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Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

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mercredi 11 février 2009

LA SIGNORA MARIA

LE REVOLVER DE L’APRES GUERRE : LA PEUR RETROSPECTIVE
Charles PEREZ

C’était la période qui avait suivi l’occupation militaire allemande de la Tunisie.
Dans ce pays, cosmopolite s’il en est, vivaient en parfaite harmonie, les autochtones musulmans et Juifs, les Français, les Italiens, en quasi majorité originaires de Sicile, les Maltais de nationalité britannique, les Grecs, les Russes généralement Russes blancs échappés des prisons révolutionnaires rouges etc..

Les unions entre les membres des différentes ethnies chrétiennes étaient courantes, et particulièrement entre siciliens et maltais jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés du Reich allemand, qui eut pour effet de creuser brutalement un profond fossé entre ces derniers,
Les uns prenant fait et cause pour les habitants de la péninsule italienne et leur chef fasciste,
le Duce, les autres se prenant pour d’authentiques sujets de sa gracieuse Majesté britannique.

Des familles entières se retrouvèrent ainsi divisées, en deux camps irréductibles chargés de haine intérieure réciproque.
Le récit qui suit est un exemple parmi d’autres des graves dissensions engendrées par le conflit mondial entre Alliés et les pays italo-germaniques, dans la petite et anciennement paisible colonie italo-maltaise.

Une jeune européenne occupait un studio dans un immeuble bourgeois de la capitale, qu’elle partageait jusqu’à l’arrivée des troupes aéroportées allemandes, avec un riche commerçant Juif désœuvré, qui la comblait littéralement de toutes sortes de faveurs.
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Du jour au lendemain, on ne le vit plus. Elle dut le mettre à la porte, sans ménagement puisque peu de temps après, on la voyait rentrer tard dans la nuit, bien après le couvre-feu, à moitié ivre et toujours accompagnée d’un fringant officier allemand.

Le couple se faisait remarquer presque chaque soir, quand il tentait de se frayer un chemin dans la pagaille indescriptible, que provoquait durant les nombreuses alertes aériennes, l’installation de toutes les familles de l’immeuble dans le hall d’entrée transformé avec l’aide de quelques madriers et sacs de sable en dérisoire abri commun.
Une seule personne les aidait dans cette traversée insolite, avec des manières obséquieuses et des propos cauteleux : c’était la Signora Maria, notre voisine d’étage.
Les autres occupants de l’immeuble tremblant déjà de peur pour eux et pour leurs proches, à cause du fracas de la DCA allemande, et de l’explosion des bombes tombées souvent à proximité ( rue d’Athènes), ne donnaient pas cher de leur vie, à l’idée que l’officier teuton heurtant dans l’obscurité un tabouret ou un enfant endormi, accroupi ou assis à même le sol, pouvait trébucher, ce qui aurait pu entraîner des conséquences sûrement dramatiques, radicalisées par le degré d’ébriété du couple et par l’arme qu’il portait ostensiblement à portée de sa main.

La Signora Maria, sicilienne d’origine était mariée à un brave maltais, à l’ordinaire peu communicatif, et rendu taciturne et renfermé dès le débarquement allemand de leurs avions Junkers
Par contre, la présence des soldats italiens, leurs alliés de l’axe qui les avaient suivis, avaient exacerbé les sentiments italophiles de sa femme, et celle-ci ne cachait plus sa sympathie envers le Duce et même envers le Furher : son poste de radio était ouvert au maximum pendant la lecture des communiqués de victoire et des discours enflammés du Duce que le puissant poste de Radio-Bari émettait quotidiennement, toutes les heures.

La Signora Maria ne mit pas longtemps à se lier d’amitié avec la demi-mondaine, au grand dam de son époux. . Elle lui rendait de menus services, entretenait son intérieur, repassait son linge et lui préparait même des repas.
Sa petite fille particulièrement mignonne, avait été prise de sympathie par l’amie de l’officier allemand et revenait toujours chez sa mère, avec de somptueux cadeaux, très appréciés en ces temps de restriction, c’était une fois une nappe, une autre fois un drap, ou une coupe de tissu, ou une bouteille de liqueur, etc..
Ces prodigalités -on en devine l’origine- fruit des razzias de la commandatüra allemande opérées chez les riches habitants Juifs de la Régence, rendaient fou-furieux le mari qui n’osait plus sortir, restant cloîtré chez lui, tant il avait honte de l’inconscience de sa femme et du danger qu’il encourait à double titre, comme présumé bénéficiaire de ces exactions et comme traître à sa patrie adoptive, la grande Bretagne.

La Signora Maria en parfaite pipelette ne cessait de bavarder et de vanter à qui voulait l’entendre la gentillesse de sa nouvelle amie, la correction et la distinction de son protecteur.
Elle se délectait quand elle citait son nom, il Signor Capitano Heinrich. Elle se serait coupée en quatre pour satisfaire leur moindre désir.
Nul ne se risquait à la critiquer ou à faire une quelconque remarque désobligeante sur sa légèreté qui mettait en péril les habitants de l’immeuble et son mari en, premier.
On compatissait et on le plaignait de sa situation délicate et peu enviable.

A la Libération, précédée du départ précipité des troupes italiennes et allemandes, tout s’inversa : les sympathisants du Duce ne se pavanaient plus dans les rues de Tunis, et se montraient forts discrets, tandis que la population presque toute entière exultait d’une joie longtemps refoulée.
Les règlements de comptes ne tardèrent pas à aller bon train, les collaborateurs et collaboratrices dont l’amie de Signora Maria, et les dénonciateurs étaient arrêtés, et incarcérés à la prison de la Kasbah, ancien fort militaire de l’époque beylicale , et qui quelques jours plus tôt était remplie de notables Juifs otages, et libérés dès l’entrée des troupes alliées et de la prestigieuse 2me DB, victorieuse à Koufra et à la ligne Mareth à la frontière lybio-tunisienne.
Des disputes éclatèrent dans bon nombre de familles sicilo-maltaises et sicilo-françaises particulièrement dans celle de notre voisine, comme il fallait s’y attendre.
Le mari prenait sa revanche et manifestait à tout bout de champ sa rancune, le couple s’entre-déchirait : de plus en plus de scènes de ménage, de plus en plus de hurlements fusaient de leur demeure, et qui se terminaient presque toujours par de violents claquements de portes, chaque partie allant bruyamment s’isoler dans sa chambre.

Un jour en début d’après-midi, une nouvelle scène éclata chez nos voisins, les cris, les mots les plus déplaisants n’en finissaient pas de se faire entendre.
La voix du mari était particulièrement audible, il vociférait et accusait sa compagne de trahison et d’ignominie, lui reprochant une fois encore son amitié avec l’officier allemand et sa ‘boutana’ d’amie, il était vraiment hors de lui.
Brusquement de violents et répétés coups furent assénés à la porte d’entrée de notre appartement occupée ce jour là par ma mère et moi, jeune adolescent.
Me dirigeant vers la porte pour l’ouvrir, ma mère me supplia de ne rien faire. Elle ne voulait pas qu’on se mêle des histoires du couple, mais ne pouvant me retenir sur mon élan, elle me recommanda tout de même, d’être très prudent.

A peine avais-je ouvert la porte, que ‘la Signora Maria‘ s’engouffra littéralement dans l’appartement en criant et en pleurant à chaudes larmes, en nous suppliant ma mère et moi de la protéger de son mari, qui en effet était derrière elle, fou de colère, le visage défait par la haine, le teint livide, la bave écumant de sa bouche, les yeux exorbités, hors de lui et qui criait : je vais la tuer, je vais la tuer, en braquant dans sa direction un impressionnant revolver tout noir.
Je me suis trouvé malgré moi pris entre les antagonistes, persuadé que le mari ne mettrait pas à exécution sa menace, et je tentais de le calmer en le raisonnant, en lui disant que son geste contraire à sa religion et à son honneur, n’était pas digne de lui, qu’il ne devait pas commettre un acte sanguinaire, un péché mortel. Rien n’y fit.
Il répétait en me poussant pour avancer dans la maison et s’approcher de sa femme, tout en continuant de répéter : je vais la tuer, je vais la tuer !
Bon, bon, lui dis-je, ça va passer, calmez-vous, pensez à votre enfant. Vous voulez la rendre orpheline par votre geste?
Le forcené arrêta net ses propos menaçants, ses trais se figèrent. Etait-il en train d’avoir une attaque d’apoplexie ? Il était frappé de stupeur.
Puis tout d’un coup de grosses larmes coulèrent de ses yeux rougis.
L’image de sa fillette l’avait ramené à la raison, et lui avait fait prendre conscience du geste irréparable qu’il était sur le point de commettre.
Malheureusement sa femme continuait de se lamenter bruyamment
Intriguée par le silence de son époux, et se servant de ma mère comme bouclier, elle tenta de s’échapper par la porte grande ouverte.
Mal lui en prit, car son compagnon s’apercevant de sa fuite se précipita à nouveau vers elle.
Ma mère et moi, nous nous trouvâmes malgré nous, entre les deux furies, et nous essayâmes à nouveau de les calmer.
Saisissant avec toute ma force, les mains du forcené, dont l’une tenait l’arme sinistre dont le canon était plaqué contre ma poitrine, au point de me faire mal, je continuais de le dissuader, de renoncer à son projet meurtrier, tout en l’éloignant de sa femme et en en le poussant vers l’extérieur.
- Non, je veux la tuer, écartez-vous, sinon c’est vous qui allez être tué.
- Non, vous ne ferez pas cet acte affreux, non vous ne devez pas tirer sur elle, dis-je en voulant être rassurant mais un peu inquiet tout de même, de la tournure de la situation.
- Reprenez vos esprits, ressaisissez vous ! Tout en détournant le canon de ma poitrine.
Par miracle, je parvins à le désarmer.
Durant toute la scène du drame, j’étais persuadé que les menaces proférées par le mari étaient feintes, qu’elles n’étaient que pure comédie. Il voulait donner une bonne leçon à sa mégère de femme, en l’effrayant sérieusement, comme dans les scènes de cinéma.
Désarmé, reprenant peu à peu son sang froid, le forcené décida alors de quitter les lieux.
Il arrangea sa veste, et partit tranquillement, en essuyant son visage inondé de larmes, du revers de sa main.
Sa femme arrêta ses lamentations, et ses pleurnicheries, et regagna sa demeure, après nous avoir beaucoup remercié ma mère et moi, de notre intervention salvatrice.
Quant à moi, je ne savais que faire du revolver que je voyais de si près pour la première fois.
Je le mis sous un lit, puis par prudence, je le repris pour le mettre dans un endroit plus sur, le rebord d’une fenêtre inaccessible aux regards des enfants ou des voisins.

Quelques jours après cette terrible scène, le mari revint chez nous, pour donner de ses nouvelles : ça va mieux , j’ai décidé de la quitter et éviter tout nouveau scandale . Je suis venu, aussi pour reprendre l’arme.
Non, je ne vous la rendrais pas, aussi longtemps que vous ne serez pas complètement calmé, pas avant un mois, en pensant qu’à la prochaine altercation, il était capable de mettre de vraies balles et de massacrer sa femme.
Mais non, ça va, répondit-il en ébauchant un sourire qui se voulait tranquillisant. Ne vous inquiétez plus. Je quitte pour de bon cette mauvaise femme, cette sicilienne qui m’avait fait l’affront suprême, à moi un anglais et en pleine guerre de fréquenter sa poufiasse de collaboratrice et son boche d’ami.
Je ne peux pas rester, je ne veux pas qu’elle me pousse à bout, une nouvelle fois, et que je finisse ma vie en galère à cause d’elle. Elle n’en vaut pas la peine. Je dois penser à l’avenir de ma fillette.
Voyant que j’étais décidé à ne pas lui rendre le revolver, il accepta l’échéance proposée, mais je vous donne ma parole d’honneur que je vous le rendrais aussitôt que j’aurai mis le cran d’arrêt. Vous comprenez une balle peut si vite partir avec cet engin de guerre que ma femme avait rapporté de chez sa salope d’amie, le lendemain du départ précipité de son ‘’ capitano Heinrich’’.

Une sueur froide perla sur mon front, je fus pris d’un léger tremblement, que je dus surmonter, non sans efforts.
Sans montrer ma terrible méprise, au cours de la dispute, que je n’avais pas pris très au sérieux, ni mesurer le danger, tant j’étais persuadé que l’arme n’était pas chargée de balles, et que j’avais considéré leur dispute comme une scène de cinéma, je lui remis le lourd et sinistre revolver. Aussitôt après le déclic de la mise en place du cran d’arrêt, l’arme me fut rendue.
Quoi !!! il disait donc vrai, que je risquais d’être tué !
Et dire que le canon était appuyé contre ma poitrine pendant un bon moment ! si fortement que j’avais eu mal toute la journée !
Il parlait donc vrai, il voulait tuer sa femme ! Ce n’était pas du tout de la comédie !!
Une peur rétrospective s’empara de moi , après le départ de celui qui avait failli m’assassiner
Elle remplit mes nuits et me hanta longtemps après.
Ma mère avait donc raison de me conseiller ne pas me mêler des querelles des voisins.
Soit, mais alors, si je n’avais pas ouvert la porte à la Signora Maria ?…






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