Bienvenue

Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

Dans la rubrique "SOMMAIRE" vous ne trouverez que les premiers articles publiés c'est à dire jusqu'à fevrier 2009. Les autres sont classés sous la rubrique "ARCHIVES DU BLOG".

La meilleures façon de trouver un article est d'écrire le nom de l'auteur dans la barre de recherche située en haut à gauche et indiquée par le dessin d'une loupe. Puis de cliquer sur la touche " ENTREE" du clavier. Tous les textes écrits par cet auteur apparaîtront.

mercredi 21 avril 2010

HAYAT Georges- 92 ans Une tranche de vie ! mémoires

Georges Hayat a écrit ses mémoires. Il a commencé à les rédiger à 89 ans sous l’impulsion de ses enfants et petits enfants.
Le contenu de ces mémoires passe en revue des années qui ont marqué la jeunesse juive tunisienne. Elles sont passionnantes à lire pour tous ceux qui ont vécu l’épopée du Cercle des Nageurs Tunisiens aussi bien que les années qui ont conduit à l’indépendance de la Tunisie. Elles décrivent même une partie de cette période où les juifs avaient vécu dans une liberté sur laquelle "notre cher Maupassant" avait insisté plusieurs années auparavant et alors que cette liberté était loin de celle réelle que nous avons connue.
En voici quelques bonnes pages. Bonne lecture !
Si vous voulez lire la totalité de ces mémoires, il vous suffira de vous rendre sur le site http://www.lulu.com/fr
Puis d’écrire le titre entier du livre et vous pourrez l’obtenir en pdf.

92 ans Une tranche de vie ! Je ne regrette rien…
Mémoires de Georges HAYAT

P 46-49
Du fait de notre typhoïde, nous sommes restés à La
Goulette en septembre, octobre et novembre. Ce dernier mois
fut pour Hubert et moi le début d'une longue convalescence.
Nous n’avions pu, ni lui ni moi, rentrer en classe en octobre.
J'aurais dû entrer au Grand Lycée en sixième avec latin et
anglais. Je ne fus autorisé à reprendre les classes qu'avec un
trimestre de retard, puisque ma rentrée eut lieu après les
vacances de Noël.
Je n’étais pas du tout préparé à cette nouvelle vie du
secondaire. De plus, je ne trouvais aucune compréhension de la
part de certains professeurs qui ne voulaient pas prendre en
compte mon retard et m’aider à surmonter ce handicap.
Certains d’entre eux me prirent en grippe et se moquaient, par
exemple, de mon accent anglais ou de ma difficulté à assimiler
les déclinaisons latines. Mes parents n’avaient pas les moyens
de me faire aider. Au fil des mois, je perdais pied et me laissais
aller à la facilité de ne rien faire et de chahuter.
Mon professeur principal, M. Laforgue, enseignait le latin et
le français. Nous étions une classe de quarante élèves de douze
à quatorze ans. La majorité de la classe était composée de
jeunes Juifs tunisiens, comme moi, de quelques Juifs français
par naturalisation, de Français de souche – fils de
fonctionnaires ou de petits commerçants – et de cinq ou six
Tunisiens musulmans issus de familles bourgeoises. Ce
mélange avait deux conséquences : une forme de frontière
résultant du milieu social ou national de chacun de nous, mais
aussi la connaissance des uns et des autres. Ainsi, au fil des
années, de forts liens s’établirent entre nous.
M. Laforgue se faisait chahuter par l’ensemble des sixièmes
dont il avait la charge, et au fil des années on lui attribua le
surnom de Gagallousse. Nous savions qu’il ne supportait pas
les parfums. Nous nous arrangions, à tour de rôle, pour venir
en classe parfumés. Le résultat était immédiat : toute la classe
s’arrêtait, le parfumé venait au tableau et le prof désignait un
élève pour aller passer la tête du parfumé sous la fontaine de la
cour. Imaginez le chahut que cela occasionnait !
Pour compléter ce tableau, notre professeur d’histoiregéographie
était une femme : Mme Giraud. Pauvre femme !
C’était un des professeurs les plus chahutés du lycée.
Interrogations écrites, compositions se déroulaient selon notre
bon vouloir, plus exactement du bon vouloir des redoublants
et des plus costauds physiquement. Du chewing-gum mis dans
la serrure de la classe interdisait d’ouvrir la porte pendant un
bon moment, ce qui rendait impossible l'organisation du
devoir prévu. Il arriva même que Mme Giraud demande à
l’élève Taieb de prendre la porte et que celui-ci se lève et enlève
la porte de ses gonds !
Le lycée avait le surveillant général le plus dur. Il était d’une
grande sévérité et avait pour habitude de rentrer inopinément
dans une classe, particulièrement dans les classes précitées. Il
repérait les élèves les plus chahuteurs, les faisait sortir et les
punissait par une retenue ou une colle le dimanche.
Un jour, je tombai dans le piège et fus collé un samedi de 14
à 16 heures. Cette colle tombait mal : c’était le dernier jour de
classe avant les vacances de Pâques. Depuis longtemps, avec
des copains, nous avions fixé cette date pour « sortir » avec des
copines au Belvédère. Ce jour-là, il faisait un temps magnifique.
Je me rendis à 14 heures au lycée et rentrai en salle de
permanence. Au bout d’un moment, j’ai vu le ciel bleu et
imaginé les copains au Belvédère avec nos copines. Je me suis
levé et j’ai ouvert la porte de la classe. Le surveillant l’a coincée
avec son pied pour m’empêcher de sortir, mais j’ai tiré très fort
et suis sorti. J’ai aperçu à la fenêtre de son bureau le surveillant
général, M. Figre, qui m’a aussitôt repéré. Je me suis précipité
vers la sortie de la rue Guynemer et suis tombé sur Figre qui
me barrait la sortie. Je ne réfléchissais plus. J’ai joué avec lui en
allant de droite à gauche, puis par une feinte je passai sous ses
bras et pris la fuite vers l’avenue de Paris. Les élèves présents
firent un beau chahut. Mon coeur battait très fort, car je savais
que la sanction tomberait. Durant les vacances, je surveillais le
courrier en espérant subtiliser la lettre annonçant à mes parents
mon aventure. La lettre parvint la deuxième semaine des
vacances et mes parents apprirent mon exploit et la sanction
qui s'ensuivait : huit jours d’exclusion avec, comme punition,
l’analyse grammaticale de Philémon et Baucis. Ce fut quinze
jours terribles : interdiction de sortir, de lire, de m’amuser.
Même, Hubert était dépassé et ne comprenait pas mon geste.
Ce geste était le résultat de mon mal-être en classe où je ne
suivais plus rien et perdais pied dans toutes les matières.
J’ai terminé l’année scolaire tant bien que mal sur le plan du
travail, mais mon effort était trop tardif et je redoublai.

P 93 0 104
Cette année a été la plus belle de notre carrière sportive.
Nos nageurs remportèrent de nombreux titres nord-africains et
l’équipe de water-polo décrocha enfin le premier titre, ôtant
leur suprématie aux équipes algéroises. Le public de cette ville
ne nous aimait pas beaucoup du fait de nos origines. Pour
nous, c’était une double victoire.
En juillet, les championnats de France de natation se
déroulaient à Paris. Après notre visite obligatoire à Marseille,
nous prîmes le PLM (train Paris-Lyon-Marseille) en troisième
classe, banquettes en bois ! Notre arrivée à Paris tombait en
pleine effervescence due à la victoire du Front populaire. Paris
vivait un moment historique et beaucoup d’entre nous étaient
pour ce que représentait, sur divers terrains, cet événement qui
voyait naître des forces politiques qui pourraient s’opposer à la
montée de forces obscurantistes.
Paris, en cette fin de juillet, était en pleine ébullition. Mais
nous étions des spectateurs lointains, d’autant que notre
objectif premier était le Championnat de France de natation
qui se déroulait à la piscine des Tourelles, à la porte des Lilas.
Le sérieux de notre travail pendant des années allait recevoir
sa récompense : Gilbert Taieb remporta le titre de champion
de France au 100 mètres brasse et au 100 mètres crawl
catégorie « cadet ». Son frère Zizi Taieb enleva le titre de
champion du 100 mètres dos. Gilbert Naim se qualifia pour la
finale du 100 m crawl et, grande cerise sur le gâteau, notre
équipe de relais 10 x 100 mètres enleva à la surprise générale ce
titre tant envié. Le relais de Gilbert Naim contre le champion
de France Jean Taris fut déterminant, Gilbert remportant la
course d’une courte main. Notre équipe comptait maintenant
treize champions de France.
J’ai gardé un grand souvenir de cette période et de notre
défoulement après ces succès. Un événement particulier est
resté dans ma mémoire : j’adorais le jazz et, un soir, avec
quelques copains, nous nous sommes rendus dans une boîte de
nuit de la rue Delambre, à Montparnasse. Il s’agissait du Jimmy’
s. Rien à voir avec les suivants. Un monde fou, l’orchestre « le
Hot Club » de France avec Panassie, Django, Feret, Grapely.
J’ai dansé, mais surtout écouté. Le lendemain soir, j’y retournai
seul et pris une place proche de l’orchestre. Feret fit attention à
moi et engagea la conversation, si bien qu’en fin de compte,
vers 5 heures du matin, j’étais encore là, et qu’à ma grande joie,
Feret m’invita à les suivre dans un bistrot où ils retrouvaient
d’autres musiciens pour faire un « boeuf ». Voir et entendre ces
musiciens se faire plaisir et tenter de se surpasser reste pour
moi un grand moment de ma vie.
Retour triomphal à Tunis. Familles, amis, supporters
nombreux à notre arrivée au port. Une véritable fête nous
attendait. Et le lendemain, reprise de nos diverses occupations.
Je reprends mon travail ; l’un de mes patrons, président du
club, me reçoit avec le sourire, content et fier de nos résultats.
Puis, il me dit avec un sourire : Georges, vous vous êtes trop
longtemps absenté pour le sport : vos collègues rouspètent.
J’eus également un sourire, mais jaune. Les jours qui suivirent
posèrent à nouveau le problème.
L’entraînement reprend. Nous retrouvons avec plaisir le
milieu familial, nos copains, nos amusements. Nous lisons avec
plaisir toute la presse qui parle de nos succès durant cette
campagne à Paris.
Les retombées des lois du Front populaire nous réjouissent.
La guerre d’Espagne avec ses développements nous
enthousiaste et nous inquiète. Les fascistes italiens de Tunis
relèvent la tête et se manifestent de plus en plus sur la
revendication « Tunisia Nostra » et aussi « Corsica Nostra ».
Des équipes de natation italiennes se déplacèrent en Tunisie
pour nous rencontrer. Les Italiens étaient à l’époque parmi les
deux premières équipes de water-polo d’Europe avec les
Hongrois. Les supporters italiens se servaient de ces rencontres
pour tenter d’affirmer leur supériorité et, à travers cela, la
supériorité du régime. Et souvent les gradins de la piscine se
transformaient en rings.
Décidément, l’année 1936, sur le plan sportif, devait nous
apporter de grandes satisfactions.
Nous poursuivions d’une façon très sérieuse nos
entraînements, sous la houlette de notre entraîneur Henry
Schaffer, grâce à qui nous obtenions de nombreux succès tant
en natation qu’en water-polo.
Ce mois d’août, nous avons sacrifié nos bains de mer et
séances de plage ! Deux fois par jour, nous allions à la piscine
du Belvédère.
Le premier entraînement se déroulait vers 12 h 30. Pour
moi, je sortais du travail à 12 heures, je dévalais la rue de
l’Église, l’avenue de France pour prendre le tramway n° 5 en
marche à la hauteur de la cathédrale, face à la Résidence
générale, pour arriver à la deuxième porte du Belvédère où se
trouvait la piscine. Le temps de se déshabiller, puis de se
présenter à l’entraîneur qui indiquait le programme de
l’entraînement. Cela variait entre nageurs et poloïstes.
L’entraînement durait une heure.
Le travail, en été, reprenait à 15 heures. Je reprenais le
tramway. Je trouvais mon repas prêt à la maison. Quelquefois,
un ou deux copains déjeunaient avec moi. Un petit repos et
reprise du chemin pour rejoindre mon travail au souk El
Attarine. Dans la même journée, à 19 heures, fin de mon
travail, je refaisais le même chemin qu’à midi. À 19 h 30
commençait le deuxième entraînement, plus centré sur le
water-polo. Cette séance durait jusqu’à 21 h 30. Nous
refaisions le même chemin pour être à 22 heures environ à la
maison pour dîner et se coucher pour récupérer de cette
double journée : travail et sport. Notre entraîneur faisait
quelquefois le contrôle pour vérifier que nous ne ressortions
pas.
En définitive, ce travail fut payant, car nous fûmes une fois
de plus champions d’Afrique du Nord de water-polo, ce qui
nous qualifiait pour disputer le tournoi final d’où sortait le
champion de France.
Ce tournoi devait se dérouler fin août à Cannes, au Palm
Beach. Quatre équipes étaient qualifiées : les Enfants de
Neptune de Tourcoing I, champions de France sortants, la
deuxième équipe de ce même club, le Cercle des Nageurs de
Marseille et notre club : le Cercle des Nageurs de Tunis.
À la même époque se déroulaient à Berlin, sous le régime
nazi, les Jeux olympiques. Jeux qui soulevèrent de nombreux
problèmes du fait que les nazis utilisaient ces jeux dans un but
politique.
Comme prévu, ce déplacement me posait personnellement
un problème vis-à-vis de mes patrons, qui m’avaient déjà
prévenu qu’il n’était pas envisageable que je quitte une
troisième fois mon travail. Rien à faire, le niet était fort. Malgré
les démarches de l’entraîneur, des dirigeants et des supporters,
rien. Puis, trois jours avant le départ en direction de Marseille,
un de mes patrons me dit : Voilà, Georges, nous vous
autorisons à partir, mais en congé sans solde. Joie très forte,
mais aussi tristesse, car mon manque de salaire allait peser sur
ma vie à Tunis, mais également au cours du séjour sur la Côte
d’Azur.
Si mes souvenirs sont bons, en m’embarquant j’avais sur
moi une cinquantaine de francs pour mes frais de poche. Tout
était pris en charge par le club : hôtels, repas, transports. Ce
n’était pas lourd et mes parents ne pouvaient pas m’aider. Mais
la participation à cette compétition – et vivre sur la Côte
d’Azur une dizaine de jours à l’époque – n’était pas à la portée
de tout le monde.
Arrivée à Marseille. Hôtel Bristol sur la Canebière. Le
lendemain, au restaurant, pour le petit déjeuner, nous
rencontrâmes de nombreux Japonais qui n’arrêtaient pas de se
plier en deux pour nous saluer. Nous n’étions pas habitués à ce
genre de révérences. Le soir même, nous retrouvions nos
voisins de l’hôtel à la piscine pour un triple match : Japon,
Marseille, Tunis en natation et water-polo. Les Japonais étaient
de retour des Jeux olympiques de Berlin. Nous étions très fiers
d’être opposés à des « olympiens », surtout nous, Juifs, alors
que les jeux s’étaient mis au service des nazis ! En natation, ils
nous ont ridiculisés, mais en water-polo nous avons gagné.
Pendant notre séjour à Marseille, des manifestations
importantes se déroulèrent à l’issue de la victoire du Front
populaire, mais aussi en signe de solidarité avec la République
espagnole que Franco, aidé par les fascistes italiens et les nazis,
voulait renverser par la guerre civile. Une anecdote : les
trainings que nous portions portaient en grosses lettres les
initiales du club CNT., aussi les manifestants pensaient sur
nous étions des représentants du syndicat espagnol portant le
même sigle et nous étions fortement applaudis.
Pour préparer dans les meilleures conditions le tournoi final
du championnat de France au Palm Beach, endroit très à la
mode à l’époque, nous allâmes nous mettre au vert à Menton.
La piscine était attenante au casino de Menton. Nous nous
retrouvions le matin tôt pour la préparation physique et la
natation. À l’issue de cet entraînement, les clients du casino
arrivaient. En général, il s’agissait d’une clientèle de haut niveau
social. Un client était particulièrement assidu : il s’agissait du
champion du monde de boxe poids moyen Marcel Thil,
accompagné de son épouse et de sa fille. En tant que sportif de
haut niveau, il appréciait notre entraînement. Il fit notre
connaissance et nous annonça qu’il serait à Cannes pour être
notre premier supporter. Nous revenions le soir à la piscine,
qui était mise totalement à notre disposition pour nous
permettre de nous entraîner au water-polo. Cette séance durait
deux heures.
Menton avait un caractère populaire avec, à cette époque,
une population plutôt modeste à laquelle s’ajoutaient en cette
fin août 1936 les « congés payés », conquête de 1936. Nous
étions plongés dans notre préparation et notre vie se résumait à
hôtel-piscine-hôtel. Le travail était très dur physiquement, mais
également psychologiquement, car affronter cet événement
était énorme pour nos petites têtes de 18-20 ans vivant en
Tunisie et disputant pour la première fois une finale de
championnat de France !
Le moment de se rendre à Cannes était arrivé et le jour de
notre première rencontre en demi-finale était proche. Nous
fûmes logés à l’hôtel Martinez, sur la Croisette, hôtel de très
grand standing. Nous avions, il est vrai, des chambres à deux
avec vue intérieure. Mais nous profitions de tous les services,
sauf du petit déjeuner et des repas que nous prenions à
l’extérieur pour des raisons financières.
En 1936, Cannes était une ville très snob et seule une
certaine élite profitait des plages et du charme particulier de
cette ville. Or, en cette fin août, les « congés payés étaient là »
aussi. J’ai vu des gens entrer dans la mer habillés, car ils
n’avaient jamais vu la mer ! Nous qui vivions près de la mer
nous étions abasourdis, nous ne comprenions pas que des
hommes et des femmes adultes soient subjugués par la mer.
Cette image, ainsi que celle de groupes étendant sur la plage
des draps pour installer leur déjeuner avec le litron, le saucisson
et le pâté, faisait pousser des cris d’indignation aux hôteliers
restaurateurs, qui voyaient dans ces « congés payés » les
responsables de la fuite de leur clientèle huppée. Le monde a
changé depuis et la démocratisation des vacances a multiplié la
fréquentation de tous ces endroits qui étaient réservés à des
privilégiés.
Pour nous, les choses sérieuses devaient se dérouler le
week-end suivant au Palm Beach de Cannes. Cet
établissement : casino, spectacles de haut niveau, restaurant,
etc., était l’un des lieux de plaisir de la Côte d’Azur les plus
recherchés. Une piscine olympique de plein air allait servir de
lieu pour le tour final des championnats de France 1936 de
water-polo.
Dans la presse, le quotidien sportif de l’époque, L’Auto, ne
donnait pas cher de notre peau, disant que nous étions des
figurants « honorables » pour un événement de cette
importance. Le même son de cloche se répercutait dans la
presse locale. Elle précisait que face à nos adversaires, les
Enfants de Neptune de Tourcoing 2, alors que l’équipe 1 de
cette ville détenait le titre de champion de France depuis une
décennie, nous n’avions pas nos chances, et que la finale se
jouerait entre les deux équipes soeurs.
À la piscine de Menton, un public nombreux assistait à
notre entraînement. Un spectateur nous suivait de près et nous
encourageait : Marcel Thil. Il nous disait que notre jeunesse
était notre atout majeur et que nous pouvions renverser tous
les pronostics.
Le vendredi, nous étions de retour à Cannes à l’hôtel
Martinez, sur la côte. Après le dîner, petite promenade sur la
Croisette, puis retour à l’hôtel pour un somme qui devait nous
amener le lendemain après-midi à notre demi-finale. Nuit
agitée avec insomnie pour certains, cauchemars ou féeries pour
d’autres.
Midi, repas frugal, puis direction Palm Beach. L’entraîneur
nous réunit et donne la composition de l’équipe. C’est la
meilleure. Je n’en fais pas partie, étant toujours barré, au poste
d’arrière, par Gaston Haggiage, l’un des meilleurs mondiaux à
ce poste. Je ne serai donc que le premier remplaçant, au cas où.
Cette situation a souvent été mon sort. Je participais à toutes
les préparations, à tous les voyages, à toutes les compétitions,
mais trop fréquemment dans le rôle de remplaçant. Je dois dire
que je vivais intensément ces moments et que physiquement et
mentalement je me devais d’être au niveau. J’ai été champion
de Tunisie, d’Afrique du Nord, international pour les
rencontres contre des équipes étrangères.
Revenons au premier match. La piscine du Palm Beach est
comble, un public select. Nous sommes bien accueillis. Notre
jeunesse, notre bronzage tunisien et la plupart « beaux gosses »,
tout cela nous assure un succès d’estime et nous gonfle un peu
plus.
J’assiste au match à côté de l’entraîneur pour l’aider à
donner des instructions pendant le match. Dès le début, le
match s’emballe et notre vivacité, notre forme nous permettent
de prendre le match en main, de réussir, à la surprise générale,
à éliminer les dauphins des champions et de gagner le droit de
jouer la finale contre les inamovibles champions de France.
Deux spectateurs connus du grand public viennent nous
féliciter et nous encourager : Marcel Thil et Maurice Chevalier.
Nous ne fêtons pas cette victoire, car le lendemain est le
grand jour de notre vie : la FINALE du Championnat de France
de water-polo. Dîner rapide et dodo immédiat : pour beaucoup
la nuit est ou trop longue ou trop courte.
Le matin, réunion habituelle d’avant match, avec le droit, ce
jour-là, de prendre le petit déjeuner au Martinez. Au cours de
cette réunion, M. Schaffer confirme la composition de l’équipe
de la veille. Il insiste sur le fait que cette rencontre nous oppose
aux champions de France en titre et cela depuis quelques
années. Notre jeunesse n’a rien à perdre face à ces joueurs
chevronnés et habitués à vaincre. Il demande aux joueurs de
jouer vite en nageant beaucoup pour se démarquer des
adversaires.
La matinée se passe au jardin pour certains, d’autres ont eu
une permission d’une heure qu’ils mettent à profit pour
rejoindre la Croisette et rechercher des lieux nocturnes où
passer la nuit d’après match, que l’on soit vainqueurs ou
vaincus.
À midi, déjeuner, puis sieste, et à 15 heures, direction Palm
Beach. Vestiaires, dernière réunion avec l’entraîneur et le
président du club. Au vestiaire, grand silence, chacun se replie
sur lui-même et imagine des séquences de jeu. De temps en
temps, on se regarde, un sourire, une blague, des mots arabes
pour essayer de rester dans un milieu familier.
Ça y est, c’est le moment. Nos sept joueurs ont le visage
grave et entrent pour la présentation des équipes. Là aussi, la
presse ne donnait pas cher de notre peau : nous étions les
victimes expiatoires arrivées à ce stade de la compétition
presque par hasard. Aucune chance pour les enfants de Tunis
face à ces champions que sont les Enfants de Neptune de
Tourcoing.
Un public nombreux est présent, très coloré. Beaucoup sont
en maillots de bain, femmes et hommes. Les garçons de café
servent des consommations, les verres de champagne sont les
plus nombreux.
De la salle de danse, l’orchestre Borah Minevitch joue son
répertoire de musique uniquement sur harmonicas. On
aperçoit les danseurs qui ne s’occupent pas de notre match.
Marcel Thil vient voir nos joueurs pour les encourager. Les
équipes sont présentées. L’apparition de nos joueurs bronzés
par le soleil tunisien fait courir un « hum » dans le public, mais
c’est surtout notre jeunesse qui est remarquée : moyenne d’âge
20 ans !
La rencontre débute et, contrairement aux prévisions, les
petits de Tunis ne se font pas manger. Ils rendent coup pour
coup et leur façon de jouer en nageant beaucoup déroute les
Tourquennois. La première mi-temps se termine sur un score
de parité. Derniers conseils de l’entraîneur avant la reprise et la
partie se poursuit. Maurice Chevalier à côté de Marcel Thil
s’échauffent et se déclarent supporters des Tunisois. À une
minute de la fin du temps réglementaire, le score est toujours
de 4 à 4. Sur une séquence de jeu, nous profitons d’un penalty.
À ce moment de la partie, ce penalty signifie notre victoire avec
le titre de CHAMPION DE FRANCE.
Gilbert Taieb, grand joueur, tire le penalty et marque. Nous
sautons de joie. Mais l’arbitre refuse le but, alléguant que
contrairement au règlement de l’époque, Gilbert a feinté le goal
avant de tirer. Sur la remise en jeu du goal à un attaquant
tourquennois esseulé, celui-ci marque le but qui leur permet de
garder leur titre.
À la piscine règne une certaine ambiance, avec nos
protestations, celles d’une grande partie du public, et les
interventions de Marcel Thil et de Maurice Chevalier traitant
l’arbitre de coquin. Rien n’y fait, l’arbitre maintient sa décision.
Nous sommes pétrifiés. Certains sont encore dans l’eau,
104
espérant un revirement de l’arbitre, d’autres sont déjà sortis et
pleurent sur leur espoir perdu. Nos larmes se rejoignent et
nous rentrons la tête basse aux vestiaires sous les cris du public
qui exprime son mécontentement.
Nous sommes tous là, joueurs, dirigeants, supporters,
hébétés, ne comprenant rien à ce qui nous arrive. Certains
émettent l’idée d’une conspiration dans le but de refuser à des
joueurs tunisiens pour la plupart et juifs le titre suprême
français. Nous nous regroupons, joueurs, entraîneur, dirigeants,
et certains d’entre nous pleurent, d’autres sont pensifs et
d’autres sont comme dans un cauchemar.
Le maire de Cannes vient vers nous pour nous inviter à un
champagne d’honneur dans la grande salle du Palm Beach.
Nous rentrons au vestiaire et nous préparons pour nous rendre
à l’invitation. Un public nombreux accueille les deux équipes et
applaudit vainqueurs et vaincus. Nous sommes très entourés,
et Maurice Chevalier nous a pris sous sa coupe, comprenant
que nous ne sommes pas habitués à ce protocole.
Discours, champagne, petits gâteaux et promesses de se
revoir. Les coupes de champagne défilent les unes après les
autres. Nous avions vraiment besoin de nous défouler.
L’ambiance monte, et le champagne aidant, peu à peu le poids
de la défaite et la pression que nous subissons depuis plus de
quinze jours s’estompent.

P 183-185
Au fil des jours et rétrospectivement, il apparaissait que
malgré nos racines ancestrales en Tunisie, du fait de notre
francisation, nous nous étions coupés des réalités tunisiennes,
et il est incontestable que nous étions plus proches sur tous les
terrains d’un paysan français que d’un paysan tunisien, par
exemple. De plus, avec la création d’Israël et les positions
majoritaires des Juifs tunisiens, il était très difficile de trouver
un juste milieu…
Quitter la Tunisie ? Ne pas quitter la Tunisie ? C’était toute
la question… Que faire ?
Je n’aurais jamais imaginé que mes racines, je dis les
miennes, pouvaient être si profondes !
La rue de Marseille, le lycée Carnot, le football dans la rue
d’Avignon, la période de La Goulette avec Babazizi, ma
carrière sportive, mon engagement politique pour obtenir
l’indépendance, tous mes amis, ma vie professionnelle, ma vie
familiale, et aussi le Belvédère, Sidi Bou Said, Gammarth et ses
dunes, les sorties en mer, Hammamet, Nabeul, le Bou Kornine
le matin, au lever du soleil, quand celui-ci apparaissait
lentement et grossissant avec son rayon lumineux qui courait le
long du golfe et prenait de plus en plus d’intensité, et moi
devant ce spectacle, bouche bée, et m’interrogeant sur le
pourquoi de cette magnifique vision. Les nuits d’août où se
déroulait le festival des étoiles filantes, chacun espérant
retrouver « la sienne », les bruits et les odeurs selon les
quartiers, les voix des marchands ambulants, les couleurs sur le
lac Sedjoumi au coucher du soleil… Voilà ce que nous devions
abandonner ! Pour trouver quoi... l’avenir de nos enfants et le
nôtre ?
La France, Paris... c’était pour nous une véritable insertion
dans la culture que nous avions acquise à l’école française, au
travers de nos lectures et dans notre façon de vivre. Notre
pensée, même, était complètement formatée. L’école ne nous
avait pas appris à écrire, lire et parler la langue majoritaire du
pays : l’arabe. Nous connaissions l’histoire et la géographie de
la France, mais nous ignorions totalement l’histoire et la
géographie du pays où nous étions nés et où nous vivions.
Cela voulait dire que notre insertion en France allait être
surtout un problème d’adaptation au mode de vie. Courir pour
prendre le métro, couvrir des distances pour aller d’un point à
un autre, ne pas trouver les aliments auxquels nous étions
habitués, le froid, la neige et la lutte pour chaque chose de la
vie quotidienne. Mais oui aux cinémas, aux théâtres, aux
musées, aux universités et à la vie parisienne !

Voyage à trois … Pour Ida et tous les autres …

Voyage à trois … Pour Ida et tous les autres …

Au milieu de nombreux groupes qui convergeaient au petit matin vers l’aéroport de Roissy, nous nous sommes retrouvés à trois pour faire le voyage à Auschwitz le 24 mars 2010 : Jean Belaïsch, Bernard Lobel et moi-même. Trois médecins de générations différentes mais proches, unis par leur amitié tissée par leurs rencontres, leurs échanges, l’estime mutuelle de leur manière d’être médecins. Il était bon de ne pas affronter et supporter Auschwitz de manière solitaire.

Nous étions là pour encadrer une soixantaine d’étudiants en médecine à qui l’AMIF donnait la possibilité de relayer un témoignage juste sur la Shoah.

J’ai vécu cette journée dans un état d’anesthésie intellectuelle et émotionnelle, dans un état d’incrédulité devant l’horreur.

L’atmosphère d’une journée printanière ensoleillée, dans une paisible campagne polonaise et l’alignement des bâtiments de brique rouge, était complétée par le récit de la guide polonaise. Ses propos plein d’empathie, mais techniques, historiques, précautionneux au respect de l’horaire et de la programmation rendaient insaisissables la dimension du drame humain dont ce décor avait été le cadre.

Des écrits, des photos, des films ont permis de prendre la dimension du drame de la Shoah. Il est important de définir cette catastrophe humanitaire pour laquelle un mot a été choisi, sans synonyme qui est unique par ses caractéristiques.

Elle est unique parce qu’elle a abouti à la mort de plusieurs millions d’êtres, hommes, femmes et enfants.

Elle est unique, parce qu’elle a été pensée, conçue et réalisée par un pays en Europe occidentale dont le niveau intellectuel, culturel et artistique était une référence de haut niveau social dans le progrès de l’humanité.

Cette « barbarie propre » a été appliquée avec une qualité et un raffinement, dans le conditionnement de l’homme en sous-homme, affaibli, affamé, anesthésié et malléable, à faire disparaître en fumée âcre.

Elle a été unique et encore plus choquante pour nous médecins imprégnés d’humanisme, par le comportement des médecins nazis dans les camps. Ils étaient présents à tous les moments décisifs de la sélection initiale, des sélections secondaires conditionnées par les flux humains et régulatrices en cas de risque de surpopulation. Ils assumaient les exécutions par injection intracardiaques de phénol et les expérimentations humaines pseudo-utiles, souvent par curiosité et perversité. Ils envoyaient des sujets humains vers des laboratoires pharmaceutiques pour des tests de tolérance à diverses substances sans chance de survie.

Elle est unique, parce qu’à l’inverse des autres assassinats à grande échelle, elle a fait converger pour une solution finale, toutes les populations juives d’Europe, souvent avec la complicité des autorités locales, et même du fond des îles grecques, par convois ferroviaires vers l’Europe orientale.

Le camp d’Auschwitz Birkenau fut le fleuron performant de cette organisation avec un souci de ne pas laisser de traces.

Toutes ces réflexions n’ont pu être élaborées que par le témoignage des survivants des camps d’extermination qui ont révélé l’inimaginable, l’horrible vérité.

Madame Ida Grinspan, survivante d’Auschwitz, alerte octogénaire intervenait dans notre groupe, au fur et à mesure de la visite du camp. L’émotion d’une lutte pour la survie de chaque jour dans une atmosphère écrasante où la mort était quasi inéluctable.

Madame Ida G. s’exprimait en mots simples, précis, justes, sans emphase, puisés dans un vécu intensément marquant pour être bouleversants. Elle mettait en lumière la transformation de l’homme, le développement de l’instinct de survie dans des conditions qui défiaient les règles physiologiques de survie. Il était émouvant de l’entendre raconter des situations qui associaient intelligence et solidarité :
- Partager à trois une couverture par des températures nocturnes largement négatives, en prenant à tour de rôle la place du milieu pour « avoir plus chaud » avec aussi l’assurance du confort une nuit sur trois.
- La course aux latrines collectives, impudiques et puantes se faisait sans la possibilité d’une hygiène corporelle élémentaire. L’encombrement autour du filet d’eau glacée obligeait au renoncement de celles qui ne pouvaient attendre à cause de l’appel implacable et prolongé, suivi du repas infâme mais précieux pour la survie.

La conscience, que par manque d’hygiène des complications infectieuses cutanées ou digestives concrétiseraient une mort certaine à la prochaine sélection, poussa Ida et ses deux amies à décider de choisir et de réussir des sorties nocturnes discrètes et périlleuses pour se laver le corps à l’eau glacée, ainsi accessible. Elles purent ainsi mieux survivre et assumer leur labeur quotidien, du lever au coucher du soleil, de leur longue détention.

Le rôle fondamental de la cuillère, ustensile élémentaire et indispensable dont la perte devait être compensée par le troc d’une nouvelle cuillère contre une ration de pain et le partage temporaire à trois des rations de pain de ses deux amies.

Ce sont quelques exemples parmi d’autres commentaires, exprimés avec une détermination tranquille à aller au bout de son message, bousculant avec un sourire touchant le retard possible de quelques minutes à une commémoration collective.

De cette journée, je retiendrai deux pensées réconfortantes :
- Le sérieux, la gravité, l’imprégnation des groupes de jeunes qui pourront s’opposer aux négationnistes et transmettre la vérité plus longtemps
- La rencontre avec un groupe de jeunes israéliens de 15 à 16 ans, membres d’un mouvement de jeunesse éduqués dans la confiance et la détermination d’Israël à défendre ses citoyens. Ils sont venus pour essayer de comprendre et rendre hommage en chantant l’Ha Tikvah (l’espoir) autour du drapeau bleu et blanc.
Peut-on espérer aussi que le précieux témoignage des rares survivants puisse transmettre et faire ressentir la dimension unique de la Shoah car la réflexion, l’analyse intellectuelle ne peut mener qu’à l’incrédulité.
Alors, merci Ida !

G. NAHUM-MOATTY

mardi 13 avril 2010

UNE JOURNEE ET UNE ETERNITE A AUSCHWITZ

Ce blog associe des réflexions de juifs de Tunisie. Nous avons tous le sentiment profond d’avoir eu une chance extraordinaire d’avoir échappé à la destruction grâce à la victoire rapide des armées américaine, anglaise et de la 2ème DB française.
Pourquoi certains d’entre nous se sentent-ils obligés par une force interne et indéfinissable à se rendre sur les lieux de l’extermination de tant de juifs européens ?
Il n’y a pas de raisons évidentes. C’est pour ne pas oublier ce que nous avons, à plusieurs, éprouvé au cours de cette visite épuisante pour les anciens - mais nous pensions sans arrêt à ceux qui l’avaient vécue dans des conditions autrement éprouvantes- que ces lignes ont été écrites.


UNE JOURNEE ET UNE ETERNITE A AUSCHWITZ
Jean Belaisch
Les récits d’une journée passée à Auschwitz ont été innombrables et de dire ou écrire quelque chose de significatif et nouveau à ce sujet paraît impossible : l’intense émotion, l’accablement, le désespoir l’impuissance ont frappé tous ceux qui sont passés sous son portail avec sa vraie fausse devise désormais fallacieuse à deux titres.
Pourtant, ces émotions sont plus lourdes pour chacun de ceux qui ont fait ce voyage, parce qu’il a vécu ces minutes, que celles qu’il a éprouvées à la lecture de différents livres ou revues ( en dehors des livres inoubliables de Primo Levi, George Semprun ou David Rousset).

Nous avons donc été conduits de l’aéroport de Cracovie à Auschwitz, et comme toujours, durant le trajet, notre guide nous a parlé de la Pologne d’aujourd’hui pour nous donner des informations que nous aurions pu trouver sur Google si elles nous avaient intéressés.
Et nous avons ensuite entendu la voix de 14 ans (âge auquel elle a été emmenée par trois gendarmes) de Ida Grinspan.
Elle nous a fait revivre le trajet en wagon fermé vers le camp. Elle nous a raconté que les voisins de la maison où elle vivait cachée sont venus lors de son arrestation lui donner des denrées alimentaires rarissimes à l’époque pour qu’elle puisse supporter les peines des jours à venir qu’ils prévoyaient très dures. Et qu’elle les avait conservées avec l’intention de les donner à sa mère raflée un an et demi avant elle et qu’elle espérait naïvement retrouver en Allemagne.
Elle n’avait pas voulu en manger la moindre miette pour que sa mère puisse profiter de tout…. Et à l’arrivée à Auschwitz elle avait été désespérée parce que l’ordre avait été donné de tout laisser dans le wagon… et qu’elle ne pourrait pas faire ce plaisir à sa mère. Elle s’était privée pour rien ! Elle nous avait raconté d’une voix sereine mais dramatiquement vraie tout ce que tout le monde sait sur les conditions du voyage, la vie et les morts au cours de ces 2 jours tout en imaginant ce que les juifs grecs avaient dû supporter comme effroyables souffrances alors que leur voyage s’était prolongé pendant 4 jours.
Nous sommes arrivés au camp, les baraques alignées, les châlits, les centaines de paires de lunettes, les milliers de chaussures d’été et d’hiver, d’enfants et d’adultes, achetées dans la joie et abandonnées dans l’horreur, les vitrines de cheveux blancs, les commentaires ni froids, ni émus -c’était le ton qui nous paraissait le mieux adapté- qui tombaient comme des pierres dans nos oreilles.
Et je réalisais à quel point sans le récit de Ida G, la visite d’Auschwitz aurait perdu tout poids, n’aurait presque plus eu de signification. Ces baraquements vides, alignés, même ces salles de douches, ces sombres couloirs ou pièces où le ZYKLON B était déversé, ne semblaient plus capables de dire quoique ce soit, ne semblaient plus capables d’inspirer cette émotion qui nous étreignait tous.
L’infernale visite des lieux (où les déportés qui n’avaient pas respecté les règles de vie dans le camp étaient jugés) et les réduits dans lesquels étaient réunis 5 à 6 personnes condamnées à mourir de faim, debout, sans autre raison que de diversifier les façons de tuer et de faire souffrir des humains, serraient tout de même les cœurs des visiteurs qui ne comprenaient pas les raisons de pareils comportements !
Pour ma part, j’ai été remué par ce qui pourrait paraître un petit « détail » dans ces lieux. Les déportés des deux sexes, tout le monde l’a lu, étaient rasés : la tête, les aisselles, le pubis, mais quand la guide précisait qu’à la fin de la séance, les crânes étaient griffés de partout et le visage ruisselant de sang, on ressentait la douleur que ces rasoirs aux dents de scie ébréchés pouvaient provoquer sur ces êtres humains que l’on allait passer à la vraie douche, pour les utiliser comme main d’œuvre parce qu’ils avaient eu eux, la chance d’être sélectionnés pour vivre.
Mais sans la présence d’anciens déportés vivants, qui nous le prouvaient, quelqu’un pouvait-il accepter de croire que des humains avaient pu utiliser ces bâtiments blancs, propres, banaux, pour en faire des lieux où exercer imperturbablement leur macabre et inimaginable méchanceté.
Arrive la fin de la visite, on voit au loin se dessiner des bâtiments en ruine. On nous dit que là étaient les fours crématoires que les allemands avaient fait sauter, en toute hâte, avant leur départ car les troupes alliées arrivaient.
Et ces ruines montrent, sans laisser le moindre doute, que les nazis savaient qu’ils commettaient a Auschwitz des « horreurs inhumaines » et qu’ils faisaient de leur mieux pour ne pas avoir à les payer.Les Faurisson, les Chomski, les Goldnich que Raymond Barre, notre ex premier ministre s’obstinait avant sa mort à appeler « un homme bien », sont heureusement là aussi pour le prouver. Par leurs dénégations, ils nous montrent qu’ils acceptent, au moins, de reconnaître que si les allemands avaient commis ce dont le monde entier les accuse, ils eussent été des véritables et effrayants criminels ! Et les nazis en détruisant les chambres à gaz montrent eux aussi qu’ils le savaient et qu’ils voulaient donc effacer toutes ces traces dangereuses autant que déshonorantes.
Et si les négationnistes n’existaient pas, on pourrait imaginer que les nazis n’étaient pas conscients des horreurs qu’ils commettaient vis à vis de l’humanité.
Curieusement, ces restes métalliques de fours crématoires ne sont pas exposés, n’ont pas été remontés en plein jour. Peut-être l’ont-ils été et recachés? Peut être ne veut-on pas les montrer ? Peut-être avec raison !

En tous cas, je pense –et j’espère me tromper- que Auschwitz sans déportés vivants pour les faire "exister", risque assez rapidement de n’être plus qu’un lieu de mémoire banalisé, à moins que l’on découvre un moyen d’en prouver l’horreur.Mais les hommes ne sont-ils pas suffisamment inhumains pour que les preuves d’une pareille et innommable conduite aient une quelconque utilité ?

un abîme de réflexions de Gilbert Sarfati

COMMENTAIRES DE GILBERT SARFATI
Ce « papier » que Jean Belaisch m’a adressé m’a fait plonger dans un abîme de réflexions. Et je les lui fais connaître en lui donnant mon accord pour qu’il le publie dans Nostalgies Ensoleillées :
Tu parles du hasard qui détermine le déroulement d’une vie ; j’ai tenté de répertorier tous les embranchements qui se sont offerts à nous.
Je ne pars pas de l’hypothèse d’une naissance en Inde dans la caste des intouchables, et dans un milieu misérable ; acceptons la donne de départ : des enfants d’une petite/moyenne bourgeoisie juive dans un pays musulman, 3ème génération après la colonisation, ayant fait de bonnes études dans notre cher Lycée Carnot, et à la fin de la 2ème guerre mondiale.
Nous aurions pu rester en Tunisie ! Comme tu le sais, j’étais à l’époque, contrairement à toi et à André, peu touché par les couleurs, les odeurs, les bruits et le climat qui ont baigné toute notre prime jeunesse ; ce sont des sensations que je retrouve avec énormément de plaisir aujourd’hui, mais qui à l’époque ne faisaient paradoxalement qu’aggraver, parce que fondamentalement agréables, l’impression de vivre dans un pays sous-développé, si loin de la culture dont nous nous abreuvions, culture littéraire et musicale, qui faisait de nous, de moi sans aucun doute, un étranger dans mon pays natal. Mais faire du commerce n’était guère ma tasse de thé ; quant à revenir en Tunisie, études médicales terminées, je n’en avais guère l’envie et de toute façon en 1958 les carottes étaient cuites !
Nous aurions pu faire autre chose que la médecine ; j’avais, pendant quelques années qui m’ont vu débuter les études médicales, gardé une nostalgie pour les études scientifiques, une nostalgie d’une « prépa » dans un grand lycée parisien. Je dois dire que cette nostalgie s’est rapidement évaporée.
Nous aurions pu partir directement ailleurs ; pas en Israël ; j’aime y faire un tour de temps en temps, mais l’idée d’y vivre……Il y a quelques années, dînant un soir à la Coupole avec Marcel Zeitoun, j’ai été très surpris de l’entendre exprimer son regret de ne pas avoir « sauté l’étape française », et ne pas être allé directement aux US ; c’était le début de l’époque où les Juifs de France ont commencé à se poser des questions sur l’antisémitisme français, sur la présence envahissante des musulmans, et de façon générale sur le déclin jugée inéluctable de l’Europe. J’avoue, mais peut-être suis-je sclérosé par l’âge, que cette idée ne m’a jamais séduit ; je suis trop imbibé de culture française, et cette expatriation m’aurait, je le pense, été très douloureuse ; mais il se peut que je me trompe totalement.
Conclusion : aller en France faire des études médicales m’apparaît, 65 ans après, comme un chemin inéluctable. Il est certain aussi que le désir d’ascension culturelle et finalement sociale était très prégnant !!
J’ai mis longtemps à apprécier, à aimer Paris ; il faut dire qu’aller à St-Antoine ou à Lariboisière n’est pas le meilleur moyen de goûter la beauté unique de cette ville. Maintenant l’idée de vivre ailleurs m’est insupportable.
Quant à la superposition des cultures, j’ai souvent dit que j’étais le descendant du logos grec dans mes raisonnements, mes choix; et au dessus de ce substrat qui représente 95%, une mince couche (5 % !!) d’orient ; pas l’orient maghrébin, mais Jérusalem, la culture juive, la merveilleuse histoire de ce petit peuple, histoire certes en grande partie inventée, mais tout le monde sait que les mythes sont de loin plus importants que la réalité ; mais quand je m’imagine les Hébreux du 1er Temple, non touchés par le miracle grec, je suis effrayé de leur façon de raisonner , qu’on perçoit très bien dans le texte biblique et que je sens si différente de la mienne. Même si l’interprétation aujourd’hui admise de la 2ème parole du Décalogue n’interdit la représentation d’hommes ou d’animaux que s’ils sont l’objet d’idolâtrie ! Si tu aimes un tableau ou une sculpture, sans t’agenouiller devant, rassure-toi, tu ne violes pas le Décalogue
Il n’en reste pas moins que mes études hébraïques n’ont fait qu’affirmer mon profond agnosticisme ; je pense, comme le dit le titre du livre de Roger Perelman, que nous sommes des gens sans importance dont la disparition peinera certainement des proches ; mais après la mort de ces mêmes proches, personne ne gardera le souvenir de nous….. et c’est très bien comme ça !
En attendant nous sommes, comme tu le dis, des old-old : mon plus grand étonnement est d’être devenu octogénaire ; mon père est mort jeune, et je ne pensais pas atteindre le XXIème siècle ; hommage soit rendu à la médecine et à l’élévation de notre niveau de vie.
Je termine là mes considérations philosophiques ; je me sens parfaitement serein ; j’ai l’impression, vivant avec Myriam en plein centre de Paris, allant à la Sorbonne, sans grand souci financier, et en relative bonne santé, de vivre une période très heureuse.
Salut à toi, et étant, comme Albert Cohen, un Hébreu inconséquent, que Dieu te garde !

dimanche 11 avril 2010

Nature-culture Nostalgie

SCIENTIFIQUES ARTISTES ET RELIGIONS
Des voies qui s’entrelacent indéfiniment
Jean Belaisch





Né à Tunis sous le soleil, éclairé par les trois couleurs : bleu, blanc et jaune, égayé par le rouge des pastèques, fracturant des amandes vertes en espérant trouver la philippine, brisant une épluchure d’orange pour en humer les gouttelettes acides et odorantes, enchanté par l’incomparable et fine autant qu’élégante senteur du jasmin et parfois enivré par l’odeur profonde des roses aux pétales tassés, découvrant les petites fleurs des cyclamens sur les flancs du bou Kornine, parcourant les courbes ruelles des souks au pied des minarets et des dômes, se faisant brûler les pieds par le sable de la Goulette, admirant sous tous ses angles la Méditérranée réelle ou dessinée, exaspéré par les lenteurs criardes de la musique arabe (qui plus tard, effet de la nostalgie ? éveillait en moi d’étranges sensations), j’ai retrouvé, tout comme mes amis, une fois arrivé à Paris, la culture française qui nous avait motivés et soutenus quand nous vivions en Afrique !


Aujourd'hui nous (en tout cas moi) nous interrogeons : pour quelles raisons-avons nous été si surs d’être montés dans un train fonçant vers le progrès source obligée de félicité ?


Curieusement, à 80 ans passés, je vois s’opposer dans notre trajectoire les classiques concepts de culture et nature.


Et je crois aussi comprendre pourquoi l’idée que nous n’allions pas nécessairement tout gagner ! ne s’était pas imposée à nous.


Probablement parce qu’il n’y a pas en réalité pour les êtres humains d’opposition mais un incessant et inapparent chevauchement, une constante coopération entre ces deux grands principes .


Nous avons eu la Comédie Française, les grands concerts, le froid glaçant, la Seine gelée, les courbes élégantes des arc-boutants de Notre Dame, pour les étudiants en médecine un enseignement par des chefs de clinique dont les connaissances nous impressionnaient et l’impression d’une ascension sur l‘échelle que l’humanité se construit jour après jour.


(je le reconnais volontiers ce sont des grands mots emphatiques mais les petits mots gâcheraient cette réflexion et il n’y a que les grands écrivains qui savent faire si bien briller les petits mots qu’ils peuvent même en dire plus que les belles paroles).


Nous avons eu, de plus, la chance qu’André Malraux blanchisse les murs noirs des immeubles parisiens qui avaient assombri notre humeur, joyeuse au départ de Tunisie. Sans exagérer son mérite sur ce point, on peut reconnaître qu’il a au moins supprimé – pour nous plus que pour les autres français- une insupportable et angoissante grisaille.


Et nous n’avons pas au début de notre parcours, sauf sans doute quelques cerveaux plus sensibles, perçu tout ce que nous avions perdu et que nous ne retrouverions plus qu’à de rares intervalles.


Cette nature, beaucoup plus présente et plaisante en Tunisie que dans les villes de France allait progressivement s’effacer en grande partie de notre vie. La mer évidemment et sa température idéale dans nos souvenirs d’enfance (on n’est pas obligé de penser au liquide amniotique, mais si ça vous plait, faites le ! ), les odeurs –l’olfaction se perd chez les humains mais est-ce la faute de la nature ou de la culture ? ; les couleurs il n’y a que des méditerranéens pour ne pas en avoir honte et même pour les faire chanter sur les murs des maisons comme sur les tissus que l’on porte tous les jours. Pour ne pas parler, enfin, des bruits et des voix, toujours écrasées par la bonne éducation et dont la surdité propre à la vieillesse vient aggraver la perte. Quant au goût, en particulier des épices, les divergences sont grandes sur ce point…


On en connaît tellement d’autres aspects, on les dit avec parfois avec tant de poésie et nous avons tellement tous éprouvé ces manques, qu’il ne sert à rien de s’appesantir. D’autant plus que nous sommes tous si merveilleusement bien installés dans notre très cher pays la France qui nous a si généreusement accueillis !



Pourquoi avoir écrit ces réflexions mi figue-mi raisin ?


Parce qu’à 80 ans, le rideau de l’avenir se ferme bien plus brutalement qu’on ne l’aurait jamais imaginé. On est alors irrésistiblement attiré par le rétroviseur et l’on se sent obligé de choisir non pas entre le le passé et le doublet "présent-avenir" mais entre la voie du pessimisme et celle de l’optimisme.


Le pessimisme -c’est évident- c’est la voie de la science, le silence des espaces infinis m’effraye de Pascal, l’absence probable d’une direction imprimée à notre monde par une puissance supérieure et la prise de conscience que seules les lois de la nature et pour chaque individu le hasard, mènent la ronde. C’est l’idée qu’il ne faut espérer aucune prolongation à notre propre vie qui va très bientôt s’évaporer, ce qui n’est cependant pas une catastrophe en ce qui concerne la grande majorité des humains dont je fais partie.


L’optimisme, en revanche c’est l’art et la poésie. C'est-à-dire que l’on peut en parler pendant des heures sans se lasser. Ce qui n’aura pas lieu ici rassurez vous !


L’art.


Tant qu’on est sur cette immense petite terre, on peut en voir les beautés, les décrire pour les autres humains en les sublimant au gré de notre propre vision, les reproduire avec le grain de sel personnel de la transformation. Et toujours dans un double, mais aussi unique, objectif principal : arrêter ou seulement freiner le temps pour profiter avec l’intensité la plus puissante dont nous soyons capables, des moments plaisants que nous vivons.


La poésie, comme la musique, prise dans son sens le plus large, c’est le moyen qu’ont trouvé les hommes d’ouvrir grand les portes vers le monde de l’imagination et de… l’harmonie !



Cependant les scientifiques ne s’opposent pas aux artistes. Ils découvrent les lois de la nature sans lesquelles les œuvres des artistes ne pourraient se déployer et ils imaginent des moyens grâce auxquels elles seront diffusées à l’ensemble du monde.


Que feraient-ils d’ailleurs sans les artistes ? Que serait leur vie, rivés qu’ils seraient devant des équations de plus en plus longues et de moins en moins accessibles aux élèves de sixième ou en face d’ordinateurs de Xème génération dont la puissance serait en concurrence avec leurs propres circuits neuronaux et avec lesquels ils feraient d’interminables parties d’échecs jusqu’à ce que la machine les batte à tous les coups ? Artistes et scientifiques sont indissociables, ils voient des aspects de la nature que le profane ne peut apercevoir que grâce à eux.


Ainsi, s’il y a un moyen, une raison, de vivre pour un humain de 80 ans, ce sont les arts poétiques et de reproduction imaginative de la nature qui le lui donnent. Et c’est grâce aux traditions de la culture humaine qu’ils y ont accès.


Même celui qu’on appelait jadis un vieillard, aujourd'hui volontiers un "old-old", qui d’ailleurs s’acharne à ne pas croire qu’il fait partie de cette catégorie, pourra, malgré ses handicaps et ses douleurs, se laisser pénétrer par des effluves de bonheur et découvrir des sources mystérieuses de joies de moins en moins explosives mais qui jaillissent parfois très haut. Cette joie dont un de plus grands philosophes de l’histoire humaine, SPINOZA, prônait la recherche.



L’idée de la signification des remerciements et de leur importance se manifeste ici. Et les personnes âgées ont peut-être plus que les autres la possibilité de les comprendre et de les dire.


Tous les artistes, ont besoin d’être remerciés, même par un simple sourire s’il vient à point et s’il sonne juste. Et ils se sentiront légitimés dans leurs efforts et incités à poursuivre sur leur chemin.


Les peintres, les écrivains, les acteurs de théâtre qui décrivent le monde de la façon la plus noire, méritent eux aussi ces remerciements parce qu’ils nous montrent ce que sont les pensées des malheureux dont nous avons la chance de ne pas être, ou parce que comme ils nous ont emmenés au fond du trou, nous ne pouvons que remonter si nous savons nous ouvrir aux multiples splendeurs de notre environnement. Ces merveilles que le hasard, oeuvrant pendant des millénaires, a gravées sur notre terre et qui par d’autres et surprenants hasards peuvent venir stimuler les cinq sens dont l’évolution nous a généreusement dotés.



Ces réflexions sur l’art, la reproduction, la lutte perdue contre le temps, me poussent à aborder, d’une façon qui pourrait paraître surprenante et déconnectée des idées qui précèdent, un thème qui nous interroge tous et qui a déjà suscité des « réflexions » de la part de grands philosophes. Elles cherchent à apporter une petite lumière supplémentaire pour résoudre une « question » désespérante pour une petite mais exceptionnelle et « juive » partie de l’humanité.



Trois foyers d’intelligence se sont allumés dans le pourtour proche et lointain de la Méditerranée :


- La Mésopotamie et son annexe le Croissant Fertile,


- l’Egypte rattachée au foyer précédent par ce croissant,


- et quelques siècles ou millénaires plus tard, la Grèce.


Tout ce qui définit « notre » occidentale civilisation actuelle provient des étincelles parties de ces feux. Ce qui ne veut pas dire que les théologies scandinavo-germaniques et plus loin les asiatiques n’ont pas été autonomes. Il est probable néanmoins, que certains de leurs fondements en découlent en raison des inévitables échanges qui ont eu lieu entre les civilisations et de la passion des hommes de chercher sans cesse à savoir ce qui se passe ailleurs.


- Les Egyptiens ont appréhendé le concept de temps et se sont acharnés à l’annuler au point même d’avoir voulu nier la mort de leurs grands personnages, en leur procurant les supports matériels d’une vie dans l’au delà.


- Les Mésopotamiens, sumériens, akkadiens et consorts et les hébreux ont voulu s’opposer conceptuellement au passage du temps en délaissant la terre au lieu de s’y enfoncer.


- Les grecs ont excellé, comme bien des familles humaines d’ailleurs, dans l’art de fixer des instants de vie par la « re-création » artistique. Ils ont poursuivi cette recherche jusqu’à ses limites extrêmes dans l’architecture, la sculpture et même par leurs approfondissements philosophiques.


- Les hébreux se sont distingués de ces peuples en interdisant la re-production de tout ce qui vit pour réserver ce pouvoir à une entité transcendante et extraterrestre. Ils ont dépouillé les humains de ce qui est une de leurs meilleures aptitudes : la reproduction de la nature qu’ils ont mise en œuvre de multiples façons pour la mieux posséder. En contrepartie, ils ont distingué entre les espèces, les personnes et les périodes du cycle annuel jusqu’à l’extrême limite et ont édicté des interdictions et des autorisations innombrables et en apparence incompréhensibles sauf dans l’optique d’un témoignage d’admiration et d’obéissance à l’œuvre divine doublée d’une mise en application de découvertes de règles hygiéniques susceptibles d’être utiles aux hommes .


Selon eux rien n’appartient donc aux habitants de la terre. On comprend que depuis des millénaires, ces hébreux soient devenus la cible des autres hommes qui ne voulaient pas être spoliés de leurs biens, et étaient même prêts à les reconquérir en ramenant si besoin Dieu sur la Terre, tout en montrant au passage que la mort pouvait être vaincue. Vous avez reconnu le fulgurant passage de Jésus-Ieoushoua.


Mais les hébreux ont fait encore plus mal, ils ont découplé de la démarche spirituelle la recherche de la beauté à laquelle, peut-être grâce à l’excuse que Dieu était à son origine, ils étaient cependant aussi sensibles que les autres.


Enlever la conquête de la beauté aux humains, quelle aberration ! Les hébreux avaient cependant leurs raisons, ils pensaient que le but poursuivi était digne de ce sacrifice : éviter de se laisser emprisonner par la forme puisque seule compte et règne la divinité qui a créé le monde ! Mais les autres hommes ne l’entendaient pas de cette oreille…


Entre ces trois foyers, les guerres ont été incessantes et sans merci. Elles ont fourni aux humains des modèles parfaits pour qu’ils n’aient aucune peine pour trouver les moyens de s’entretuer ! Il faut cependant reconnaître que les asiatiques n’en ont pas eu besoin et qu’ils ont su se donner des leçons aussi efficaces pour parfaitement s’entre-anéantir.


La guerre la plus connue des Français a eu lieu entre une colonie grecque : Rome et une colonie du croissant fertile : Carthage. La Sicile par exemple a été un lieu de bataille paradigmatique, car une fois la victoire d’un camp assurée, chacune des troupes avaient ordre -qui était exécuté avec cœur et efficacité- de détruire les maisons et les temples des ennemis. Sur la terre d’Afrique, le travail a aussi été réalisé avec détermination et minutie : Delenda est Carthago !


La guerre la plus connue de tous les hommes de l’Occident est celle de Troie, en Asie mineure, toute proche de la Mésopotamie et qui devait se terminer par la victoire des grecs puisque chantée par un des plus grands poètes qui, et ce n’est pas un hasard,était grec.


Les juifs n’ont pas participé à ces batailles. Ils voulaient seulement qu’on les laisse dialoguer avec le ciel. Mais ils donnaient un bien mauvais exemple, il n’était donc pas possible de les laisser tranquilles. Le mieux était de supprimer leur lieu de culte, ce qui a été très bien fait. Comme cela n’avait pas suffi à faire disparaître leur s dogmes et leur mode de penser, d’autres méthodes ont été mises en œuvre, d’abord dans le désordre et pendant des siècles, puis avec une parfaite organisation. Cette histoire n’est pas agréable à raconter, elle est de plus trop bien connue. Qui serait assez doué pour en faire un nouveau récit ?


Pourtant les causes persistant, il n’est pas impossible, malheureusement que le cycle recommence.


Cette dramatique éventualité est elle aussi connue de tous et au moins des intéressés que nous sommes.


Alors ? bien faire et laisser dire et même accepter de disparaître ou se cacher tout en fourbissant des armes secrètes ?


Quelqu’un sait-il lequel de ces choix serait le meilleur ? Et pour finir si les juifs allemands, oubliant toute leur culture avaient décidé de se transformer eux aussi en assassins et avaient créé des bandes de nervi pour tuer l’auteur de mein kampf seulement en fonction des annonces qu’il faisait dans son livre, est-ce que cela aurait été une horreur ?