Une tentative d'analyse des concepts d’attachement
et d’amour, du besoin de sécurité et de leur évolution au cours de la vie
Jean Belaisch
En quoi cet essai a-t-il acquis le droit de se
glisser parmi des souvenirs nostalgiques de quelques personnes ayant vécu en Tunisie
et qui en ont gardé un amour de la langue française?
La réponse ne peut être claire ! mais je tenterais
de la donner!
J'ai été élevé entre Tunis et la Goulette dans une
famille très religieuse : maman a été horrifiée quand je lui ai dit que j'avais
gouté un canapé surmonté d'un carré de jambon de 2cm carrés !
Puis devenant médecin et contraint à croire dans les
apports de la science moderne je me suis comme tant d'autres éloigné des
commandements ne gardant après une sérieuse péripétie que l'interdiction du
porc.
C'est donc un point sur les interrogations spécifiques
d'un jeune juif de Tunis devenu très vieux qui sont ici rapportées
–––––
Le plan
L'amour
des parents
La mort, l'âme immortelle et l'amour de Dieu
Les prêtres
Il n'est évidemment pas question ici de reprendre
la question de l'existence de Dieu
L'amour entre adultes et ses liens avec la
spiritualité.
Les Arborescences de l'amour
L'amour reproductif.
L'amour "ordinaire de tous les jours et la
petite enfance"
Etre rassuré et être aimé
Pourquoi l'éternité s'insinue-t-elle si souvent aux
côtés de l'amour??
La fin de l'amour
La preuve par l'âge : une décision apparemment étonnante
Un thème surprenant : la Santé !
Les viols
L’amour homosexuel
CONCLUSIONS
Tout est amour et le reste est malentendu
Alain Campagne
INTRODUCTION
L'attachement,
l'amour sont des termes qui se situent dans des domaines à la fois très proches
et divergents. Bien des raisons poussent à penser que l'attachement est le
premier sentiment qui naît dès lors de la toute première enfance et qu'il va se
transmuter au cours de la vie de chaque individu et pour des raisons encore non entièrement élucidées, en amour de multiples formes : pour
les parents, pour Dieu parce qu'il aide à supporter l'idée de la mort, pour une
personne du sexe opposé afin de perpétuer la spirale de la vie et enfin pour
une personne du même sexe. Ces sentiments d'attachement pourraient-il trouver
leur origine dans la sécurité apportée au nourrisson par les personnes qui
l'entourent et le nourrissent? Un essai de réponse à cette question est ici proposé
prenant appui sur les travaux modernes d'éthologie qui, pour ceux qui croient
dans un continuum du règne animal,
jettent une lumière insolite sur les émotions et les comportements
humains. Le besoin d'être rassuré a-t-il
une plus grande importance pour l'homme que pour l'animal ?
Cette tentative est le résultat d'un épisode
dramatique de ma vie de médecin : un très proche parent, qui avait été opéré
deux jours auparavant, avait compris que son état avait subi brutalement une
sévère aggravation. J’avais utilisé toutes les ressources de mon esprit pour
donner une interprétation optimiste des symptômes qu’il me décrivait. Ce parent
avait conclu le dialogue par : "tu me rassures". Le lendemain il
mourait.
J’en ai été très affecté me demandant si je l’avais trompé ou si au contraire
je lui avais permis de mourir dans la paix. Et j’ai pensé que les humains
avaient un besoin immense d’être rassurés qui n’avait peut-être pas été analysé
assez en profondeur, du moins d'après mes connaissances. Cela m’a poussé à ces
réflexions sur la nature sociale de l’animal humain et sur les différentes
formes d’attachement et d’amour y compris pour Dieu, qui le font vivre et
survivre en partie parce qu'elles l'aident à se rassurer.
Les grands philosophes des siècles passés ont tous, quoique plus ou moins
assidûment, étudié la nature de l’attachement entre êtres humains. La
profondeur de leurs réflexions est attestée par la survie de leurs écrits qui
sont encore et toujours étudiés et très régulièrement cités. Cependant les connaissances
scientifiques en matière de biologie et de comportements des animaux ont
beaucoup progressé et ont jeté sur la nature des sentiments et des comportements humains un éclairage qui n'avait
jamais existé auparavant.
Le but de cet essai est donc de mettre l'accent sur
ces connaissances nouvelles et sur les données apportées aux médecins par les
patients qui les consultent.
Un des exemples les plus démonstratifs de ces
connaissances apportées par la biologie
est le fait de Konrad Lorenz* un des fondateurs
de l'éthologie. Ce chercheur, prix Nobel de physiologie et de médecine, a décrit
un comportement qu’il aurait été difficile, sinon impossible, d’imaginer : les
canetons qui viennent de sortir de leur coquille se mettent à trottiner après
le premier être vivant qu’ils auront vu. C’est normalement leur mère mais le
hasard peut en décider autrement, et ce comportement acquis d’attachement à cette
première personne –qui peut être un homme comme Lorenz lui-même - est donc
nécessairement inscrit dans leur gènes.
Cette rencontre doit néanmoins avoir lieu à l’intérieur d’une "fenêtre de
sensibilité" précisément peu de temps après leur arrivée au monde. Certes
on ne doit pas trop rapprocher les animaux des humains et il est patent que des
comportements analogues n’ont jamais été observés chez l’homme, mais on ne peut
non plus nier qu'il y ait d'étroites ressemblances entre les espèces et cette
observation ouvre une magnifique "fenêtre" de compréhension des
sentiments humains. Une des formules lapidaires de Lorenz a été : "Tout ce
à quoi nous consacrons notre vie commence par une émotion " et les lignes
qui suivent nous semblent en être une démonstration. Le mot
"émotion"ne sera pas souvent rencontré dans les pages qui suivent mais ce qu'il représente sera en fait
toujours en arrière-plan dans les idées
développées.
L'amour des parents
Les humains, grâce à la complexification de leur
système neuronal, ont acquis la conscience de leur mort inéluctable. Le petit
de l’homme ne sait pas qu’il va mourir, mais il comprend vite qu’il
"mourra de faim" si ses parents ne le nourrissent pas. Et il est
immédiatement rassuré lorsqu’il voit qu’ils sont là - sa mère surtout - pour
lui donner sa nourriture quotidienne. On verra plus loin que l'enfant
attend peut-être aussi quelque chose d'autre et qui pourrait lui être plus nécessaire même que sa nourriture.
Cette reconnaissance est donc personnalisée. Et parmi toutes les personnes
vivant autour de lui, il sera polarisé vers ses parents ou la personne qui en
aura tenu lieu et il en concevra en partie de façon inconsciente un sentiment
fort qui va durer très longtemps, généralement toute une vie : une
reconnaissance pour la quiétude qu’ils lui ont apportée pendant les jours où il
n’avait aucun moyen personnel de se défendre. En échange de leur attention, il
leur offrira dès ses premières semaines un des plus extraordinaires présents
que la nature ait mis au point : son sourire innocent. Et on ne peut douter
qu’il prenne vite conscience de l’efficacité de ses mimiques puisqu’il
continuera à en user avec toutes les personnes qui lui sont chères ou utiles.
Un autre apport de l'étude des comportements
animaux complémentaire et surprenant doit être ici rappelé. Ce sont les
expériences de Harlow** qui ont montré à quel point le contact, peau contre
peau, avec leur mère était indispensable aux petits singes pour qu'ils
survivent en bonne santé mentale.
Harlow a privé de très jeunes singes de leur mère
et il les a mis au contact de mères de substitution fabriquées soit en fil soit
en éponge. Les mères de substitution en éponge étaient toujours préférées aux
mères en fil, même lorsque ces dernières proposent de la nourriture fournie par
un biberon. Ces contacts doux semblent posséder un effet protecteur puissant puisqu'ils
étaient considérés par les petits singes comme plus importants que le lait.
Lorsque l'expérience se prolongeait ces jeunes singes séparés de leur mère
étaient atteints de troubles graves du comportement. Harlow a considéré que ses
expériences révélaient un comportement d'amour
et il a préféré ce terme à celui plus conventionnel d'attachement. Bien des
faits concernant les comportements humains sont venus montrer que ces résultats
pouvaient s'appliquer à notre espèce. En particulier; on le verra plus loin, ceux
des enfants abandonnés qui n'avaient jamais bénéficié de la moindre marque
d'affection et dont l'adoption a donné lieu à de véritables drames.
La mort, l'âme immortelle et l'amour de Dieu
L'enfant
grandit, atteint l’âge adulte. Il comprend qu’il va mourir, et, bien
pire, que ceux qu’il aime vont eux aussi cesser de vivre, et il est saisi de
panique. Tout ce qui a été fait pour lui par ses protecteurs et tous les
efforts qu’il a faits lui-même pour survivre et faire vivre les siens, vont
s’annihiler et sa vie s’achèvera irrémédiablement comme celle de tous ceux qui
l'entourent, du moins en apparence. Cette inquiétante certitude exigeait donc une
élaboration psychique lui permettant de supporter la fin catastrophique qu'il a
observée.
La solution n'a sans doute pas été facile à trouver mais les hommes –quasiment
de toutes les civilisations - en ont, après des centaines de milliers d’années
de recherche, trouvé une sans nier qu'elle reste néanmoins hypothétique : il
suffirait qu’après la mort, une forme de vie se poursuive. Comme le corps est
désormais manifestement voué à la destruction, ce qui survit est l’âme, d’une
nature tout autre que corporelle, détentrice de 2 qualités essentielles, elle
est impérissable et immortelle. Cette vie des âmes est régie
par un être éternel pour qui la mort n'a aucun sens. Cet être suprême, se situe
presque par définition en un lieu inatteignable, l'endroit le plus
vraisemblable étant le ciel ou tout l'univers. Dieu est donc par définition
celui que fait revivre les morts comme cela est écrit dans la prière majeure
des juifs (l'amida). A priori Il éprouve un amour sans borne
pour l'humanité. Comme sa fonction est de rassurer les hommes il se doit qu'à
son tour, il soit l’objet d’un amour inaltérable de leur part.
Si on accepte cette séquence, qui bien que moins
qu'au cours des siècles passés, est assez largement acceptée aujourd'hui, Dieu
ayant créé le monde et les humains à son image, ceux-ci n'ont en effet pas de
soucis à se faire sur leur propre éternité.
Cependant, selon un point de vue tout à fait opposé, Dieu serait avant tout, une
découverte des hommes. L'amour pour leurs parents qui naît si facilement, si
"naturellement", aurait servi de modèle à l'amour qu'ils éprouvent
pour Dieu. C'est cet amour qui a permis aux humains d'accéder à l'intuition de
l'existence divine. Celle-ci pouvant être réelle ou purement imaginée.
La première façon de voir les choses a été décrite
dans les grands livres de l'humanité. Elle a été enseignée à tous les humains
depuis leur enfance: les hommes ont été façonnés par Dieu qui les a animés en insufflant une âme dans leurs
corps d'argile c'est à dire fait de la terre sur laquelle ils vivent. Nous la
développerons plus loin.
Les incroyants et tous ceux qui doutent s'interrogent
: à partir de quand les primates se rapprochant des humains ont-ils été dotés
d’une âme ? Et, se prévalant d'une grande naïveté demandent comment peut être gérée cette addition
exponentielle de nouvelles âmes qui, s'étant séparées de leur enveloppe
charnelle, arrivent au ciel tous les ans ? Les croyants pour leur part
considèrent que ces questions n'ont pas le moindre sens tant le pouvoir de Dieu
est inchiffrable. Ce débat met cependant l'accent sur la profondeur abyssale de
la faille qui sépare les croyants des athées incapables de vastes abstractions.
Une histoire très humaine, qui peut être interprétée de façon diverse,
semble en faveur d'un rôle de l'amour pour les parents dans la genèse de
l'amour pour Dieu sans que la démonstration soit inattaquable. Un jeune homme
se sentait psychologiquement fragile et peu à l'aise dans sa religion. Il passe
un jour devant un temple protestant. Il y entre, écoute l'office et la lumière
se fait en lui. C'était clairement la religion dont il pressentait l'existence.
Conversion et pendant plus de 60 ans il se sent en accord avec lui même et bien
dans sa religion. Il le déclare d'ailleurs volontiers aux nouvelles
connaissances avec lesquelles il est amené à parler de sa vie. La mort
s'annonce et il décide à la surprise de son entourage qui le comprend cependant
très bien, qu'il préfère retourner à la foi de ses pères parce qu'il veut être
enterré à côté de sa mère!
Les prêtres
La présence de prêtres dans toutes les religions contribue à l'ambivalence des
explications. Puisque Dieu est invisible, impalpable, qu'il ne leur parle pas -ou
plus-, il est apparu utile pour que les hommes puissent affermir leur croyance
en cet être suprême, qu'il ait des intermédiaires sur terre, des points
d'ancrage présents qui transmettent ses volontés. Les hommes pourront
rencontrer ces intercesseurs qui contribueront à les apaiser en leur enseignant
ce que les vivants doivent faire pour avoir leur chance de survivre dans une
paix éternelle, après la fin de leur vie terrestre. Et s’ils se comportent
vis-à-vis de l'Eternel, comme ils l’ont fait envers leurs parents, ils auront
des chances d’être élus pour cette forme de vie post mortem.
Cependant, même si Dieu a été imaginé par les humains pour les rassurer,
certains d’entre ceux-ci n’ont pas manqué de chercher à utiliser cette
puissance suprême et ineffable pour guider les humains dans leur parcours
accidenté sur la terre et canaliser, autant que faire se peut leurs instincts
trop souvent ontologiquement égoïstes et guerriers. L'objectif d'apaiser les
craintes des hommes n’est donc pas seul en action dans cette relation
transcendante ! Et il ne serait pas impossible qu' ils aient, par la suite,
voulu profiter de ces craintes pour assoir un pouvoir personnel.
Il n'est évidemment pas question ici de reprendre la question de l'existence
de Dieu
mais de discuter des attitudes humaines.
Cette façon simple sinon simpliste de considérer
que le concept de divinité suprême est né dans l'esprit des hommes pour leur
permettre d'échapper à l'angoisse (à juste titre appelée existentielle)
est-elle cohérente ?
L'amour filial et l'amour pour Dieu le père sont certes très ressemblants comme
les prières dans toutes les religions le démontrent depuis des siècles.
Cependant, cette explication rencontre bien des obstacles.
Est-il possible d'admettre que Dieu soit une pure production de l'imagination
de l'homme alors que des milliards d'humains croient en lui. La résistance de
leur foi à tant de malheurs affreux et de catastrophes naturelles qui
engloutissent des centaines ou des milliers d'humains à la fois n'est-elle pas
une preuve de son existence ? Comment en particulier des juifs qui ont survécu
aux camps de destruction continuent-ils à trouver des raisons de croire en ce
pouvoir supérieur à tout autre qui a laissé faire des crimes aussi insensés…?
Les textes des prières tant ceux des Juifs que ceux des Chrétiens ou des
Musulmans, ne peuvent manquer de frapper par la proximité qu'ils révèlent entre
l'homme croyant et Dieu et par la confiance absolue en son omniprésence dont
ils témoignent, alors que, par exemple pour les juifs, il a cessé de leur
parler depuis au moins 2500 ans. Dieu accompagne à tout instant d'innombrables
humains dans leurs pensées et leurs actes, y compris ceux qui paraissent être de bien peu d'importance. Il faut donc qu'un
lien d'une nature mystérieuse relie la divinité à l'humanité pour qu'une si
grande proportion de ses membres soit persuadée de sa puissance et de son règne
au point de lui consacrer une part majeure de leur vie.
A l'inverse, même si Dieu s'est retiré
volontairement du monde pour laisser l'homme exercer son libre arbitre et
améliorer la création divine, Il est toujours présent et son activité, même si aucun
humain ne peut véritablement penser sa nature, devrait donc au moins s'exercer
dans des cas extrêmes. Et selon les affirmations dont les scientifiques
prétendent qu'elles sont confirmées tous les jours par de nouvelles
expérimentations, son règne devrait s'exercer, non pas seulement dans le
minuscule système solaire, mais dans tout l'immense univers galactique découvert
par les télescopes d'aujourd'hui, (sinon dans les Multi-vers -par opposition à
l'Uni-vers- évoqué aujourd'hui par les savants.
Si on continue à s'interroger sur les raisons pour lesquelles la foi dans les
dogmes religieux est si forte chez tant
d'hommes de tous les niveaux d'intelligence et de culture, (en dehors des cas où ils ont un intérêt direct comme
les dignitaires de toutes les églises, à croire dans l'existence de l'Eternel)
on est conduit à se poser de nombreuses questions :
- Serait-ce parce Dieu qui l'a créé a mis dans le programme génétique de
l'homme une aptitude à croire en lui?
- ou à l'inverse que leurs parents ont assumé leur
fonction rassurante à la perfection ou encore parce que la foi en Dieu de ces
parents était si grande que leurs enfants ont été obligés sans qu'ils en aient
conscience de persévérer dans la même voie ?
- Est-ce parce que les circonstances de leur vie ont fait qu’ils ont été
impressionnés par l’idée de la mort plus que la majorité des humains
- Est-ce l'effet de la qualité de l'enseignement
qu'ils ont reçu des prêtres dans leur jeunesse ?
- Est-ce simplement parce qu’une certitude qui a mis tant de temps à
s’installer dans le cerveau des hommes ne peut s’en détacher si vite?
- est-ce enfin parce que le besoin de se rassurer
dans humains est trop fort pour laisser la place à un doute délétère.
"Grâce au ciel" et pour d'autres raisons qui existent certainement, ces
humains bénéficient donc de défenses qui les aident à vivre, et c'est sans
doute pourquoi les découvertes "scientifiques" qui ont battu en
brèche certaines des affirmations des textes bibliques fondamentaux n'ont pas de
prise sur eux.
Dans la pratique et depuis des temps immémoriaux la demeure de l'homme c'est l'horizon, Aussi l'homme franchit-il
sans cesse cette ligne qui sépare la terre et le ciel parce qu'il ne se sent
tout à fait bien ni sur l'un ni dans l'autre, tentant tous les jours ou presque
d'envoyer des prières vers le haut et inéluctablement ramené sur la terre par
la gravitation dont il a découvert les lois, et par ses appétits digestifs et
sexuels auxquels il est contraint d'obéir s'il veut vivre !
On a imaginé
à ce propos une belle image : les
humains ont envoyé des racines vers le ciel, symbole qui nous fait penser
que la question de l'existence de Dieu ne sera probablement jamais entièrement
résolue ni même celle des origines des croyances religieuses.
Pour sortir de cette aporie, on peut, comme l'a fait Spinoza assimiler Dieu à
la nature: Deus sive natura, ou alors
adopter l'attitude de grands savants qui ont choisi d’établir une franche
distinction entre les observations de la science moderne et la relation qu’ils
ont avec Dieu. Ils insistent sur notre ignorance de ce que devient l’âme - en
laquelle les chercheurs des neurosciences ne croient pas- après la mort. Et
placent ces deux modes de pensée sur des plans différents. Et ainsi ce qui
rationnellement semble impossible devient émotionnellement intelligible : il me devint clair qu'il y a une différence
entre la science qui ne traite que des interrelations entre les phénomènes et
la religion qui révèle l'essence des choses et leur objet ( Herman Branover
cité par Gilles Kepel***). On peut même simplement se dire comme le prix Nobel
Niels Bohr que l'opposé d'une vérité profonde
n'est pas une erreur elle peut être une autre profonde vérité !
Preuve de plus de la puissance de la croyance dans
l’Etre Suprême, je suis saisi moi-même, en écrivant ces lignes, par la terreur
d’être blasphématoire. En même temps, ce concept d'amour divin secondaire à
celui pour les parents est conforté, par la curieuse impression que les mots et
les expressions qui désignent l’amour divin sont adaptés comme des pièces d’un
puzzle aux descriptions communes de l’amour filial : Notre père qui êtes aux cieux !
Tout est dit dans cette phrase qui suffit à montrer qu’il est de la plus grande
banalité de faire découler l'un de l'autre les deux amours. Cependant la
recherche des raisons de la résistance par tant d'hommes et de femmes
universitaires aux apports de la science, mérite cet essai d’approfondissement.
L'amour entre adultes et ses liens avec la spiritualité.
Après
les liens verticaux du petit aux grands et même au plus Grand, on peut en venir
à la forme d'amour entre humains bien plus banalisée et quotidienne et qui n'en
est pas moins toujours mystérieuse.
L'histoire de l'homme montre qu'il a suivi une ascension régulière vers
l'abstraction. Il n’a donc cessé d'étayer métaphoriquement ce qu’on a pu
appeler « l’hypothèse déiste » par des textes d'une haute élévation spirituelle
qui maintiennent l'ambigüité. Parmi ceux-ci l’un des plus connus est le
Cantique des Cantiques. Et il serait difficile de trouver une illustration plus
poétique, plus profonde et plus probante des analogies et du tissage étroit
entre l'amour pour Dieu et l'amour pour l'être aimé que ce magnifique texte
sacré qui flirte sans cesse avec le plus délicat érotisme. Ce poème
"éternel" nous montre que les
innombrables facettes de l'amour sont si voisines les unes des autres qu'il est
quasiment impossibles de les dissocier. A
fortiori toute tentative de
représentation d'un tableau global visant à éclairer toutes les nuances de
l'amour est vouée à l'échec. En outre, les cheminements de l'esprit humain
divergent en d'innombrables directions lorsqu'un
sujet est captivé par une personne du sexe opposé. Cependant, on doit bien aussi
reconnaitre qu'un substratum biologique a les plus grandes chances de se
trouver caché quelque part dans cette attraction mutuelle ou non réciproque.
Les arborescences de l'amour
Les humains ont réussi à inventer des formes
d'amour presqu'aussi nombreuses que les jours de l'année : outre la sexualité
toute animale qu'ils ont bouleversée, ils ont magnifié l'amitié, la sensualité,
l'attirance, l'attachement, la douceur et la violence dans les rapports entre
les sexes et même créé un troisième sexe avec la notion de genre qui s'écarte
des réalités biologiques, quoique peut-être moins radicalement que ne le pensent les
sociologues. En outre les points de croisement sont multiples entre ce que ces
mots recouvrent. De même dans les récits réels ou imaginaires que les humains
en font, on peut observer que les nuances sont continues entre le plaisir tout
simple éprouvé à la rencontre, la vision, l'audition d'une personne vers
laquelle on se sent attiré, et le pas de plus, que constitue le toucher et enfin
la rencontre sexuelle vraie.
D'autre part, s’il est clair que l'existence d'un
sentiment amoureux pimente la relation sexuelle et lui donne une tonalité
agréable, on ne peut nier aussi que pour certaines personnes seul importe
plaisir sexuel à l'état brut. Mais est-on
alors encore dans le domaine de l'amour.?
Si l'on peut couvrir l'ensemble de ces thèmes,
c'est donc en les abordant à l'aide du concept simple de relations de chaque individu avec le monde qui l'entoure susceptibles d'engendrer du plaisir. Ce
plaisir, qui est en étroite intrication avec le désir sexuel dont les
manifestations animales sont bien connues, a le plus souvent pour finalité
d'inciter chez les humains à la création
d'un nouvel être .
Cependant il peut perdurer, chez certains êtres alors que les possibilités reproductives ont
disparu.
L'amour reproductif.
La fonction de cette forme d'amour est si importante que la nature a mis en
œuvre pour que naisse ce troisième homme un ensemble de systèmes dont
l'inimaginable complexité et la cohérence surprennent tous ceux qui l'étudient.
Avant de se pencher sur l'amour classique entre un homme et une femme, il est
donc indispensable de dire quelques mots sur l’amour reproductif pour montrer
que ce soubassement ne peut -ou ne devrait ?- jamais être négligé quand on veut
décrire les caractéristiques de l’amour entre humains.
L’amour reproductif est la résultante de deux forces dont le poids varie selon
les couples :
- celle de la vie, évidente mais dont personne n’est tout à fait conscient ; le
vivant ne peut en effet, mériter ce qualificatif que s’il est capable de
survivre- or la reproduction est la seule qui le lui permette.
- et celle qu'il apporte aux deux membres du couple. Chacun des deux se sent
rassuré dans son estime de lui-même puisqu'un autre lui envoie un double
message : il lui dit: tu es digne d'être aimé (e) et en même temps lui annonce
qu’il donne son accord pour la création d’un ou plusieurs enfants avec elle ou
lui -enfants qui prolongeront son passage spécifique sur la terre.
Et nous allons donc tenter de prouver que les bases biologiques de
l'amour-sentiment sont d'une indéniable puissance.
Un enfant ne peut naître que si un spermatozoïde a pénétré un ovule. Or cette
rencontre et cette fusion mettent en oeuvre pour avoir lieu, une telle cascade
de phénomènes qu'il faudrait un livre entier (qui a d'ailleurs été écrit
plusieurs fois) pour entrer dans tous ses détails.
Que l'on pense simplement d'abord au cycle menstruel féminin tout entier dévolu
à la reproduction et qui implique non seulement l’utérus et ses trompes, les
ovaires qui expulsent un ovule par mois, mais aussi le système nerveux,
l'hypophyse et de nombreuses cellules du
tissu graisseux qui sécrètent une pléthore d'hormones jusque là inconnues et
qui, en fait, jouent ici un rôle immense. Et, dans le deuxième sexe, au
phénomène plus simple seulement en apparence, et continu de la sécrétion de la
testostérone chez l'homme et à la libération quotidienne de myriades de
spermatozoïdes.
Pour montrer la minutie de cette organisation, jetons un coup de projecteur sur
un rapprochement très intime: la pénétration du spermatozoïde dans l'ovule.
Pour que cette cellule mobile traverse la membrane qui entoure et protège
l’ovule, il est indispensable que pas moins de 3 systèmes de molécules
complexes et complémentaires soient fabriquées à la fois par le spermatozoïde
et l'ovule et libérées à un moment précis au fur et à mesure de l'avancée du spermatozoïde,
assurant ainsi la spécificité de chaque
espèce!
D'un autre côté, toute cette industrie ne servirait de rien si l'homme et la
femme ne se rapprochaient pas. Et la nature a donc prévu un second système,
infiniment plus compliqué, pour qu'une attirance naisse implacablement entre
ces deux sexes. Un système qui comporte une part hormonale –les hormones
sexuelles****- et une autre qui se déroule dans le cerveau où se fabriquent et
voyagent à toute vitesse des molécules chimiques - les neurotransmetteurs-
essentielles au jaillissement des sensations de plaisir et aux mécanismes de
récompense. Ce sont les sérotonine, endorphines, dopamine, ocytocine etc. qui
sont libérées sous forme de pics tandis qu'à d’autres périodes ce seront des
molécules d’action inverse qui seront relarguées. Chacun aura reconnu ici la «
versatilité » des sentiments éprouvés en quelques secondes par tous les
amoureux.
De plus, la dualité des sexes a également une conséquence liée à leur
complémentarité : le désir de pénétration dans les deux sens du mot
"pénétrer et être pénétrée" qui se complète par un sentiment de
fusion et s'accompagne de ce plaisir tellement particulier imaginé par la
nature –ou que la nature a sélectionné tellement il était « bon » pour parler comme
la bible- pour pousser à la répétition du geste. Le tout se passant aussi bien
dans le cerveau et la
moelle qu’au niveau génital. Cette fusion procure en outre, une sensation
d’éternité, source probable du doublet Amour-Toujours !
Aujourd'hui certains n'hésitent pas à minimiser le
rôle du biologique pour insister sur tout ce que la culture a apporté aux
comportements humains. En fait, et même s'ils ont parfaitement raison de le
faire, il est clair pour toute personne qui veut prendre en compte la
complexité de ces phénomènes, que les effets de la culture ne s'exercent qu'à
partir d'une base anatomique et hormonale, elle même conditionnée
génétiquement, en un échange permanent et durant toute la vie,.
L'amour "ordinaire de tous les jours " et la
petite enfance
Un retour s'impose ici sur la petite enfance. Immenses sont les conséquences
des conditions dans lesquelles ont été vécues les premiers mois de la vie de
l'enfant (et bien entendu, quoique probablement à un moindre degré, des années
suivantes) sur les formes d'attachement, d'affection et d'amour qu'il éprouvera
et manifestera au cours de son existence.
Une preuve impressionnante et démonstrative de ces conséquences est apportée
par le cas, au moins en France comme en Espagne, des enfants roumains abandonnés
et adoptés tardivement -mais les effets sont les mêmes pour tous les enfants du
monde qui ont vécu le même calvaire.
Ces enfants orphelins ou abandonnés sont laissés trop souvent dans leur pays pendant
des années dans un état de solitude affective effroyable. Et trop souvent
encore ils ne sont adoptés qu’après l’âge de 5 ans. Ils ne peuvent se faire,
pendant la période où ces notions s’impriment normalement dans le cerveau,
aucune idée de ce qu’est une relation affective chaleureuse et sincère. Et encore
moins de l’amour entre adultes et enfants. Aussi, surtout lorsqu’ils
parviennent à l’adolescence et parfois bien avant, quelque soit le comportement
et les efforts de leurs parents adoptifs, ils se révèlent incapables de
répondre par un comportement d’affection réciproque et ne disposent d'aucun
moyen de contrôler leurs pulsions agressives. Ils vont parfois très loin dans
leurs comportements délictueux créant des situations ingérables pour leurs
parents. Et une enquête espagnole récente a abouti à la conclusion que les
futurs parents avaient été insuffisamment informés des difficultés de leur
entreprise.
Ces observations ainsi que les impressionnantes études de Konrad Lorenz et de
Harlow peuvent aider à mieux comprendre les fondements de l'amour terrestre, ordinaire,
sur lequel nous allons ajouter quelques
réflexions dans le cadre de cet
examen panoramique des différentes sortes d'attachements humains. On a observé
au cours de ces dernières années qu'ils sont bien plus proches qu’on ne le
pensait de ceux que manifestent plusieurs espèces animales, ce qui est bien
normal, la fonction reproductive de cette attraction étant naturellement
analogue dans les espèces vivantes sexuées.
Etre rassuré et être aimé
En quoi ce sentiment aux formes si diverses dépend-il du besoin d'être réassuré
? Et comment ce besoin s'associe-t-il aux exigences de l'amour reproductif ?
Les architectes insistent sur le fait que l'endroit où un humain se sent le
mieux est un coin. Il est protégé par les 2 murs qu'il a derrière lui et il voit
à travers des ouvertures ou des fenêtres placées devant lui, l'espace d’où
pourrait venir l'adversaire. Il est donc, autant que faire se peut, rassuré. Ce
que la rencontre amoureuse apporte, entre autres évidemment, c'est le sentiment
que l'autre vous a compris et vous apprécie, qu'il partage vos goûts, a des
affinités analogues et par conséquent qu’il
ne vous froissera pas. Donc d'une
façon ou d'une autre qu’il se comportera comme vos parents ou les personnes qui
vous ont fait du bien durant la période où vous étiez fragile et dépendant. Et
l'on comprend alors les dégâts apparemment excessifs que peuvent causer une
phrase ou un geste de l'être aimé qui ne correspond pas à la haute idée que se
faisait de lui son amoureux! Descartes avait perçu le rôle de l'empreinte quand
il disait qu'il avait une prédilection pour les femmes atteintes d'un léger
strabisme en raison de ce qu'une des personnes qui s'était occupée de lui avec
beaucoup d'affection dans son enfance présentait ce petit défaut.
Nous poursuivrons donc périlleuse cette tentative sans méconnaitre la justesse
de toutes les critiques qui ne peuvent manquer d’être déversées sur un tel
essai. Il n'est pas imaginable en effet que quelqu'un puisse prétendre être capable
de tirer la substantifique moelle de tous les dialogues, confessions, chansons,
livres, films qui en ont fait leur thème principal, quelque soit l’expérience
que il a pu acquérir au contact de centaines d'êtres humains. Il n'est pas
pensable non plus que l'on puisse être à même de démonter les mécanismes de
toutes ces formes d'attachement !
Cependant, cet amour aux formes si variées entre dans la cohorte de l'ensemble
des sentiments et des pulsions éprouvés par les humains et il ne paraît pas «
illogique » au médecin que je suis de rapporter ici quelques données concernant le but majeur de la
rencontre que l'amour entre humains rend possible, c'est à dire à la
"production" d'un troisième être. Rencontre essentielle car indispensable à la prolongation de
l'existence de cette espèce sur la terre.
L'accent mérite d'être mis sur cette réalité car
elle est trop souvent tenue pour négligeable ou terre à terre par de grands
intellectuels qui sont parfois simplement trop ignorants de ces «choses» et ne
peuvent donc prendre en compte la puissance des forces biologiques sous-tendant
les sentiments qu’ils décrivent si poétiquement et qui se sont édifiés
progressivement depuis l'enfance, alors que pour les biologistes elles sont le
fondement de toute vie.
Nul n' ignore que l'amour c’est tout à la fois : le
coup de foudre, les manœuvre d'approches, la passion, les déclarations
enflammées, le sentiment de joie profonde et de toute puissance, ainsi que
l'impression de l'infinie beauté du monde ressentie à la condition essentielle
que cet amour soit déclaré réciproque…
- C'est le besoin d'être proche physiquement et mentalement de la personne
aimée et ce sont, lorsque l'autre n'est pas en phase, les insupportables hauts
et bas de l'humeur qui ont fait dire à un humoriste qu'il était dans le tambour
d'une machine à laver tournant à une vitesse variable! En fin de compte combien
nombreux sont ceux qui ne savent pas s'ils doivent bénir ou maudire le jour de
leur rencontre fatidique et qui
répondent différemment selon les jours.
- l'amour en effet, c’est aussi la jalousie inépuisable et taraudante, et,
lorsque la rupture est consommée, les comportements délirants ou lamentables
que les sujets sensés n’imagineraient pas d'adopter tant qu’ils vivent une
existence «normale» jusqu'au jour où eux aussi sont emportés par la même vague
du doute qui ronge et qui détruit !
- Enfin ce peut être l'amour éthéré, en apparence purement intellectuel, où
tout semble se dérouler sur le plan des émotions et des sentiments sans la
moindre intervention dans le domaine de la génitalité. En réalité et rares sont
ceux qui l’admettent, quelle que soit la nature des sentiments éprouvés
consciemment par les deux amoureux, il faut bien désormais admettre que
l’attraction physique, physiologique, sensuelle, organisée depuis des millions
d'années par la nature n'est jamais très loin, tant ses bases sont puissantes
et solides et tant elle fait partie intégrante des mécanismes grâce auxquels la
vie des mammifères s'est pérennisée depuis leur apparition sur cette terre,
même si le fantastique cerveau humain a su les transmuter par son alchimie
élucubratrice.
L'amour physique n'a bien sur pas davantage échappé
à ces complexifications dont le fameux kamasoutra est un témoin achevé.
Pourquoi l'éternité s'insinue-t-elle si souvent aux côtés de l'amour?
Toutes ces formes d’amour exigent, semble-t-il, d'être liées à une forme de
pérennité et même d'éternité.
Certes ce fantastique back-ground de la sexualité qui remonte à la nuit des
temps peut être qualifié d’éternel. D’autre part quel serait le sens et le pouvoir d'un amour qui ne s'annoncerait
pas comme éternel ? Alors que les buts que la biologie lui assigne exigent que
non seulement il conduise à un rapprochement fécondant mais aussi que les deux
membres du couple élèvent les enfants qui naîtront de leur union jusqu'à leur
autonomie. Est-ce cependant la seule
raison pour laquelle l’amour se déclare comme éternel ? Cet amour dont tant
d’histoires viennent prouver qu’il peut être très bref, pourquoi a-t-il, à un
moment ou à un autre, eu l’audace de se déclarer « pour toujours » ? On l'a vu
les hommes courent après l'immortalité !
L'explication de la mansuétude dont les
juges témoignent envers les crimes passionnels depuis des temps immémoriaux est
peut-être à rechercher dans cette idée d’éternité ? Ces crimes ne sont-ils pas
la conséquence de l’obligation perçue par les abandonnés, d’empêcher la
personne qui leur a juré l’entente éternelle, d’avoir une chance de faire la
même promesse à un autre homme ou une autre femme.
Mais surtout ne signifie-t-il pas qu’il s'apparente à l'amour pour les parents
ou pour Dieu ?
L'amour platonique qui se présente comme débarrassé des scories biologiques et
s'affirme purement "cérébral" et d'essence spirituelle prétend
davantage encore être éternel.
Comment l'expliquer? Peut-on recourir à la théorie mille fois entendue qui fait
jouer un rôle au développement spécifique du lobe frontal du cerveau des
humains qui les pousse vers l'abstraction, les arts, le ciel et à se dégager
des pesanteurs terrestres ? Cette explication est très probablement vraie parfois
mais elle est bien optimiste. Il est loin d'être exclu que la peur ne joue le
plus grand rôle dans cet arrêt sur le parcours du couple. Peur de ne pas
pouvoir supporter l’idée que l'autre
puisse un jour, comme cela est arrivé si souvent, vous décevoir, vous tromper
ou vous abandonner. Et plus souvent peut-être chez les sujets plus fragiles en
ce qui concerne le fonctionnement de leur système sympathique ou hormonal, la
crainte (masculine surtout mais non exclusivement ) de décevoir les attentes de
l'autre sur le plan banal des performances sexuelles. Et parfois d'un moindre
désir féminin résultant précisément d'un déficit hormonal qui aplatît le désir
physique.
La fin de l'amour
Quand deux personnes s'aiment ça ne peut
jamais bien finir *****
Une autre question autrement plus complexe est celle de la disparition de
l'amour, subite et inattendue pour la personne qui n'est plus aimée et parfois
aussi pour celle qui s’aperçoit qu’elle n'aime plus. Est-ce la déception provoquée
par une prise de conscience brutale de différences de caractère ou de
conceptions passées inaperçues auparavant? Est-ce parce que l'un des deux a
pris conscience des limites du bonheur que le past-aimé pourrait lui apporter
ou au contraire de ce que l'autre a mis la barre trop haut? Peut-être aussi
celui qui s'échappe a-t-il eu le sentiment d'étouffer dans l'enclos où son
amoureux l'avait cloîtré sans s'en rendre toujours compte?
Chacune de ces explications peut être la bonne. Et, question qui en découle,
pourquoi les chagrins d'amour sont-ils parfois si graves? Pourquoi poussent-ils
si souvent au suicide? A un suicide parfois complètement imprévisible pour
l'entourage qui voit avec stupeur le meilleur des deux amants, sujet
généralement de grande qualité humaine, se supprimer parce que son
"conjoint" depuis quelques mois, souvent humainement peu intéressant,
l'a quitté. On le comprend si c'est la deuxième ou troisième fois qu'il ou elle
a été abandonné. Mais ce n'est habituellement pas le cas, et pourtant il pense
: "C'est une preuve de plus de ma piètre valeur pour les autres. Pourquoi
alors exister ?" Et il faut sans doute aussi remonter à la première
enfance pour retrouver des facteurs fragilisants bien enfouis et parfois liés à
une attitude parentale ambigüe.
Nous n'entrerons pas ici dans la question des couples qui se défont après la
naissance d'un enfant que la mère ou moins souvent le père ont investi à ce
point que l'autre se sent intolérablement abandonné. L'explication est alors
trop simple pour être mise en doute quoiqu'à l'évidence elle soulève aussi une
cascade de questions.
La preuve par l'âge
: une décision apparemment étonnante
Les progrès de l'hygiène et de la médecine ont
conduit à un accroissement incessant du nombre de très vieux parents. Et on
voit avec surprise, parfois consternation, ailleurs admiration, certaines
femmes choisir de vivre jusqu'à leur disparition avec leur vieux père ou leur
vieille mère et quitter leur mari -qui trouvait trop pénible la vie avec une
personne âgée et démente. Et cela pour
se consacrer à un parent qui parfois ne
les reconnaît même pas. Cela nous semble une preuve inattaquable de ce que le
premier amour est bien initiatique. Or il se porte dans cette éventualité, vers
les première personnes qui vous ont montré leur attachement. Et cela est
peut-être un équivalent lointain de l'attitude des petits canards de Lorenz.
Un thème surprenant : la
Santé !
Comme
l'écrivent C Attale et S Consoli******les premiers travaux
concernant la notion d'attachement ont été développés dès les années 60 par
Bowlby ******* dans le domaine de la pédo-psychiatrie, chez les nouveaux nés
et leurs parents ou ceux qui les
élèvent. Ce chercheur proposait une nouvelle compréhension de la genèse du lien
fondamental qui fait qu'un nouveau né s'attache aux personnes qui répondent à
ses besoins vitaux. Dans leur article ces deux auteurs utilisent les termes de
"figures censées les protéger" et
de " sentiment de sécurité" procuré
par la proximité des personnes de confiance, étayant les hypothèses reliant
sécurité et amour qui ont été développées plus haut. Par la suite les études se
sont étendues aux maladies somatiques de l'adulte et c'est sur celles-ci qu'il
nous paraît utile de mettre ici l'accent car ces travaux analysant des conséquences
imprévisibles des relations enfant-parents sont demeurés généralement trop
confidentiels.
Selon les mêmes auteurs on ne peut certes affirmer
que les effets de ces relations très précoces vont persister inchangées à l'âge
adulte, mais des études longitudinales très solides font penser que ces effets
sont susceptibles de se prolonger toute la vie et de contribuer à modéliser les
relations parentales, les relations avec les pairs et les relations amoureuses! (et peut-être comme nous l'avons vu, celles
avec Dieu).
Le type de relations, "secure " ( mot sans correspondant français mais qui
veut bien dire rassurant) ou
"insecure" que l'enfant a établi avec ceux dont il attendait tout ou
au moins l'essentiel -et on a vu que chez les petits singes la nourriture ne
venait pas au premier rang- va influencer tout ce qui est en rapport avec sa
survie : c'est à dire sa santé et ses relations de confiance ou de crainte avec
le reste du monde vivant.
Les principaux champs d'études explorés ont concerné les liens entre les modes
d'attachement et la réponse aux stress et aux comportements. Il a été montré
que les réactions face à la maladie, aux
médicaments et ... aux médecins ainsi qu'à la confiance qu'il mettra en eux en
sont également dépendantes !
Une possible interprétation de ces faits serait la
suivante : si le sujet a reçu un soutien "rassurant" quand il était
enfant, l'activation des phénomènes précoces d'attachement le poussera en période de stress, à chercher des
personnes qui pourront l'aider. Et s'il a appris à discriminer ceux qui sont
fiables et les autres –en particulier dans le domaine médical- il se sortira de ce mauvais pas mieux que
ceux qui évitent tout contact avec autrui ou qui demeurent préoccupés, se
cantonnent dans une position d'incertitude et prendront par exemple de façon
très irrégulière leurs médicaments. Or on a observé avec surprise que les
malades qui prennent régulièrement leur placebo se portent mieux que ceux qui
les prennent de façon aléatoire !
En outre ceux à qui le sentiment qu'ils étaient
dignes de vivre a été donné, chercheront plus que les autres à conserver leur
bonne santé.
Les attachements précoces ont donc en effet bien
des chances de conditionner le comportement des sujets à l'âge adulte, mais il
est bien évident que ces phénomènes sont d'une infinie complexité, que la
résultante finale dépendra des hasards des rencontres et de sympathies
indéchiffrables entre individus, de la
gravité variable de maladies intercurrentes survenues indépendamment des
facteurs psychologiques en question. Chacun de ces éléments joue bien
évidemment son rôle plus ou moins décisif dans le destin de chaque humain.
Pour finir on comprendra aisément comme concluent
Attale et Consoli que la prise en compte par les médecins des conditions de la petite
enfance pourra, au moins dans les cas heureux, faciliter la découverte d'une
voie destinée à améliorer l'adhésion du patient atteint de maladie chronique
aux thérapeutiques qui lui ont été prescrites.
Les viols
Les viols qui n'ont rien à voir avec l’amour, qui sont une des formes de crimes
les plus odieux méritant les peines les plus lourdes, posent des questions
qu’il n’est pas possible d’envisager ici dans leur complexité. Ils relèvent
cependant eux aussi de la tendance irrépressible des vivants, à utiliser leur
appareil reproducteur parce que comme l’écrivent les savants : la logique du
vivant c’est de se reproduire ! Et que la machinerie de leur appareil
neuro-reproductif, normalement bridée par un système inhibiteur qui est hélas
chez les violeurs insuffisamment efficace, est toute entière orientée vers la
copulation. Les histoires effroyables qui ont défrayé la chronique récemment sont
peut-être à mettre en parallèle avec la suppression de petites filles dès que
l'échographie a permis de connaitre le sexe de l'enfant à venir, c'est à dire
avec une raréfaction des partenaires sexuelles.
L’amour homosexuel
Il reste une forme d'amour qui a résisté aux siècles et qui se dresse
imperturbable, contre les exigences de la biologie. L’amour homosexuel prouve
que l’amour est doté de plusieurs facettes et mécanismes et qu'il obéit à
plusieurs lois, celle de la reproduction étant très ambivalente comme le
prouvent les demandes de droit à la paternité-maternité si souvent faites
aujourd'hui par des couples d’homosexuels. Il relève probablement aussi de
certaines des explications précédentes et du besoin d’être rassuré. C'est un
autre monde qui exige d'être exploré et qui dépasse de loin nos compétences.
CONCLUSIONS
L'humain est soumis à des forces qui s'exercent sur lui comme sur tout le règne
animal et qui ont pour effet de favoriser la pérennité de son espèce. L'immense
place occupée par son appareil reproducteur dans son activité psychique et la
précision de ses mécanismes de fonctionnement en témoignent clairement.
Au cours des premiers mois et premières années de sa vie, son environnement,
par la qualité des échanges de toute nature qu'il aura avec lui, lui fera
éprouver des émotions qui structureront sa personnalité. Il sera ainsi
conditionné de façon probablement définitive dans la manière dont il
interprétera les comportements des autres vis à vis de lui et dans ses réponses
à ces personnes et à diverses situations plus ou moins angoissantes.
Ainsi se tissera progressivement un fil d'Ariane fait d'apports des générations
précédentes et de son vécu propre qui le guidera plus ou moins consciemment et
orientera son avenir. Même ses certitudes sur son état de santé, sa manière de
croire dans les médecins ou les médicaments qu’ils lui prescrivent seront commandées
par ses premiers attachements.
Cet essai d'analyse des mécanismes qui jouent dans le besoin de sécurité et les
interactions avec les autres humains et avec Dieu, n’a d’autre prétention que
de rappeler ou de faire connaître le rôle capital des ineffaçables bases
biologiques de ce sentiment aux formes innombrables qu'est l' "amour"
(on pourrait dire mais moins bien "les amours " ), car cette force
s'exerce sur tout individu, quelque soit l'opinion qu'il en a lui-même.
En même temps l'humain, sujet conscient, a besoin
plus que les autres animaux d'être rassuré sur la qualité et la durabilité de
ses conditions d'existence autant que sur le fait qu'on pense autour de lui
qu'il est digne de vivre. En effet, pour qu'il vive il est indispensable que
l'individu en ait "en-vie". Et la recherche de personnes qui le
rassurent, comme l’ont rassuré les parents qui l'ont aidé à passer le cap des
premiers moments de son existence, se fonde sur la quasi certitude que elles au
moins pensent qu’il est en effet digne de vivre. Il en espère aussi que
ces personnes le soutiendront tout au
long de son existence.
Il est
également essentiel pour lui de croire qu'il a des chances de se survivre au
delà de sa vie terrestre dans le monde de l’éternité, et c’est là un besoin ancré
au tréfonds de l'homme retrouvé dans les multiples civilisations.
Pourquoi avoir voulu développer ces hypothèses comme si elles étaient presque
des certitudes? A la fois dans l'intention de rassembler les faits et les idées
qui les sous-tendent et pour connaître les réactions de celui ou celle qui
liront ces lignes. Au bout du compte ces notions, classiques pour nombre
d'entre elles depuis Freud, magnifiquement
analysées par Boris Cyrulnik, renforcées par l'étude des comportements animaux
et par des observations de pure biologie, ont des chances d'influencer au moins
quelques personnes. Nous espérons qu'elles pourront inciter celles-ci à offrir
à leurs contemporains des moyens de se rassurer sur leur propre valeur,
contribuant ainsi à élever l'étiage du bonheur sur la terre. Le psychanalyste
Jose Luis Goyena a insisté sur la façon optimale de conclure les séances
parfois si éprouvantes. Le médecin qui a vu l'intensité des réactions émues de
ses malades à la simple affirmation qu'il les considère comme des humains de
qualité, ne peut que tenir à la diffusion de cette si solide vérité !
REFERENCES
* Lorenz Konrad
1) Evolution et modification du comportement :
L'inné et l'acquis Payot Paris 1967
2) Essai sur le comportement animal et humain les
leçons de l'évolution de la théorie du comportement Le seuil Paris 1970
**Harlow H F. The Nature of
Love. American Psychologist
1958 13:573-685 (un texte à lire dans son intégralité, surtout si on a des
réserves quant à l'éthique des expérimentations qu'il a réalisées.)
*** Kepel Gilles La revanche de Dieu. p 203, Le
seuil Paris 2003
*** de Kervasdoué A. & Belaisch
J. Pourquoi les femmes souffrent-elles
davantage et vivent-elles plus longtemps. Odile Jacob 20 Paris
****Hemingway cité par Dominique Raoul-Duval in : Mère
Amour, Edition NiL)
*****Attale Catherine et Consoli Silla Interet du
concept d'attachement en médecine somatique. Presse Medicale 2005; 34: 42-8
****** Bowlby J. Attachment
and loss Vol 1, 2 et 3. Basic books New York (1969, 73 et 80)
L'importance
de la place des phénomènes de reproduction dans la vie des couples et les
intrications entre les sécrétions
hormonales et les décisions existentielles peuvent être
appréciées d'après cette histoire vraie
qui m'a été racontée par celle qui l'avait vécue, avec de
nombreuses digressions impossibles à rendre ici. Une jeune fille venue de
province avec son fiancé avait pensé plus sage de prendre la pilule. Elle se
rend à l'hopital Necker, consulte une gynécologue réputée qui, au vu des
dosages hormonaux qu'elle avait demandés, fait une moue et lui déclare :
vous savez avec les dosages que
vous me montrez il n'y a vraiment pas
beaucoup de risques de grossesse ! Or la séparation de ses parents
et les difficultés de la vie parisienne lui
avaient fait perdre beaucoup de poids et comme cela est bien connu ses cycles
ovariens en avaient été très perturbés, ce qui est généralement transitoire.
Malheureusement elle en conclut qu'elle est stérile et ne voulant pas imposer à
son fiancé une conjointe incapable de lui donner un enfant, elle coupe tous les
ponts sans lui donner la moindre explication. Le malheureux fiancé n'y comprend
rien. Il fait les plus grands efforts pour lui parler; elle refuse tout
dialogue. Il se désespère et de guerre lasse cesse de lui envoyer des lettres
d'amour. Elle vit ensuite seule pendant des années durant lesquelles elle n'est
réglée qu'à d'exceptionnelles occasions. Elle rencontre un autre homme et ne
prend jamais aucune précautions contraceptives. Un jour elle s'évanouit sur un
marché. On l'amène chez un médecin et elle s'entend dire sur la table de
consultation: "alors c'est pour quand ?
-
Pour quand quoi ?
-
L'accouchement bien sur.
- Mais je ne suis pas enceinte.
Je ne peux pas l'être !
Et votre
ventre c'est quoi? Il lui fait entendre les bruits du coeur du bébé. Elle lui
raconte son histoire et sa certitude qu'elle ne pourrait jamais
avoir d'enfant.
Cette
histoire médicale a le mérite de montrer qu'une femme peut arriver au 8ème
mois d'une grossesse normale sans imaginer être enceinte si elle est persuadée
qu'elle ne peut le devenir. Et bien entendu qu'il vaut mieux que les médecins
prennent leur temps pour expliciter leurs pronostics lorsqu'ils sont facheux et
qu'ils peuvent être mal interprétés.