hommes jeunes qu’il a fallu accompagner pendant des semaines pour leur apprendre à se déplacer dans le métro et à compter les stations pour se rendre à leur travail.
Les Galeries Lafayette ont embauché des dizaines et des dizaines de manutentionnaires, ce qui leur permettait d’obtenir un premier permis de travail.
Quelques entreprises avaient aussi permis d’utiliser leur contingent de réservations du 1% patronal pour loger des familles réfugiées.
Je me souviens aussi que des dirigeants de sociétés, des hauts fonctionnaires français étaient intervenus de façon pressante pour la réintégration en métropole ou la naturalisation de collaborateurs qu’ils avaient connu en Tunisie
A Paris et en Province les services sociaux devaient aussi protéger les quelques nouveaux arrivants qui disposaient d’argent contre des courtiers véreux qui étaient censés leur vendre des appartements à tempérament, pure escroquerie, puisque les contrats ne prévoyaient que le règlement des intérêts, le montant de l’achat n’étant pas acquitté..
Des organismes américains attribuaient aux familles réfugiées des bons pour des lits, tables chaises, gazinières.
Le gros problème, en dehors de la recherche de travail, était surtout la quête de logements ; et quels logements ; surtout dans le quartier vétuste de Belleville ; appartements avec toilettes sur le palier, pas de douches, souvent sans eau, ni chauffage.
Des accords entre le Pacte et la Caisse d’Allocations familiales ont permis, moyennant un prélèvement mensuel minime, de restaurer des centaines de logements et de leur apporter l’eau, les toilettes ou une douche.
Des prêts ont permis à de nombreuses familles de régler le mois de loyer et les 3 mois de caution pour la location d’un appartement.
Grâce à un concours de circonstances providentielles, une grande partie d’une des tours de Sarcelles fut de cette manière louée par des réfugiés tunisiens qui avaient un emploi depuis un mois ou deux, au niveau du SMIG.
Il faut dire que ces prêts communautaires ont été remboursés d’une manière scrupuleuse et exemplaire par la très grosse majorité des emprunteurs qui repartaient de zéro pour une nouvelle vie à Paris ou à Grenoble
Et c’est ainsi que petit à petit, les traces de la présence de ces juifs qui vécurent pendant des siècles et parfois des millénaires en Tunisie s’effacent comme l’écume des vaguelettes de Khereddine.…..
A Paris ou à Marseille, Au bout de quelques années , les enfants ayant grandi, obtenu des diplômes, les familles, même sans le soleil de La Goulette, retrouvaient avec un nouvel équilibre, le sourire et la saveur d’un verre de boukha bien glacé, sous le ciel de France.;;
Henri Slama;

poèmes de G Khaiat