Bienvenue

Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

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mercredi 11 février 2009

L'EPOPEE TOUNSI-GRANA - LETTRE DE Mme TSILLA LEVY ZERAH

PARIS, LE 30 Mai 2008

Monsieur,`
Des amies m’ont fait savoir que vous recherchiez des témoignages sur la Tunisie du temps du protectorat.Je suis la fille de Monsieur Raphaël LEVY, qui fut Directeur des Ecoles de l’Alliance en Tunisie, et qui, sous le pseudonyme de Ryvel, publia de nombreux ouvrages.
Il publia notamment en 1937, un recueil de poésies intitulé « chants du ghetto » dont j’ai extrait certaines poésies ayant trait à des villes.
Je vous envoie donc, à toutes fins, ces photocopies.
En ce qui me concerne, je suis née à Tunis, d’une mère née en Bulgarie, elle-même enseignante de l’Alliance israélite et qui avait demandé sa nomination à Tunis car, très musicienne, elle avait appris qu’il y avait une belle saison d’opéra à Tunis.
Et ce, en 1920 …
Elle y connut mon père et l’épousa.
J’ai quitté Tunis avec mes parents en 1935, car ils avaient été nommés comme Directeurs à Sousse, puis nous avons quitté Sousse pour Casablanca en 1939.
Nous retournions à Tunis en 1945.
J’ai été frappée par l’impression d’une société fragmentée et où chaque communauté vivait sans contact avec les autres.
Notamment j’ai été frappée de voir que la bourgeoisie juive qui, sous l’égide de « Nos petits » assurait les repas de midi aux élèves des écoles de l’alliance, manifestait une certaine condescendance à l’égard des enseignantes de l’école, qui bénévolement, aidaient aux services.
C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans le livre de mon père, écrit vers 1950 et qui vient d’être publié « Destins » éditeur « Le Manuscrit », dont je vous adresse un bref extrait.
Ce qui m’a choqué également c’est que même devant la mort, la ségrégation existait.Il y avait deux cimetières ou carré juifs , le « tunisien » et celui destiné aux non tunisiens, le portugais, parfois appelé « livournais ».
J’ai vu cette ségrégation se faire dans ma propre famille : une de mes tantes ayant épousé un tunisien, s’est vu refuser le repas avec les autres membres de la famille car elle était, de par son mariage, devenue de rite tunisien !
Et que dire des communautés entre elles ! Ce n’est que lorsque, devenue avocate, j’ai fréquenté le Palais de Justice, que j’ai pu nouer des liens avec des confrères musulmans ou « français » comme on le disait de ceux qui n’étaient pas tunisiens d’origine.
Au palais, entre avocats, les liens étaient certains.

Voici ce que je peux dire de cette période de ma vie.Avec mes salutations.

LES CIMETIERES ISRAELITES DE TUNIS

de l’Avenue de Londres au Borgel
par Albert MAAREK et Marc FELLOUS

L’ancien Cimetière : dit du « Passage » ou de « l’Avenue de Londres » , des origines à 1958
Ce Cimetière se présentait sous la forme d’un immense quadrilatère de 65 000 m² , situé au centre-ville de Tunis ; il était divisé entre partie « grana » et partie « touansa » et on y venait régulièrement honorer les tombes de Grands Rabbins célèbres.
La tradition rapporte qu’il avait été acheté en plusieurs lots, au cours des siècles, par la Communauté israélite de la capitale.
Curieusement, ce fut un Rabbin bulgare, Raphaël Arditti, arrivé en Tunisie à la fin du XIXe siécle , qui s’intéressa particulièrement à ce Cimetière ; il publia , en effet , en les commentant , les principales épitaphes rabbiniques comme celles d’Isaac Lumbroso , Isaac Hacohen , Judas Lévy , Josué Bessis , Nathan Borgel , Haï Taïeb ….
Le Cimetière israélite du « Passage », servit de lieu de sépultures jusqu’en 1894 où , arrivé à saturation , il fut relayé par l’actuelle nécropole du Borgel .
Durant toute la période du Protectorat français , ce vaste espace ne laissa pas indifférent les autorités tant sur le plan de sa gestion que sur celui sa situation géographique .

Péripéties historiques : le Cimetière israélite sous le Protectorat français (1881 – 1956)
a . Les émeutes juives de 1887 et les réactions
En 1887 , le municipalité de Tunis (où siégeaient pourtant 3 Israélites) , entreprit de concéder à une entreprise privée le droit exclusif du service des Pompes Funèbres pour le Cimetière israélite de l’avenue de Londres. Cette décision eut pour effet de causer une vive émotion dans la population juive .
En effet, jusque-là , le transport des corps et les inhumations étaient assurés par la « Hébra » ; les familles riches qui faisaient enterrer un des leurs payaient en proportion, de façon à permettre le service charitable pour les familles pauvres. La nouvelle réglementation municipale, en établissant la division en classes et en fixant des tarifs précis, risquait de bouleverser ce système traditionnel et de créer un système qui échappait à tout contrôle. De plus , l’emploi du corbillard empêchait désormais le transport des corps, à bout de bras, par des Israélites.
Le 20 Mars 1887, la population israélite s’assembla en masse au Cimetière, pour empêcher l’inhumation d’un certain Samuel Boccara selon les stipulations du nouveau décret. La troupe intervint pour disperser la foule ; de plus, des notables « livournais » alertèrent le consul d’Italie ce qui eut pour effet de « raidir » la position des autorités françaises : l’affaire se politisait.
Le lendemain, les Israélites manifestèrent en ville devant la municipalité ; il y eut même un blessé juif et des arrestations furent opérées. Devant cette montée de tension, des négociations s’engagèrent entre notables israélites et le gouvernement du Protectorat .
Il fut décidé finalement, de laisser le choix aux familles de s’adresser, pour les enterrements, soit au service de l’entreprise concessionnaire, soit à celui de la Communauté.
L’affaire provoqua des réactions en France même : la presse (comme le journal « Le Temps ») y décela une complicité italienne destinée à gêner l’influence française en Tunisie. Le Grand Rabbin de France, Zadoc Kahn intervint et, tout en condamnant les émeutes des Juifs de Tunis, fit remarquer qu’on devait tenir compte de leurs coutumes et traditions.
Le Quai d’Orsay prit fort mal ces événements et notamment la capacité de rassemblement de la foule israélite, facteur jugé dangereux en pays « protégé » par la France.
b . Le projet de jardin public
Au cours des années suivantes, un nouveau problème apparut : l’espace occupé par le Cimetière israélite gênait, en partie, l’expansion de la ville européenne.
Le Gouvernement désirait désaffecter ce vaste terrain de 65 000 m² et le transformer en parc public ; il était prêt à concéder à la Communauté une rente annuelle de 50 000 francs, à titre de compensation, mais l’opinion publique juive était partagée sur cette proposition.

L’indépendance de la Tunisie et l’expropriation du Cimetière ( 1956 – 1958)
a . Décision tunisienne et recherche d’un compromis
La Tunisie retrouva son indépendance en 1956 et les nouvelles autorités reprirent à leur compte le projet de jardin public. Elles dénièrent les droits de propriété de la Communauté israélite sur son Cimetière dont le terrain fut considéré comme bien communal.
Le maire de Tunis, Ali Belhaouane, était prêt au compromis : nécessité de désaffecter le Cimetière pour des raisons d’urbanisme mais acceptation de faire transporter, après exhumation, les 60 000 tombes en « Terre sainte (seule possibilité autorisée par la religion) ; mais les négociations s’arrêtèrent brusquement par suite du décès subit d’Ali Belhaouane .
b . L’expropriation du Cimetière israélite
Le nouveau maire de Tunis, Zaouche se montra inflexible et ne reconnut pas les promesses exprimées par son prédécesseur : il exigeait de la Communauté qu’elle évacue rapidement les lieux ; quant à la possibilité de transport des corps en « Terre sainte » , cela fut considéré comme un acte « sioniste ».
Finalement , pour accélérer l’opération de récupération du terrain , il fit mine d’accepter le principe d’exhumation et de transfert en « Terre sainte » mais les travaux furent très vite arrêtés et la Communauté s’inclina face à cette expropriation forcée .

L’actuel cimetière juif de Tunis : le Borgel
Le Cimetière juif du Borgel de Tunis, ou Beth a Haïm : la « Maison des Vivants » dans la tradition juive a été inauguré par le grand Rabbin de Tunisie : Eliaou Borgel en1894.
Le cimetière juif du Borgel de Tunis témoigne du passé récent de l’histoire de la Tunisie ; histoire complexe, tissée des multiples histoires des communautés qui y ont vécu.
En ce sens le cimetière juif du Borgel est une partie intrinsèque du patrimoine des Juifs de Tunisie, tout autant qu’il est patrimoine des Tunisiens eux-mêmes. L’oubli de cet espace patrimonial serait une perte pour chacun.
Il contient plus de 30.000 tombes auxquelles s’ajoutent les sépultures du vieux cimetière de l’Avenue E.Rostand de Tunis (1958) qui ont été transférées.
C’est le plus grand cimetière Israélite du Maghreb voire du bassin méditerranéen, car que la communauté juive de Tunisie étaient la plus ancienne du Maghreb

Plan du cimetière en 2008
Le Cimetiere est localisé à la sortie de Tunis vers la Marsa Avenue Kheredine Pacha.
Il est divisé en 24 carrés, dont les noms correspondent en règle générale à des personnalités célèbres par exemple les rabbins Haï Taïeb ou Boccara ou la chanteuse Habiba Msika

Les Gardiens du Borgel
Mr, Mme et Melle Handa Saad exercent leur fonction depuis de très nombreuses années. Ils ont une connaissance parfaite de la localisation de nombreuses tombes c’est notre mémoire orale. Ils sont la mémoire orale du cimetière.
Les sépultures nous racontent notre histoire, riche, touchante, et pleine de souvenirs!
De fait le cimetière symbolise la relation entre le matériel et l’immatériel ; il est à l’interface entre le monde des vivants et celui des morts :
- La branche cassée et l’envol au ciel pour les tombes de jeunes personnes
- Tombe d’une jeune maman mère de 3 enfants avec un nid contenant 3 oisillons.
Le monument aux morts
Inauguré en avril 1948, il porte les noms de morts déportés et de ceux qui sont morts dans les camps de travail.

Des tombes « célèbres » témoins du judaïsme Tunisien

L’Art Funéraire: intérêt des symboles et textes figurant sur les tombes
Les symboles gravés : oiseaux, branche, fleur, mains, signes religieux
Quelques-unes parmi tant d’autres :
a) Nos rabbins vénérés
b) Tombeau du Rabin Haï Taïeb ,c’est un haut lieu de pèlerinage (la Hiloula) en décembre tous les ans.
c) Habiba Messika: Cantatrice vedette tunisienne (1900-1930)
d)Le General Valensi et J.Valensi, consul d’Autriche
e) Les parents du grand Rabbin Sitruk et de Serge Moati
f) e) Des événements tragiques
Accident de voiture
Meurtre au couteau

Le mur qui sépare les 2 communautés juives tunisiennes
« grana et touensa »

Conclusions et pourquoi a t on crée
l’Association internationale du Cimetiere Juif de Tunis ou AICJT

Aujourd’hui, sur le territoire de l’ancien Cimetière, s’étend un grand jardin public de 7 hectares que les Cohen s’interdisent de parcourir. Les 60 000 tombes reposent toujours dans les entrailles de ce vaste parc .
Ce Cimetière a été, durant des siècles, un lieu de spiritualité intense par suite de la présence des sépultures de Grands Rabbins, vénérés par la population juive, toutes classes sociales confondues. C’est aussi un lieu de mémoire historique, trace indélébile de la présence juive sur cette terre tunisienne.
Le Cimetière du Borgel, devenu son prolongement depuis 1894, est actuellement en voie de dégradation ; une association de sauvegarde et de préservation de cette nécropole s’est constituée à Paris, en mars 1887.

Il y a urgence à laisser en paix nos ancêtres, à protéger ce patrimoine contre l’oubli. Aussi un petit groupe d’amis s’est formé pour créer l’association AICJT : l’Association Internationale du Cimetière Juif de Tunis « Le Borgel »
Cette association a pour but la sauvegarde et l’étude de cette composante essentielle du patrimoine juif tunisien qu’est le cimetière du Borgel.
Elle a pour mission de participer à sa préservation, notamment :
-d’établir un inventaire aussi exhaustif que possible des tombes du cimetière et de construire une base informatique de cet inventaire.
- d’initier avec le comité scientifique de l’association, des recherches de tous ordres : sociologiques, généalogiques, linguistiques, anthropologiques et historiques de la communauté Israélite de Tunisie. Ceci nous permettra d’offrir à tout scientifique (historien, généalogiste, spécialiste en art funéraire, sociologue, théologien, nécrologue etc. …) porteur d’un projet d’étude sur le Borgel, un capital d’informations précises (nécrologe - plan – photographies – repérage des personnalités majeures enterrées …) ;
- de faciliter la recherche de leurs tombes par les familles concernées ;
- de permettre à ces familles de restaurer ces tombes si elles le désirent ;
- de définir précisément les conditions d’accès aux tombes, dans le respect du caractère religieux du lieu.
Cette association s’efforce de faire respecter le vœu des illustres Rabbins, imaginé et formulé par Charles Haddad , un des anciens présidents de la Communauté israélite: « Nous voulons être poussière avec la poussière et nous serons contents de vivre seulement dans vos mémoires , ô fils d’Israël . »

LA VIEILLE SYNAGOGUE DE LA HARA

Henri SLAMA

Pour continuer à évoquer des souvenirs qui s’estompent et disparaissent au fil des années, je me souviens de cette vieille synagogue de la Hara, l’ancien quartier juif de Tunis, rue Errakah.
Pour y arriver, il fallait de préférence, passer par le quartier réservé de la ville, ou de pauvres femmes se tenaient devant chaque porte. Nous passions très vite, sans parler, en serrant nos livres de prière sous le bras
.
Quand je dis synagogue, ce n’est probablement pas le mot que ça évoque, juste une pièce dans une oukala, une grande cour, avec un puits au milieu, plusieurs chambres tout autour, occupées par des familles juives misérables, montées de l’extrême sud tunisien ou de Tripolitaine, pour fuir la misère. Pour toutes ces pièces et un premier étage du même style, il y avait un unique W.C. A l’occasion des grandes fêtes, les murs de ces chambres et ceux de la cour étaient blanchis à la chaux bleutées, teinte très reposante pour les yeux.

L’immeuble tout entier appartenait à une famille musulmane qui n’avait jamais demandé de loyer pour la chambre qui servait de lieu de culte, une maison de Dieu, comme ils disaient, et cela depuis des générations.
La grande pièce qui servait de synagogue était entourée de bancs construits en dur, décorés avec une façade en carreaux de faïence, à la mode andalouse et recouverts de nattes. Les rouleaux de la Thora, les sepharim, étaient rangés dans une armoire au fond de la chambre.

L’officiant se tenait dans la cour, devant une table haute, rustique, antique, construite par quelqu’un qui n’avait que des notions très limitées de l’art de la menuiserie. Aujourd’hui malgré de nombreuses recherches, il n’a pas été possible de localiser ce lieu, ni même la rue, tout le quartier ayant été démoli et reconstruit dans cette partie de la ville..
Dans cette synagogue, deux familles en particulier venaient de la ville européenne et presque tout le reste des fidèles venait des logements alentour et de cette oukala
Ces deux familles étaient les Raccah et les Slama qui toutes deux prétendaient en avoir été les fondateurs des siècles auparavant.
Dans ma première jeunesse, l’office était dirigé collectivement par le grand père Raccah et le grand père Slama et chaque fois c’était des contestations mémorables entre les deux vieux sur ce qu’il convenait de lire ce jour là et dans quel ordre .En plus les gens du coin, ajoutaient leur grain de sel, car ils chantaient abominablement faux et à contre temps, en finissant le verset alors que l’assemblée le commençait.. D’où de multiples rappels à l’ordre.

Nos livres de prières, en particulier pour les offices des grandes fêtes étaient imprimés à Vienne, en Autriche ou à Livourne et Venise. Les prières et les chants avaient été composés par les grands maîtres de l’age d’or espagnol, les rabbins poètes Judas Halévy, Ibn Gabirol ou Maimonide, mais les Tunisiens voulaient à tout prix intercaler plusieurs fois au cours de l’office un chant composé par un rabbin tunisien, chant qui n’existait dans aucun livre. IL fallait donc tenir à portée une feuille volante, au moment fatidique, pour pouvoir suivre l’officiant. L’honneur était donc sauf.

Dans l’assemblée, il y avait donc le groupe des Slama d’un coté ; le Slama ( importateur de machines agricoles américaines) qui occupait le banc central, mon grand père qui officiait, mon père et moi jeune garçon.
Les Raccah étaient beaucoup plus nombreux, le grand-père, ses deux fils architectes, le petit fils qui allait bientôt s’engager à la guerre et y mourir durant la drôle de campagne., un vieux monsieur très distingué à l’allure de gentleman britannique, son fils bel homme qui nous impressionnait parce qu’il avait épousé , fait exceptionnel à cette époque, une grande blonde suédoise, , un représentant d’un important agent de change parisien, un autre cousin parti par la suite s’installer en Israël et devenu député à la Knesset, m’a-t-on dit.

Je me souviens, en particulier d’un jour de Yom Kippour en 1937 , je crois , de l’agitation qui avait saisi l’assemblée en prière. Vers 11 heures du matin, quelqu’un était arrivé à la synagogue, après avoir écouté un poste de radio. Ce jour là, Léon Blum avait traîtreusement opéré la dévaluation du franc , en profitant de la fête de yom Kippour pendant lequel la bourse était fermée à Paris. Le représentant de l’agent de change parisien était questionné fiévreusement et requestionné .Qu’est-ce qui va se passer, l’importateur, l’exportateur, le commerçant se posaient des questions sans fin. Ils avaient tous oublié pourquoi ils étaient là et l’officiant devait s’énerver pour faire cesser les conciliabules

Lorsqu’on arrivait au crépuscule, après avoir prié et chanté toute la journée, et qu’il fallait décider de la fin du jeune, ( la confiance dans les montres étant limitée), quelques personnes montaient sur la terrasse de l’immeuble et scrutaient le ciel. Dès qu’elles avaient aperçu trois étoiles, le signal de la fin de l’office était donné. Le rabbin sonnait du schofar, la corne de bélier. On se congratulait dans un grand brouhaha et on s’apprêtait à rentrer chez soi.

Cela voulait dire, après une journée de jeûne, boire une citronnade fraîche, faire son choix parmi tous les plateaux de gâteaux, mais à mon grand désespoir les grands pères trouvaient que c’était le moment ou jamais de faire la prière de bénédiction à la lune, dans la rue, où on se rendait en groupe.
Et, tout le monde reprenait alors, seulement, le chemin de la maison, la conscience tranquille..

LE BANC DE POISSONS DE CARTHAGE




Marc PEREZ

La vie est une drôle d’histoire.
Tout ce temps, toute cette force à vouloir grandir pour s’apercevoir que les plus jolis moments étaient ceux de l’enfance…
Une foule de petits souvenirs me ramènent à Tunis.
J’ai choisi d’évoquer le souvenir de ce banc de Carthage, ce banc de céramique crée par mon oncle Nello Levy, peintre et céramiste au talent reconnu.
Sur la terrasse de notre maison de Carthage mon père avait décidé de faire construire par mon oncle un banc fait d’une multitude de carreaux faïence bleus et verts représentant des poissons tous différents donnant à l’ensemble l’apparence d’un bel aquarium sur lequel on pouvait s’assoir.
Je me souviens qu’il était à l’ombre d’un grand citronnier planté en contrebas dans le jardin voisin. Souvent nous étions tentés de cueillir ces citrons brillants et boursouflés, debout sur le banc, à bout de bras.
Parfois, les photos se superposent aux souvenirs… deviennent même souvenir. Ce n’est pas le cas de cette photo en noir et blanc où je suis avec ma sœur Anita. Cette photo ravive seulement ma mémoire et fait renaitre des sensations. Je me souviens parfaitement de la fraicheur de ce banc sous nos cuisses nues ou sur tout le corps lorsqu’écrasés par la chaleur d’été on s’y allongeait. Je me souviens aussi de l’éclat des couleurs et des nuances infinies de bleu, du caeruleum à l’outremer.
Se retrouver de nouveau là, par ce regard sur ce passé, est une joie mêlée d’une certaine tristesse, est- ce de la nostalgie ? Sans doute, bien que la nostalgie soit un sentiment un peu vain qu’il m’arrive de repousser. Mais se retourner en arrière a quelque chose de nécessaire. Comme l’arbre devenu trop grand et qui se sent fléchir, il peut y avoir ce besoin de s’enraciner un peu plus, ne serait-ce que par les souvenirs.
Mais, si je repense aussi à ce banc, c’est qu’il a représenté pour l’enfant que j’étais, une sorte de joyeuse immersion au cœur de la peinture. Mon oncle était céramiste mais peintre avant tout, ce banc était un tableau dans lequel j’aimais me baigner.
J’ai eu cette chance d’être né « dans » la peinture, entouré par les tableaux de mon grand père (Moses Levy) et ceux de mon oncle(Nello). Cet oncle qui, par son travail de céramiste prolongeait sa peinture dans les objets du quotidien ; assiettes, vases, cendriers, tables. Cette fois le support de son art fut ce banc. J’ai cette impression d’être né « dans » la peinture, et ce banc participe à ce sentiment, pourtant il me fallut bien des années pour devenir peintre à mon tour. Pour dire les choses plus exactement, c’est le savoir faire, le métier, qui m’ont longtemps manqué. Tout s’est déroulé dans le fond comme si j’avais toujours été peintre sans en avoir les moyens. Etre peintre n’est- ce pas juste avoir un regard oblique sur le monde pour chercher à entrevoir un peu ce qu’il y a derrière ?...
Récemment je me suis mis à peindre une séries de poissons (il s’agit plus précisément de grandes gravures au carborundum, technique particulière de l’estampe) Mes poissons sont très noirs, à la fois vivants et sans vie, comme déjà secs et décomposés. Comme toujours je fais les choses sans savoir, sans prévoir, sans comprendre tout à fait.
Mais mon travail m’interroge et je me retrouve souvent comme simple observateur face à mes tableaux. Mon travail, bien des fois, me renvoie à mes déchirures, à mes blessures ainsi mises en forme. Je ne cherche pas réellement à comprendre ce que je fais, mais ici l’évocation de ce « banc de poissons de Carthage » m’a naturellement renvoyé à ce travail récent. Ma vision est noire, si distante de celle de mon oncle colorée et lumineuse.
Mes poissons semblent avoir été tirés hors de l’eau, arrachés de leur milieu.
Sans doute cela aura été aussi mon histoire, lorsqu’à l’âge de neuf ans je fus arraché sans comprendre à mon pays de naissance, tout comme la quasi-totalité des juifs de Tunisie, mettant ainsi un terme à une si longue histoire.
Tout exil est un drame qui laisse un vide, un manque perpétuel…
Je suis retourné à Carthage. J’ai cherché ma maison. Comme dans certains rêves étranges il me fut impossible de la reconnaitre tout en ayant bien la certitude de me trouver dans ce lieu familier. Seuls les trois palmiers du jardin étaient encore là, un peu honteux. J’ai vite compris que pour gagner un étage, notre maison avait été détruite pour reconstruire un cube plus haut et sans charme. Plus de terrasse, plus de citronnier, …plus de banc.

LA SIGNORA MARIA

LE REVOLVER DE L’APRES GUERRE : LA PEUR RETROSPECTIVE
Charles PEREZ

C’était la période qui avait suivi l’occupation militaire allemande de la Tunisie.
Dans ce pays, cosmopolite s’il en est, vivaient en parfaite harmonie, les autochtones musulmans et Juifs, les Français, les Italiens, en quasi majorité originaires de Sicile, les Maltais de nationalité britannique, les Grecs, les Russes généralement Russes blancs échappés des prisons révolutionnaires rouges etc..

Les unions entre les membres des différentes ethnies chrétiennes étaient courantes, et particulièrement entre siciliens et maltais jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés du Reich allemand, qui eut pour effet de creuser brutalement un profond fossé entre ces derniers,
Les uns prenant fait et cause pour les habitants de la péninsule italienne et leur chef fasciste,
le Duce, les autres se prenant pour d’authentiques sujets de sa gracieuse Majesté britannique.

Des familles entières se retrouvèrent ainsi divisées, en deux camps irréductibles chargés de haine intérieure réciproque.
Le récit qui suit est un exemple parmi d’autres des graves dissensions engendrées par le conflit mondial entre Alliés et les pays italo-germaniques, dans la petite et anciennement paisible colonie italo-maltaise.

Une jeune européenne occupait un studio dans un immeuble bourgeois de la capitale, qu’elle partageait jusqu’à l’arrivée des troupes aéroportées allemandes, avec un riche commerçant Juif désœuvré, qui la comblait littéralement de toutes sortes de faveurs.
.
Du jour au lendemain, on ne le vit plus. Elle dut le mettre à la porte, sans ménagement puisque peu de temps après, on la voyait rentrer tard dans la nuit, bien après le couvre-feu, à moitié ivre et toujours accompagnée d’un fringant officier allemand.

Le couple se faisait remarquer presque chaque soir, quand il tentait de se frayer un chemin dans la pagaille indescriptible, que provoquait durant les nombreuses alertes aériennes, l’installation de toutes les familles de l’immeuble dans le hall d’entrée transformé avec l’aide de quelques madriers et sacs de sable en dérisoire abri commun.
Une seule personne les aidait dans cette traversée insolite, avec des manières obséquieuses et des propos cauteleux : c’était la Signora Maria, notre voisine d’étage.
Les autres occupants de l’immeuble tremblant déjà de peur pour eux et pour leurs proches, à cause du fracas de la DCA allemande, et de l’explosion des bombes tombées souvent à proximité ( rue d’Athènes), ne donnaient pas cher de leur vie, à l’idée que l’officier teuton heurtant dans l’obscurité un tabouret ou un enfant endormi, accroupi ou assis à même le sol, pouvait trébucher, ce qui aurait pu entraîner des conséquences sûrement dramatiques, radicalisées par le degré d’ébriété du couple et par l’arme qu’il portait ostensiblement à portée de sa main.

La Signora Maria, sicilienne d’origine était mariée à un brave maltais, à l’ordinaire peu communicatif, et rendu taciturne et renfermé dès le débarquement allemand de leurs avions Junkers
Par contre, la présence des soldats italiens, leurs alliés de l’axe qui les avaient suivis, avaient exacerbé les sentiments italophiles de sa femme, et celle-ci ne cachait plus sa sympathie envers le Duce et même envers le Furher : son poste de radio était ouvert au maximum pendant la lecture des communiqués de victoire et des discours enflammés du Duce que le puissant poste de Radio-Bari émettait quotidiennement, toutes les heures.

La Signora Maria ne mit pas longtemps à se lier d’amitié avec la demi-mondaine, au grand dam de son époux. . Elle lui rendait de menus services, entretenait son intérieur, repassait son linge et lui préparait même des repas.
Sa petite fille particulièrement mignonne, avait été prise de sympathie par l’amie de l’officier allemand et revenait toujours chez sa mère, avec de somptueux cadeaux, très appréciés en ces temps de restriction, c’était une fois une nappe, une autre fois un drap, ou une coupe de tissu, ou une bouteille de liqueur, etc..
Ces prodigalités -on en devine l’origine- fruit des razzias de la commandatüra allemande opérées chez les riches habitants Juifs de la Régence, rendaient fou-furieux le mari qui n’osait plus sortir, restant cloîtré chez lui, tant il avait honte de l’inconscience de sa femme et du danger qu’il encourait à double titre, comme présumé bénéficiaire de ces exactions et comme traître à sa patrie adoptive, la grande Bretagne.

La Signora Maria en parfaite pipelette ne cessait de bavarder et de vanter à qui voulait l’entendre la gentillesse de sa nouvelle amie, la correction et la distinction de son protecteur.
Elle se délectait quand elle citait son nom, il Signor Capitano Heinrich. Elle se serait coupée en quatre pour satisfaire leur moindre désir.
Nul ne se risquait à la critiquer ou à faire une quelconque remarque désobligeante sur sa légèreté qui mettait en péril les habitants de l’immeuble et son mari en, premier.
On compatissait et on le plaignait de sa situation délicate et peu enviable.

A la Libération, précédée du départ précipité des troupes italiennes et allemandes, tout s’inversa : les sympathisants du Duce ne se pavanaient plus dans les rues de Tunis, et se montraient forts discrets, tandis que la population presque toute entière exultait d’une joie longtemps refoulée.
Les règlements de comptes ne tardèrent pas à aller bon train, les collaborateurs et collaboratrices dont l’amie de Signora Maria, et les dénonciateurs étaient arrêtés, et incarcérés à la prison de la Kasbah, ancien fort militaire de l’époque beylicale , et qui quelques jours plus tôt était remplie de notables Juifs otages, et libérés dès l’entrée des troupes alliées et de la prestigieuse 2me DB, victorieuse à Koufra et à la ligne Mareth à la frontière lybio-tunisienne.
Des disputes éclatèrent dans bon nombre de familles sicilo-maltaises et sicilo-françaises particulièrement dans celle de notre voisine, comme il fallait s’y attendre.
Le mari prenait sa revanche et manifestait à tout bout de champ sa rancune, le couple s’entre-déchirait : de plus en plus de scènes de ménage, de plus en plus de hurlements fusaient de leur demeure, et qui se terminaient presque toujours par de violents claquements de portes, chaque partie allant bruyamment s’isoler dans sa chambre.

Un jour en début d’après-midi, une nouvelle scène éclata chez nos voisins, les cris, les mots les plus déplaisants n’en finissaient pas de se faire entendre.
La voix du mari était particulièrement audible, il vociférait et accusait sa compagne de trahison et d’ignominie, lui reprochant une fois encore son amitié avec l’officier allemand et sa ‘boutana’ d’amie, il était vraiment hors de lui.
Brusquement de violents et répétés coups furent assénés à la porte d’entrée de notre appartement occupée ce jour là par ma mère et moi, jeune adolescent.
Me dirigeant vers la porte pour l’ouvrir, ma mère me supplia de ne rien faire. Elle ne voulait pas qu’on se mêle des histoires du couple, mais ne pouvant me retenir sur mon élan, elle me recommanda tout de même, d’être très prudent.

A peine avais-je ouvert la porte, que ‘la Signora Maria‘ s’engouffra littéralement dans l’appartement en criant et en pleurant à chaudes larmes, en nous suppliant ma mère et moi de la protéger de son mari, qui en effet était derrière elle, fou de colère, le visage défait par la haine, le teint livide, la bave écumant de sa bouche, les yeux exorbités, hors de lui et qui criait : je vais la tuer, je vais la tuer, en braquant dans sa direction un impressionnant revolver tout noir.
Je me suis trouvé malgré moi pris entre les antagonistes, persuadé que le mari ne mettrait pas à exécution sa menace, et je tentais de le calmer en le raisonnant, en lui disant que son geste contraire à sa religion et à son honneur, n’était pas digne de lui, qu’il ne devait pas commettre un acte sanguinaire, un péché mortel. Rien n’y fit.
Il répétait en me poussant pour avancer dans la maison et s’approcher de sa femme, tout en continuant de répéter : je vais la tuer, je vais la tuer !
Bon, bon, lui dis-je, ça va passer, calmez-vous, pensez à votre enfant. Vous voulez la rendre orpheline par votre geste?
Le forcené arrêta net ses propos menaçants, ses trais se figèrent. Etait-il en train d’avoir une attaque d’apoplexie ? Il était frappé de stupeur.
Puis tout d’un coup de grosses larmes coulèrent de ses yeux rougis.
L’image de sa fillette l’avait ramené à la raison, et lui avait fait prendre conscience du geste irréparable qu’il était sur le point de commettre.
Malheureusement sa femme continuait de se lamenter bruyamment
Intriguée par le silence de son époux, et se servant de ma mère comme bouclier, elle tenta de s’échapper par la porte grande ouverte.
Mal lui en prit, car son compagnon s’apercevant de sa fuite se précipita à nouveau vers elle.
Ma mère et moi, nous nous trouvâmes malgré nous, entre les deux furies, et nous essayâmes à nouveau de les calmer.
Saisissant avec toute ma force, les mains du forcené, dont l’une tenait l’arme sinistre dont le canon était plaqué contre ma poitrine, au point de me faire mal, je continuais de le dissuader, de renoncer à son projet meurtrier, tout en l’éloignant de sa femme et en en le poussant vers l’extérieur.
- Non, je veux la tuer, écartez-vous, sinon c’est vous qui allez être tué.
- Non, vous ne ferez pas cet acte affreux, non vous ne devez pas tirer sur elle, dis-je en voulant être rassurant mais un peu inquiet tout de même, de la tournure de la situation.
- Reprenez vos esprits, ressaisissez vous ! Tout en détournant le canon de ma poitrine.
Par miracle, je parvins à le désarmer.
Durant toute la scène du drame, j’étais persuadé que les menaces proférées par le mari étaient feintes, qu’elles n’étaient que pure comédie. Il voulait donner une bonne leçon à sa mégère de femme, en l’effrayant sérieusement, comme dans les scènes de cinéma.
Désarmé, reprenant peu à peu son sang froid, le forcené décida alors de quitter les lieux.
Il arrangea sa veste, et partit tranquillement, en essuyant son visage inondé de larmes, du revers de sa main.
Sa femme arrêta ses lamentations, et ses pleurnicheries, et regagna sa demeure, après nous avoir beaucoup remercié ma mère et moi, de notre intervention salvatrice.
Quant à moi, je ne savais que faire du revolver que je voyais de si près pour la première fois.
Je le mis sous un lit, puis par prudence, je le repris pour le mettre dans un endroit plus sur, le rebord d’une fenêtre inaccessible aux regards des enfants ou des voisins.

Quelques jours après cette terrible scène, le mari revint chez nous, pour donner de ses nouvelles : ça va mieux , j’ai décidé de la quitter et éviter tout nouveau scandale . Je suis venu, aussi pour reprendre l’arme.
Non, je ne vous la rendrais pas, aussi longtemps que vous ne serez pas complètement calmé, pas avant un mois, en pensant qu’à la prochaine altercation, il était capable de mettre de vraies balles et de massacrer sa femme.
Mais non, ça va, répondit-il en ébauchant un sourire qui se voulait tranquillisant. Ne vous inquiétez plus. Je quitte pour de bon cette mauvaise femme, cette sicilienne qui m’avait fait l’affront suprême, à moi un anglais et en pleine guerre de fréquenter sa poufiasse de collaboratrice et son boche d’ami.
Je ne peux pas rester, je ne veux pas qu’elle me pousse à bout, une nouvelle fois, et que je finisse ma vie en galère à cause d’elle. Elle n’en vaut pas la peine. Je dois penser à l’avenir de ma fillette.
Voyant que j’étais décidé à ne pas lui rendre le revolver, il accepta l’échéance proposée, mais je vous donne ma parole d’honneur que je vous le rendrais aussitôt que j’aurai mis le cran d’arrêt. Vous comprenez une balle peut si vite partir avec cet engin de guerre que ma femme avait rapporté de chez sa salope d’amie, le lendemain du départ précipité de son ‘’ capitano Heinrich’’.

Une sueur froide perla sur mon front, je fus pris d’un léger tremblement, que je dus surmonter, non sans efforts.
Sans montrer ma terrible méprise, au cours de la dispute, que je n’avais pas pris très au sérieux, ni mesurer le danger, tant j’étais persuadé que l’arme n’était pas chargée de balles, et que j’avais considéré leur dispute comme une scène de cinéma, je lui remis le lourd et sinistre revolver. Aussitôt après le déclic de la mise en place du cran d’arrêt, l’arme me fut rendue.
Quoi !!! il disait donc vrai, que je risquais d’être tué !
Et dire que le canon était appuyé contre ma poitrine pendant un bon moment ! si fortement que j’avais eu mal toute la journée !
Il parlait donc vrai, il voulait tuer sa femme ! Ce n’était pas du tout de la comédie !!
Une peur rétrospective s’empara de moi , après le départ de celui qui avait failli m’assassiner
Elle remplit mes nuits et me hanta longtemps après.
Ma mère avait donc raison de me conseiller ne pas me mêler des querelles des voisins.
Soit, mais alors, si je n’avais pas ouvert la porte à la Signora Maria ?…






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L'EPOPEE TOUNSI-GRANA COMMENTAIRE

Commentaire de Lionel LEVY grand spécialiste de la question

Il faut pour comprendre cette histoire avec ses tiraillements, la situer dans les réalités d'autrefois que nous percevons mal. Rien n'est d'ailleurs tout blanc ni tout noir dans des rapports interethniques.
1-La règle du "jus soli". La règle, dans les communautés juives était celle du premier occupant. C'est la raison pour laquelle les nouveaux venus à Rome, par exemple, ont tous créé leurs communautés. Comme le rappelle le rab. El Haïk, les notables juifs tunisiens du XVIIe siècle n'entendaient pas partager le pouvoir. Ils ont refusé l'idée que les nouveaux venus livournais soient associés au pouvoir communautaire. Ceux-ci, semble-t-il, n'y tenaient pas, craignant d'être submergés par les premiers en place. De plus, à cette époque, ils étaient encore très peu nombreux et souvent simplement de passage. La plupart des marchands livournais cités au XVIIe siècle à Tunis avait des fonctions communautaires à Livourne même. Cela n'a pas semblé anormal, chez les Tunisiens, que leurs coreligionnaires nouveaux venus s'administrent eux-mêmes.
2- Bonne entente. Les rapports étaient bons entre rabbins. Le premier rabbin livournais Isaac Lumbroso a été formé par Abraham Taieb. Il fut le premier livournais agréé comme rabbin des deux communautés. Son disciple Cohen Tanugi publia ses oeuvres après sa mort. Les premiers livournais non encore circoncis après leur retour au judaïsme, venaient se faire circoncire à Tunis. D'où des liens de néophytes à missionnaires. Pour le reste, les différences culturelles étaient bien plus importantes alors qu'au XIXe siècle. Néanmoins des litiges d'ordre religieux ont existé. Les Tunisiens ont accueilli Sabatai Zevi (le "faux-messie"). Les Livournais de Tunisie l'ont rejeté. Il fut expulsé de Livourne dès son débarquement dans cette ville. En 1685, un jeune Livournais ayant harcelé sexuellement une femme de ménage de la synagogue fut dénoncé aux autorités et cruellement bâtonné, alors que l'usage était qu'on devait régler ces choses "entre nous". Une énorme amende fut mise à la charge des Livournais collectivement. Ils la payèrent en empruntant au Consul de France à 16%. Si les Tunisiens avaient estimé qu'il n'y avait qu'une communauté, ils auraient du contribuer au paiement, mais personne n'eut l'idée de le leur demander.
3-Dans toutes les villes ou existaient plusieurs communautés, chacune avait son cimetière, ou son carré, héritage médiéval de l'auto-administration. Le problème, explique Avrahami, naissait de l'énorme épidémie de choléra qui entraîna la réorganisation des services mortuaires. La communauté tunisienne avait revendiqué la propriété exclusive du terrain pourtant acquis en commun, d'où recours au Résident général (voilà un précédent!) qui fit droit à la réclamation livournaise. Celle-ci étant toujours contestée, les Grana firent édifier un mur. Nous sommes plus dans le Clochemerle que dans Shakespeare.
4- Mariages "mixtes". Ces mariages ont toujours existé entre membres de classes sociales voisines. A Livourne même, beaucoup de Juifs d'Afrique du Nord se mariaient et s'intégraient. Les Juifs dits "maghrébins", contrairement à ce qu'on a cru, étaient mieux acceptés que les ashkénazes. A Amsterdam le Juif portugais qui épousait un conjoint ashkénaze était frappé de herem! Tel n'était pas le cas pour les Juifs du Mahreb. Contrairement à ce qui a été dit, les Juifs de souche maghrébine étaient bien plus nombreux à Livourne que ceux qui venaient d'Europe Centrale. Ils formaient en 1809 14% de la population de la ville. La communauté de Livourne avait la maîtrise du peuplement juif. Elle pouvait accueillir ou refuser les Juifs qu'elle souhaitait et leur conférer la nationalité toscane. C'est ainsi que Bonaparte ne put expulser Coen Bacri, d'origine algérienne parce que les Massari juifs de Livourne lui avaient conféré cette nationalité toscane de sorte que l'annexion de la Toscane rendait les Coen Bacri français. Ainsi le devinrent des notables importants de la communauté de Livourne les Cohen Solal d'Alger, les Boujenah, les Salmon et les Bacri d'Alger, les Arbib de Tripoli, les Abudarham de Tétouan et Gibraltar.En rentrant à Tunis les Tunisiens intégrés à Livourne retournaient à leur communauté d'origine pour des raisons fiscales car celle-ci les réclamait.
5- France-Italie. Les conflits italo-français ne sont nés qu'au moment des ambitions coloniales. Avant 1860, date de la création de l'Italie, les Livournais avaient la nationalité toscane. Comme tels ils jouissaient de la protection française. Ils étaient souvent consuls. Le Dr Abraham Lumbroso dans une kettouba de l'époque était désigné comme représentant du royaume de France. Les Livournais d'Alep, de Salonique et d'Alexandrie étaient pour la plupart protégés français. Les grands notables juifs français, tels les Valensi, les Bonan étaient membres de la communauté portugaise. Les Cattan l'avaient été, mais, même quand ils rejoignirent la communauté tunisienne, ils étaient compris dans l'endogamie livournaise. La mère de Victor Cattan était une Moreno, soeur d'Ugo Moreno, notable italien. Sa femme était Allegra Boccara, son fils a épousé une Fiorentino. Ses soeurs ont épousé un Cardoso et un Calò. Toutes les dissensions passées sont excusables car elles ont leur source dans l'histoire. Ce qui serait inadmissible serait une dissension actuelle. Il serait extravagant d'en vouloir aux descendants des Livournais parce que leurs ancêtres se seraient comportés avec snobisme! Ils n'avaient fait que suivre les critères sociaux de l'époque. Dans les filles de Mardochée, l'auteure expose que ses aïeux Slama avaient été d'abord hostiles au mariage de leur fille avec un Smadja, parce que "ils sont très arriérés, très Tunisiens". Il est heureux que ce mariage ait tout de même eu lieu!D'autre part, tels ou tels comportements individuels d'hier ne doivent pas faire l'objet de jugements collectifs aujourd'hui.Enfin, nous vivons en France, et plus dans un Orient divisé en castes.Personne ne peut priver autrui de sa propre mémoire. Ce serait appauvrir notre commune mémoire collective. Lionel LEVY (8 /01 2009)

« MARIAGES MIXTES »

« MARIAGES MIXTES »

Cher ami,

Ton texte « Grana et Touansa » ne peut laisser indifférent, bien que les divergences se soient beaucoup émoussées depuis que les deux communautés ont traversé la méditerranée et se sont fondues essentiellement dans la société française hexagonale. Les décennies aidant, elles peuvent se rapprocher pour tresser ensemble la natte de leurs souvenirs, de leur nostalgie.
La richesse des éléments historiques, psychologiques et sociologiques que tu mets en lumière dans ton analyse me pousse à confirmer que la pire et la plus cocasse des adversités est celle des personnes qui sont du même bord, ont beaucoup en commun mais également une ou des différences qui prennent une dimension d’exaspérante exacerbation, souvent dans une atmosphère de détermination théâtrale.
Naturellement, cela me fait réfléchir sur mon histoire.

Je suis issu d’un mariage mixte et marié à une femme qui n’admet pas du tout qu’elle est issue de même, d’un mariage mixte. Notre union a crée néanmoins quelques remous.
Cette découverte m’a révélé qu’avant ces turbulences, je vivais de manière innocente et heureuse un statut dont je ne soupçonnais pas l’importance et la complexité.
Je vous ai dit le jour de nos échanges sur notre future « chakchouka », inventaire de la mosaïque bigarrée de nos nostalgies, que ma mère était née Spinoza, fille d’Abraham Spinoza et de Reina Ossona (pure lignée Livournaise). Cette information a provoqué chez vous un hochement de tête qui semblait exprimer une certaine considération pour ce nom de famille.
Les Spinoza vécurent à l’Ariana une vie heureuse, imprégnée de l’air pur, du parfum des roses et surtout du goût savoureux de ses bricks à l’œuf.
Malheureusement, ma mère perdit ses parents très tôt, l’un après l’autre et devint avec sa jeune sœur Marie, orpheline vers l’âge de quinze ans. Elles étaient pauvres et furent aidées par oncles et cousins dont l’un Maurice Calvo laisse le souvenir d’une exceptionnelle élégance physique et morale. Son titre de « fondé de pouvoir » de la banque de Tunisie lui assurait une position sociale considérable. Il n’hésita pas à s’endetter pour payer les meubles qui constituaient la dot de ma mère.
Ma mère nous racontait, selon une probable transmission orale, qu’elle était d’une noble origine portugaise. Elle insistait sur la notoriété de sa famille dont le nom était synonyme de monopole du commerce de verrerie et qui occupait rue de la Verrerie, au souk el Grana, un local énorme, fait d’un dédale de dépôts où étaient entreposés des bateaux entiers de verrerie importées.
Après un négoce prospère, des « trahisons » avaient provoqué le déclin mais la notoriété et la respectabilité étaient demeurées.
Elle était fière de ses ascendants parmi lesquels elle comptabilisait Baruch Spinoza qui avait migré à Amsterdam et dont le portrait de profil sur le dictionnaire Larousse, référence de poids, démontrait la signature génétique commune, par l’accentuation d’une petite bosse à la racine du nez qui affirmait l’identité du nez des Spinoza.
Sa fierté n’était pas amoindrie par mes remarques sur la philosophie dérangeante de son ancêtre d’Amsterdam qui lui avait valu l’excommunication des autorités religieuses.
Elle se référait, comme vestige de la grandeur passée, à la fondation d’une synagogue, la synagogue des Spinoza, à côté de la Hara, quartier juif, bastion des Touansa, où par tradition les enchères pour l’attribution des différentes prières se faisaient en ladino.

J’étais donc dans mon enfance, sereinement amusé par cette histoire. Je ne savais pas si la tradition orale ne déformait pas à la longue les événements et si le hollandais rebelle faisait réellement partie de la famille.
Ma mère me faisait penser à une sorte de Cendrillon qui après la transformation du carrosse en citrouille, savourait quand même le rayonnement de l’histoire passée de sa famille.
Elle épousa Maurice Nahum sans que la notion de mésalliance ait pu être évoquée ou vécue.
La renommée du nom de Spinoza permit à ma tante Marie d’épouser Amedeo Attias, un peu âgé et assez malade, qui faisait partie d’une famille livournaise de haute bourgeoisie. Amedeo consentait à épouser sans dot, une jeune fille de bonne famille, impérativement livournaise.
Elle accéda ainsi à la grande vie, dans un vaste appartement de l’immeuble familial de la rue d’Angleterre, à l’ombre du patriarche Daniele Attias. Elle était aidée pour l’éducation de ses enfants par des nurses ou nourrices, solides matrones siciliennes qui offraient aide et sein dont le lait avait ainsi l’indispensable garantie d’italianité et qui en raison de leur nombre ou de leur succession portaient les noms de Marie I, Marie II…

L’identité italienne et juive n’était pas simple à vivre. Dans une même fratrie, un frère sioniste haranguait les foules avant d’émigrer en Palestine pour créer les « moulins de Haïfa », l’autre croyait en Mussolini.
Amedeo vivait sa vie d’italien de manière tellement intense et patriote que quand Mussolini décréta le statut de juifs, il fut profondément choqué et humilié. Le rejet par le Duce de son élan patriotique lui fut fatal. Il fit un coup de sang, une crise convulsive, une attaque cérébrale. On le retrouva mort dans sa baignoire de la rue d’Angleterre. En plein été il avait voulu, disait-on dans la famille, retrouver le plaisir d’un bain relaxant loin de l’inconfort relatif de la maison de villégiature estivale de la Marsa.
Tata Marie perdit son mari au moment où elle était enceinte de son troisième enfant, un garçon dont le prénom Amédée fut facile à trouver et honorer.
Elle retomba dans la précarité en quittant la rue d’Angleterre pour un petit appartement de la rue du Voile, une rue tellement riche en folklore judéo tunisien, à la frontière du quartier juif et de la ville européenne.

Allegra Véra Solas, celle avec qui je partage tant de choses depuis cinquante ans, est née d’Emilio Meyer Solas et de Henriette Couka Saal. Son père Emilio, dernier d’une fratrie de sept enfants est né au septième mois, prématurément de Girolamo Solas et d’Angiolina Modigliani, à Alexandrie en Egypte. Ce négociant en briqueterie, je crois, voyageait dans le bassin méditerranéen entre la Tunisie, la Libye, l’Egypte et l’Italie en emmenant sa famille lors de tous ses déplacements. La citoyenneté italienne était assumée par les obligations militaires. Cet esprit voyageur qui régnait dans la famille mena à la dispersion de la fratrie d’Emilio entre l’Italie, la Libye, la Tunisie et le Maroc.
Une sœur d’Emilio, Frida, avait comme amie Henriette Couka Saal, tunisienne. Par son charme et comme par miracle elle fit naître malgré son origine tunisienne un profond élan amoureux en Emilio Solas. Il arriva même que, pendant la période initiale de leurs rencontres, pour ne pas provoquer la colère ou l’agressivité de René, le frère aîné, l’on cacha Henriette dans un placard.
Il fallut pour qu’elle soit acceptée une véritable « conversion » : elle dut acquérir des réflexes livournais en apprenant l’italien, ainsi que les expressions spécifiques à certaines situations. Elle devint experte dans une cuisine traditionnelle italienne, elle sut confectionner la « Zuppa alla baglia », « i carciofi all’inferno », « l’insalatta bollita »…et de multiples plats très éloignés des références judéo tunisiennes.
Elle prit une certaine distance avec le reste de sa famille tunisienne pourtant géographiquement proche. Il arrivait qu’Emile Solas dans des relations de sympathie et de familiarité « s’encanaille»à parler un approximatif judéo arabe avec ses voisines. Il portait un jugement moqueur au spectacle d’un fiacre rempli par une famille juive tunisienne nombreuse, jusqu’à mettre un enfant à côté du cocher. Et le fiacre était alors défini comme la « carozza degli ebrei » (la voiture des juifs).
Il était très proche de quelques familles ashkenazes, heureusement égarées en Tunisie, avant l’avènement de l’Hitlérisme, attractives car différentes des tunisiennes, par leur culture occidentale.
Son attachement à tout ce qui était italien était profond, inconditionnel et touchant. Ainsi, il arrivait fréquemment que le mercredi ou le samedi, une promenade soit consacrée à aller en famille ou avec des amis italianophiles jusqu’à la pointe de la jetée qui était le prolongement ultime de l’avant port de la Goulette pour voir le bateau italien, superbe paquebot blanc couronné par le drapeau vert, blanc rouge, bandiera tricolore qui figeait ces supporters dans un silence admiratif et ému. Le paquebot lâchait un cri de sirène, grave et prolongé, signe d’adieu avant le grand large, vécu aussi comme un symbole de reconnaissance et signal de retour…
Je découvris, plus tard, que les livournais préféraient les oranges douces, dont la douceur et la délicatesse étaient en harmonie avec leur goût. Je les trouvais un peu fades, adaptées à des occasions d’exception comme les suites de couches ou la convalescence. Dans la corbeille de fruits, les oranges douces cohabitaient avec quelques oranges sanguines maltaises au goût plus agressif, dont la peau avait été marquée d’une encoche blanchâtre pour souligner la différence des affinités et qui m’étaient destinées.
Agacés par ces jugements de supériorité et le raffinement des granas, les tunisiens puisaient dans l’humour, arme du faible ou des moments difficiles, des maximes de raillerie : « el grana i sorbou el ma bel garfou » (les granas boivent l’eau avec la fourchette !).

Emile Solas ne réalisa pas que Lina, sa fille aînée qui cultivait une relation amoureuse depuis l’enfance avec un voisin du grand immeuble de la rue de Bordeaux, Simon Brami, épousait un tunisien, tellement la présence de Simon dans sa maison lui était familière. Ce fut plus une surprise qu’un choc. Les choses ont été moins simples lorsqu’il s’est agi de son autre fille Véra qui après notre rencontre et notre décision de construire notre vie ensemble, informa sa mère et sa sœur de la situation et de notre désir enthousiaste de leur faire partager notre joie.
On m’a rapporté qu’au cours d’un trajet en voiture, elles ont parlé à son père de l’engagement sérieux de sa fille Véra avec moi, un tunisien !
Il fut ému, choqué, fit une embardée et faillit perdre le contrôle de sa voiture. Très crispé au début au moins il prit conscience qu’on allait lui voler sa fille préférée, comme il aimait l’affirmer et que le « voleur » était un…tunisien.
L’origine livournaise de ma mère ne l’avait pas apaisé : un nom ne suffisait pas. Il fallait un « état d’esprit » dont elle semblait dépourvue.

Au terme de notre année universitaire, dès notre arrivée à Tunis, après la rencontre de nos parents, un avis de fiançailles parut dans la « dépêche tunisienne » pour officialiser une situation qui permettait à Véra de tenir la main d’un garçon dans la rue sans risque de compromission. Ainsi, nos familles proches ont appris notre projet d’union par le journal sans avoir été informés oralement et directement comme le voulait la tradition.
Dès la lecture de l’article, Zio Loulou (Raoul), l’oncle de Véra arriva d’un pas nerveux, le visage fermé, à la maison des parents de Véra, suivi péniblement par Zia Tita (Esther) son épouse, toute essoufflée, vêtue du manteau des grandes rencontres avec son col en fourrure et Zia Dindi (Ida), la sœur de Tita, encore plus traînante à cause d’une boiterie liée à une malformation de la hanche, essayant de sauvegarder l’équilibre de son chapeau sur la tête en le maintenant d’une main tremblante.
D’une voix irritée et consternée, Zio Loulou déclara « Ha, l’aveva fatta gia Lina ! » (Ha, Lina, la sœur aînée, avait déjà fait … le coup d’épouser un tunisien).
Il conserva cette restriction au moins jusqu’au mariage puisqu’il offrit comme cadeau un très beau bracelet…pour Véra.

Heureusement, la découverte, le dialogue, l’échange ont permis de gagner une estime et une affection réciproque encore plus solide avec les années.
Il est tellement dommage que ces divisions renforcées par la volonté farouche de ne pas en connaître davantage et apprécier des qualité ignorées, se soient traduites par des jusqu’au boutismes aussi regrettables que cocasses.

On m’a raconté qu’Arturo Attias, le frère aîné d’Amedeo, président de la communauté livournaise, à qui on signalait la pénibilité engendrée par le petit muret qui séparait les cimetières livournais et tunisiens du Borgel, avait déclaré farouchement : « moi vivant, ce muret restera ! »
Le hasard a voulu que je découvre qu’il repose en paix au cimetière de Bagneux, en toute proximité d’un monument funéraire sous lequel reposent un groupe de défunts de ma famille, tunisiens, guerni et ashkenases réunis.
Le bout du chemin de la vie a ainsi aplani les différences, dans le calme du cimetière, dans une union paisible de ceux qui exprimaient à leur manière, une fidélité qu’ils pensaient moralement justifiée à leur identité.
On peut souhaiter que ces lignes qui relèvent d’un amusant folklore bien dépassé puissent ébranler au moins un peu, tous les tenants d’un particularisme exaspéré dans le monde