Bienvenue

Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

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mercredi 11 février 2009

« MARIAGES MIXTES »

« MARIAGES MIXTES »

Cher ami,

Ton texte « Grana et Touansa » ne peut laisser indifférent, bien que les divergences se soient beaucoup émoussées depuis que les deux communautés ont traversé la méditerranée et se sont fondues essentiellement dans la société française hexagonale. Les décennies aidant, elles peuvent se rapprocher pour tresser ensemble la natte de leurs souvenirs, de leur nostalgie.
La richesse des éléments historiques, psychologiques et sociologiques que tu mets en lumière dans ton analyse me pousse à confirmer que la pire et la plus cocasse des adversités est celle des personnes qui sont du même bord, ont beaucoup en commun mais également une ou des différences qui prennent une dimension d’exaspérante exacerbation, souvent dans une atmosphère de détermination théâtrale.
Naturellement, cela me fait réfléchir sur mon histoire.

Je suis issu d’un mariage mixte et marié à une femme qui n’admet pas du tout qu’elle est issue de même, d’un mariage mixte. Notre union a crée néanmoins quelques remous.
Cette découverte m’a révélé qu’avant ces turbulences, je vivais de manière innocente et heureuse un statut dont je ne soupçonnais pas l’importance et la complexité.
Je vous ai dit le jour de nos échanges sur notre future « chakchouka », inventaire de la mosaïque bigarrée de nos nostalgies, que ma mère était née Spinoza, fille d’Abraham Spinoza et de Reina Ossona (pure lignée Livournaise). Cette information a provoqué chez vous un hochement de tête qui semblait exprimer une certaine considération pour ce nom de famille.
Les Spinoza vécurent à l’Ariana une vie heureuse, imprégnée de l’air pur, du parfum des roses et surtout du goût savoureux de ses bricks à l’œuf.
Malheureusement, ma mère perdit ses parents très tôt, l’un après l’autre et devint avec sa jeune sœur Marie, orpheline vers l’âge de quinze ans. Elles étaient pauvres et furent aidées par oncles et cousins dont l’un Maurice Calvo laisse le souvenir d’une exceptionnelle élégance physique et morale. Son titre de « fondé de pouvoir » de la banque de Tunisie lui assurait une position sociale considérable. Il n’hésita pas à s’endetter pour payer les meubles qui constituaient la dot de ma mère.
Ma mère nous racontait, selon une probable transmission orale, qu’elle était d’une noble origine portugaise. Elle insistait sur la notoriété de sa famille dont le nom était synonyme de monopole du commerce de verrerie et qui occupait rue de la Verrerie, au souk el Grana, un local énorme, fait d’un dédale de dépôts où étaient entreposés des bateaux entiers de verrerie importées.
Après un négoce prospère, des « trahisons » avaient provoqué le déclin mais la notoriété et la respectabilité étaient demeurées.
Elle était fière de ses ascendants parmi lesquels elle comptabilisait Baruch Spinoza qui avait migré à Amsterdam et dont le portrait de profil sur le dictionnaire Larousse, référence de poids, démontrait la signature génétique commune, par l’accentuation d’une petite bosse à la racine du nez qui affirmait l’identité du nez des Spinoza.
Sa fierté n’était pas amoindrie par mes remarques sur la philosophie dérangeante de son ancêtre d’Amsterdam qui lui avait valu l’excommunication des autorités religieuses.
Elle se référait, comme vestige de la grandeur passée, à la fondation d’une synagogue, la synagogue des Spinoza, à côté de la Hara, quartier juif, bastion des Touansa, où par tradition les enchères pour l’attribution des différentes prières se faisaient en ladino.

J’étais donc dans mon enfance, sereinement amusé par cette histoire. Je ne savais pas si la tradition orale ne déformait pas à la longue les événements et si le hollandais rebelle faisait réellement partie de la famille.
Ma mère me faisait penser à une sorte de Cendrillon qui après la transformation du carrosse en citrouille, savourait quand même le rayonnement de l’histoire passée de sa famille.
Elle épousa Maurice Nahum sans que la notion de mésalliance ait pu être évoquée ou vécue.
La renommée du nom de Spinoza permit à ma tante Marie d’épouser Amedeo Attias, un peu âgé et assez malade, qui faisait partie d’une famille livournaise de haute bourgeoisie. Amedeo consentait à épouser sans dot, une jeune fille de bonne famille, impérativement livournaise.
Elle accéda ainsi à la grande vie, dans un vaste appartement de l’immeuble familial de la rue d’Angleterre, à l’ombre du patriarche Daniele Attias. Elle était aidée pour l’éducation de ses enfants par des nurses ou nourrices, solides matrones siciliennes qui offraient aide et sein dont le lait avait ainsi l’indispensable garantie d’italianité et qui en raison de leur nombre ou de leur succession portaient les noms de Marie I, Marie II…

L’identité italienne et juive n’était pas simple à vivre. Dans une même fratrie, un frère sioniste haranguait les foules avant d’émigrer en Palestine pour créer les « moulins de Haïfa », l’autre croyait en Mussolini.
Amedeo vivait sa vie d’italien de manière tellement intense et patriote que quand Mussolini décréta le statut de juifs, il fut profondément choqué et humilié. Le rejet par le Duce de son élan patriotique lui fut fatal. Il fit un coup de sang, une crise convulsive, une attaque cérébrale. On le retrouva mort dans sa baignoire de la rue d’Angleterre. En plein été il avait voulu, disait-on dans la famille, retrouver le plaisir d’un bain relaxant loin de l’inconfort relatif de la maison de villégiature estivale de la Marsa.
Tata Marie perdit son mari au moment où elle était enceinte de son troisième enfant, un garçon dont le prénom Amédée fut facile à trouver et honorer.
Elle retomba dans la précarité en quittant la rue d’Angleterre pour un petit appartement de la rue du Voile, une rue tellement riche en folklore judéo tunisien, à la frontière du quartier juif et de la ville européenne.

Allegra Véra Solas, celle avec qui je partage tant de choses depuis cinquante ans, est née d’Emilio Meyer Solas et de Henriette Couka Saal. Son père Emilio, dernier d’une fratrie de sept enfants est né au septième mois, prématurément de Girolamo Solas et d’Angiolina Modigliani, à Alexandrie en Egypte. Ce négociant en briqueterie, je crois, voyageait dans le bassin méditerranéen entre la Tunisie, la Libye, l’Egypte et l’Italie en emmenant sa famille lors de tous ses déplacements. La citoyenneté italienne était assumée par les obligations militaires. Cet esprit voyageur qui régnait dans la famille mena à la dispersion de la fratrie d’Emilio entre l’Italie, la Libye, la Tunisie et le Maroc.
Une sœur d’Emilio, Frida, avait comme amie Henriette Couka Saal, tunisienne. Par son charme et comme par miracle elle fit naître malgré son origine tunisienne un profond élan amoureux en Emilio Solas. Il arriva même que, pendant la période initiale de leurs rencontres, pour ne pas provoquer la colère ou l’agressivité de René, le frère aîné, l’on cacha Henriette dans un placard.
Il fallut pour qu’elle soit acceptée une véritable « conversion » : elle dut acquérir des réflexes livournais en apprenant l’italien, ainsi que les expressions spécifiques à certaines situations. Elle devint experte dans une cuisine traditionnelle italienne, elle sut confectionner la « Zuppa alla baglia », « i carciofi all’inferno », « l’insalatta bollita »…et de multiples plats très éloignés des références judéo tunisiennes.
Elle prit une certaine distance avec le reste de sa famille tunisienne pourtant géographiquement proche. Il arrivait qu’Emile Solas dans des relations de sympathie et de familiarité « s’encanaille»à parler un approximatif judéo arabe avec ses voisines. Il portait un jugement moqueur au spectacle d’un fiacre rempli par une famille juive tunisienne nombreuse, jusqu’à mettre un enfant à côté du cocher. Et le fiacre était alors défini comme la « carozza degli ebrei » (la voiture des juifs).
Il était très proche de quelques familles ashkenazes, heureusement égarées en Tunisie, avant l’avènement de l’Hitlérisme, attractives car différentes des tunisiennes, par leur culture occidentale.
Son attachement à tout ce qui était italien était profond, inconditionnel et touchant. Ainsi, il arrivait fréquemment que le mercredi ou le samedi, une promenade soit consacrée à aller en famille ou avec des amis italianophiles jusqu’à la pointe de la jetée qui était le prolongement ultime de l’avant port de la Goulette pour voir le bateau italien, superbe paquebot blanc couronné par le drapeau vert, blanc rouge, bandiera tricolore qui figeait ces supporters dans un silence admiratif et ému. Le paquebot lâchait un cri de sirène, grave et prolongé, signe d’adieu avant le grand large, vécu aussi comme un symbole de reconnaissance et signal de retour…
Je découvris, plus tard, que les livournais préféraient les oranges douces, dont la douceur et la délicatesse étaient en harmonie avec leur goût. Je les trouvais un peu fades, adaptées à des occasions d’exception comme les suites de couches ou la convalescence. Dans la corbeille de fruits, les oranges douces cohabitaient avec quelques oranges sanguines maltaises au goût plus agressif, dont la peau avait été marquée d’une encoche blanchâtre pour souligner la différence des affinités et qui m’étaient destinées.
Agacés par ces jugements de supériorité et le raffinement des granas, les tunisiens puisaient dans l’humour, arme du faible ou des moments difficiles, des maximes de raillerie : « el grana i sorbou el ma bel garfou » (les granas boivent l’eau avec la fourchette !).

Emile Solas ne réalisa pas que Lina, sa fille aînée qui cultivait une relation amoureuse depuis l’enfance avec un voisin du grand immeuble de la rue de Bordeaux, Simon Brami, épousait un tunisien, tellement la présence de Simon dans sa maison lui était familière. Ce fut plus une surprise qu’un choc. Les choses ont été moins simples lorsqu’il s’est agi de son autre fille Véra qui après notre rencontre et notre décision de construire notre vie ensemble, informa sa mère et sa sœur de la situation et de notre désir enthousiaste de leur faire partager notre joie.
On m’a rapporté qu’au cours d’un trajet en voiture, elles ont parlé à son père de l’engagement sérieux de sa fille Véra avec moi, un tunisien !
Il fut ému, choqué, fit une embardée et faillit perdre le contrôle de sa voiture. Très crispé au début au moins il prit conscience qu’on allait lui voler sa fille préférée, comme il aimait l’affirmer et que le « voleur » était un…tunisien.
L’origine livournaise de ma mère ne l’avait pas apaisé : un nom ne suffisait pas. Il fallait un « état d’esprit » dont elle semblait dépourvue.

Au terme de notre année universitaire, dès notre arrivée à Tunis, après la rencontre de nos parents, un avis de fiançailles parut dans la « dépêche tunisienne » pour officialiser une situation qui permettait à Véra de tenir la main d’un garçon dans la rue sans risque de compromission. Ainsi, nos familles proches ont appris notre projet d’union par le journal sans avoir été informés oralement et directement comme le voulait la tradition.
Dès la lecture de l’article, Zio Loulou (Raoul), l’oncle de Véra arriva d’un pas nerveux, le visage fermé, à la maison des parents de Véra, suivi péniblement par Zia Tita (Esther) son épouse, toute essoufflée, vêtue du manteau des grandes rencontres avec son col en fourrure et Zia Dindi (Ida), la sœur de Tita, encore plus traînante à cause d’une boiterie liée à une malformation de la hanche, essayant de sauvegarder l’équilibre de son chapeau sur la tête en le maintenant d’une main tremblante.
D’une voix irritée et consternée, Zio Loulou déclara « Ha, l’aveva fatta gia Lina ! » (Ha, Lina, la sœur aînée, avait déjà fait … le coup d’épouser un tunisien).
Il conserva cette restriction au moins jusqu’au mariage puisqu’il offrit comme cadeau un très beau bracelet…pour Véra.

Heureusement, la découverte, le dialogue, l’échange ont permis de gagner une estime et une affection réciproque encore plus solide avec les années.
Il est tellement dommage que ces divisions renforcées par la volonté farouche de ne pas en connaître davantage et apprécier des qualité ignorées, se soient traduites par des jusqu’au boutismes aussi regrettables que cocasses.

On m’a raconté qu’Arturo Attias, le frère aîné d’Amedeo, président de la communauté livournaise, à qui on signalait la pénibilité engendrée par le petit muret qui séparait les cimetières livournais et tunisiens du Borgel, avait déclaré farouchement : « moi vivant, ce muret restera ! »
Le hasard a voulu que je découvre qu’il repose en paix au cimetière de Bagneux, en toute proximité d’un monument funéraire sous lequel reposent un groupe de défunts de ma famille, tunisiens, guerni et ashkenases réunis.
Le bout du chemin de la vie a ainsi aplani les différences, dans le calme du cimetière, dans une union paisible de ceux qui exprimaient à leur manière, une fidélité qu’ils pensaient moralement justifiée à leur identité.
On peut souhaiter que ces lignes qui relèvent d’un amusant folklore bien dépassé puissent ébranler au moins un peu, tous les tenants d’un particularisme exaspéré dans le monde

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