Bienvenue

Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

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mardi 20 janvier 2009

POÈMES

Lydie KOSKAS (Master Lydie dat)

LES RUES
Je veux évoquer pour toi, Aziza
les rues de cette Tunisie
où tu n'es pas née
dont les noms ont pour certaines changé
mais que ton père et ta mère connaissaient.

Je pourrais écrire une chanson seulement
avec leurs noms.
Imaginons une ronde.
A l'intérieur toi et moi
et nous appelons ces rues
de l'autre côté de la Méditerranée.

L'Avenue de Carthage ma préférée
j'y suis née .
La rue Es Sadikia je ne peux l'oublier
par elle je passais tous les jours
pour aller à mon lycée .
L'avenue Jules Ferry
aujourd'hui aussi avec de superbes ficus
et des fleurs des quantités de fleurs
un émerveillement de fleurs.
L'Avenue Jules Ferry pour moi devenue
l'Avenue Bourguiba pour toi et pour moi .

La Porte de France il y a très longtemps
Bab El Bhar- la porte de la mer- prestigieuse
et qui s'ouvrait sur des rues inconnues des
petits français parce qu'ils ne parlaient pas
la langue . Ton père et ta mère connaissaient
la Porte de France comme une trouée entre
la ville européenne et la ville arabe .

La rue Sidi Ben Azouz au plus profond
des souks rue étroite et tortueuse
dans la cohue des femmes voilées
des hommes chéchia-rouge
des enfants braillards des étals colorés.
Dans cette petite rue , il y avait une école
primaire franco-arabe.

Que dirais-tu aujourd'hui Aziza de l'anachronisme
de cette école où la français était la langue officielle
et que personne ne parlait
Imagine alors des élèves de 10-12 ans
à qui je devais expliquer les poésies de Musset.
Connais-tu ce joli poème sur la lune
comme un point sur un "i" ?
Comment faire passer la magie de ces mots?
Alors écoute ce qui se passa . J'expliquai
le sens du poème d 'abord en arabe
née dans le pays je parlais et comprenais
ta langue , puis en français .
Alors les rires de mes élèves éclataient
de la joie de comprendre les sons et
le sens des mots et que la lune comme
un point sur un "i" ressemblait étrangement
à la belle lune de leur rue le soir dans le ciel.

Et si nous continuions notre ronde !
Rue Bab Carthagène rue Es- Sadikia,
rue El Djazirah rue Bab-Souika,
Place Halfaouïne Souk El Attarine
Les rues d'hier.
Sortons de la ronde.
Les rues d'aujourd'hui .
Avenue des Champs Elysées
Avenue de la Grande Armée
rue Molière rue Montmartre
rue de Clichy la rue où j'habite aujourd'hui .
Et toi Aziza quel est le nom de ta rue aujourd'hui


EL ARIANA - La maison de Forjania
Je connais le chemin je l'ai parcouru tant de fois
enfant
dans mes rêves souvent
le chemin de la maison de ma grand-mère
le chemin de Forjania sa voisine
la maison de ma grand-mère
la maison de sa voisine.

Des odeurs l'odeur de la maison
que je connais .
Ma joie Aziza de soulever
le heurtoir de bois patiné par les années !
connais-tu le patio le puits
la cuisine les chambres
odeur de pain cuit d'herbes et de soleil !
le patio ouvert au ciel bleu
bleu étoilé bleu bleuté.

Le puits centre de vie
le mystère du puits .
Les légendes nombreuses .
Un chat y tomba
un Djinn y vit .
J'y jetais des pierres et surtout je criais mon nom
que l'écho me renvoyait.
Et mes rires et ma peur
faisaient rire ma grand-mère
et sa voisine .

Alors Forjania me permettait
de tirer l'eau du puits.
Le grincement de la poulie
le seau vide en bois
vieux comme le monde et cerclé
de fer était si lourd en le remontant
que j'en versais sur mes pieds
et les éclaboussures de l'eau
se mêlaient aux éclaboussures du rire .

J'aime raconter les grandes jarres
de part et d'autre du patio
sur les jarres les plats de terre cuite vernissée
où séchaient des graine salées
de melons
de pastèques de potirons
salées et séchées blanc dégradé de sel
que nous léchions graines que nous décortiquions
entre nos dents pour en déguster le coeur
le soir quand la chaleur tombe et que
l'ombre fraîche de la nuit fait baisser les voix.

Souvenir un peu nostalgique
qui cherche un écho dans la mémoire
de celle de tes parents Aziza
même enfants de la ville ils ont connu
comme moi ces patios ces maisons
enfouies dans le dédale de rues
maisons bleu-blanc odeur
de chaux fraîche ravivées
de saison en saison pour le parfum et la beauté aussi
dédales de ruelles étroites et mystérieuses
maisons basses et blanches.

Reconnaîtraîs-je aujourd'hui
la maison de ma grand-mère
la maison de sa voisine ?

Un foulard de couleur noué sur la tête
une foutah enroulée autour des hanches
un mérioul à rayures mauves et blanches
pour corsage
Forjania n'était jamais voilée.
je la rencontrais sur le pas de sa porte
ou à l'intérieur de la "skifa"
quand les hommes s'en étaient allés
et que je pouvais jouer dans le patio.

Forjania ne connaissait pas le français
ma grand-mère ne le parlait pas
elles s'entendaient à merveille
dans leur tendresse pour moi.
l'une et l'autre m'appelaient
"benti"
dans le patio soleil or lumière diaphane
bénie .


LE MARCHAND DE BEIGNETS - LE FTAÏRI
Il me plaît de raconter
l'histoire du marchand de beignets
pour le plaisir
et le souvenir .

Dans une rue de Tunis une échoppe
petite
un renfoncement minuscule.
carreaux de faïence bleue aux murs .
Pénombre .
Le regard devine une vasque noire
l'huile fumante alerte l'odorat .
Se dessine peu à peu une silhouette
pose hiératique .
Les couleurs surgissent .
Le blanc bouffant d'un sarouel
l'ample blanc d'une chemise
rouge chéchia sur la tête
le ftaïri .

Sur un plan de marbre luisant
une grosse boule pâte blanche
pâte levée moelleuse aérienne.
La pâte odeur de pain levé s'inscrit dans mon esprit
et me fait rêver
pâte onctueuse dont le goût embuait
mes yeux trop gourmands .

Puis la magie
de mon ftaïri .
Les dix doigts tournent la pâte qui s'étend et s'affine
et glissent la pâte mouvement éclair tournant dans l'huile
qui enveloppe et cloque et dore le beignet .

La baguette-magie pique et repique le beignet
qui glisse odorant craquant
et le soulève pour le poser sur une assiette
d'aluminium aussi légère que le beignet
doré enrobé de sucre
doré croqué
accompagné du goût subtil de la figue
Tous mes sens éperdus réveillent
le goût l'odeur la couleur
de mon beignet .

Mon ftaïri me fascinait .
Impérial immuable dans ses gestes
il était l'éternité .

J'ai retrouvé dans le quartier de Belleville
une échoppe
un ftaïri
la reconstruction de mon ftaïri de Tunis .
Je n'ai pas retrouvé les gestes et l'attitude
Je n'ai pas retrouvé le blanc bouffant du sarouel
je n'ai pas retrouvé l'ample blanc de la chemise
je n'ai pas retrouvé le rouge chéchia sur la tête
je n'ai pas retrouvé mon ftaïri .


LE CHAMEAU DU SAF-SAF
Il était une fois dans la plus lointaine des petites villes
qui bordaient la belle Méditerranée en Tunisie
un palais et un Bey .
Dans cette ville lointaine de la Méditerranée
vivait dans son palais d'été
le Bey .

Non loin de ce palais d'été
un lieu attirait la foule plus que le palais du Bey
le Saf-Saf et son café

Il était une fois à la Marsa dans ce café du Saf-Saf
un chameau blanc
qui faisait la joie des petits et des grands.
Ce chameau avait les yeux cachés par des oeillères
et il tournait tournait
et son tournis actionnait une roue
qui faisait déverser l'eau du puits dans des bols de terre cuite .
Des "khalebs"
couleur terre poreuse , presque blanche jusqu'au tiers du galbe,
qui devient brique à la limite des lèvres
qui lèchent déjà les goutelettes de la fraîcheur de l'eau
qui transpire .

On allait au Saf-Saf pour ses terrasses ombragées l'été
pour ses trouées de soleil
et sa luminosité .

On allait au Saf-Saf pour ses casse-croûte tunisiens
harissa et thon débordant somptueux casse-croûte
appétissants.

On allait au Saf-Saf pour boire
dans des verres arabesques dorées
le thé à la menthe
menthe généreuse au parfum de la Tunisie .

On allait au Saf-Saf pour l'eau fraîche du puits
pour apaiser la brûlure de l'harissa
et celle de la chaleur de l'été .

On allait au Saf-Saf en famille
pour se régaler d'un boga,
limonade dont le seul nom appelle la nostalgie .

On allait au Saf-Saf en famille pour manger
se désaltérer et rapporter pour la nuit
l'odeur du jasmin
folle odeur enivrante
de ces petites fleurs blanches
couleur de la Tunisie .


UNE PLACE - LE MARCHE
Si je rencontrais Aziza tes parents
je leur dirais mon émotion des rues que j'ai traversées tant de fois
des rues où je traînais
quand le soir commençait à tomber
pour acheter le citron qui manquait
ou la botte de coriandre que ma grand-mère me demandait .

Si je les rencontrais je leur raconterais
cette place du marché
grouillante de Tunisiens juifs et musulmans.
J'évoquerais avec eux les échoppes des artisans
les étals de fruits et de légumes
les montagnes de persil odorant
de coriandre frais de carottes tendres
de navets mauves et blancs
de pomme de terre d'oignons d'artichauts
par kilos
abondance étourdissante faisant appel à tous les sens .

Ils verraient avec moi
la foule chéchias rouges et burnous rayés gris et marron
se promener nonchalente
orientale immuable .
Ils verraient aux étals des échoppes des bouchers
les moutons par moitié accrochés.

Ils verraient les femmes enveloppées
dans leur foutah blanche
serrer entre les dents un peu de leur voile
choisir le morceau de viande fraîche
et discuter longtemps
sur la qualité de la tête du mouton
"rass mosli" pour les gourmands .

Alors Aziza
si tes parents te racontent cette histoire
ne sois pas étonnée
qu'un peu de buée
voilent leurs yeux
car à travers ce marché
nous nous sommes rencontrés .


LE SOUK DES EPICES
Réserves inouies de nourriture
odeurs fantastiques
couleurs éclatantes .
Les sacs gonflés de riz de semoule grosse
fine et moyenne
de fèves
de haricots blancs et rouges
de farine.
La toile s'enroule autour de leur ventre
à mesure qu'ils se vident .
L'ocre de la semoule rend plus blanc
les grains de riz
la farine douce et lisse .

Des jarres d'huile des jarres d'olives
conservées dans la saumure.
Olives au fenouil olives noires
violet-noir énormes
luisantes brillantes tentantes
olives entières
cassées sous le pilon du mortier.
Des jattes de piments rouges écrasés
pâte onctueuse dont le goût
embuait les yeux.
La menthe et le coriandre
le cumin et la rose
le safran le poivre
et le paprika
orientaux étourdissants parfumés .


PARFUMS DE LA RUE
Terminus des cars direction Nord . Odeur de gaz-oïl
étonnament présente
dans le souvenir.
odeurs crachées en une fumée épaisse
avant le départ grouillant
gesticulant des voyageurs
se pressant se tassant
disparaissant sous les coufins
de raphia énormes
débordant de victuailles
de paquets ficelés
de poulets.
Chéchias rouges et djellabahs
mêlées
foutahs blanches et noires
dissimulant les formes
jeunes pour les blanches
noires pour les plus âgées
les mains couleur de henné
pour les jeunes et les plus âgées .
Et le talon henné
subrepticement escamoté sur
le marchepied .
Visage voilé formes ployées
grâce de la femme enveloppée .
Une main ramène prestement
le voile une seconde échappé
geste ancestral encore présent
en ces années .
Nostalgie.
Odeur du gaz-oïl disparu .

Connais-tu
les parfums de la rue
qui se mêlent et s'emmêlent
dans le matin ?

L'odeur des pois-chiches qui fument
petit déjeuner du pauvre
son fumet
alerte le passant frileux
qui s'engouffre dans la gargotte .

As - tu refermé tes mains
sur ces bols blancs
bouillants ?
en as-tu humé le goût
onctueux goutteux fondant
étourdissant ?
As-tu senti
fondre mêlés le citron
l'huile d'olive pressée
le cumin généreusement versé
l'ail pelé écrasé
l'harrissa délayé ?

Tous les sens bouleversés
bousculés .
Suivre la rue
et poursuivre les parfums.
Ici ils sont indélébiles
prégnants
indéracinables .

Ils sont là-bas et dans ma tête
odeur sourde entêtante
tous les parfums mêlés de toutes les
odeurs mélangées
dans des flacons contenus
diaprés irisés cristal bon marché .

Parfums de la rue pour l'homme de la rue .
Le lieu étonne . La foule grouillante
toujours .
Sur des tréteaux dressés
une planche étalée
et tous les parfums .
La violette et la rose, le santal
et le jasmin , le musc et la giroflée
l'ambre tellement .
Odeurs rassemblés en un parfum unique
Rue Es-Sadikia .
Elles sont là-bas et dans ma tête
odeurs sourdes entêtantes
tous les parfums mêlés de toutes les
essences mélangées .


LE JASMIN

Connais-tu le jasmin
odeur suave et presque troublante
la plus chantante la plus enivrante
la plus nostalgique .
Petites fleurs blanches étoilées
grâce de Dieu
bouquet de la mariée offert
ramassé dans une feuille de figuier
ou ceinturé de fil d'or rouge
bleuté
pour mieux laisser s'épanouir
sa blancheur son velouté,
sa virginité .
Parfum lourd volupté déroutant
la légèreté de la fleur.
Encore aujourd'hui
de très loin le jasmin m'appelle .

Jasmin coquettement glissé
derrière l'oreille
fleurs blanches alanguies
contre le rouge-chéchia
jasmin du vendredi
après la prière et du samedi
jasmin de la Tunisie

Les marchands de jasmin
marchands de parfums
déambulent corbeilles
sur la tête .
Coulent sur leurs mains
des colliers de jasmin
fleurs blanches pressées
en rang serrés
pour mieux étaler l'odeur
et les couleurs .
Le jasmin d'Hammamet
couvre tous les parfums
s'étend par delà le bleu
roule sur les yeux
drape de sa beauté
les nuits d'été .


UNE TERRASSE
Une terrasse la terrasse
des pays chauds des pays bleutés
les jours de grande lessive s'animait .
Terrasse cuite par la lumière du soleil
terrasse habillée fils de fer
parée du linge qui séchait .
Les draps blanc-bleuté par la chaleur
les torchons les serviettes
dont l'ordre relevait de la beauté
harmonie naturelle des murs blanc -crépis
lézardés
de la chaleur du soleil
du ciel immensément bleu .

Les draps d'abord
tirés nets toujours blancs
odeur de savon vert
les serviettes les blanches
celles de couleurs ensuite
puis les robes
éclatement de couleurs
puis les torchons les grands
les petits en dernier
les blancs en premier
au soleil
soleil vie soleil beauté soleil bleuté .
Nous courions nus pieds
sur le sol crevé
l'asphalte effondré
lavandières du jour
courant à travers les draps étalés
nos ombres rapportées
humant l'essentiel
le soleil .


JEUX DE RUE
Rue étroite et longue
pavée
bordée de maisons blanches et bleues .
Rues des jeux
jeux dans la rue
des enfants
dépenaillés embroussaillés
éclatés de la lumière de l'été .
Jeux de rue
jeu de l'escargot
importé de l'autre côté de la Méditterranée
jeu remanié jusqu'à l'authenticité
du pays où je suis née .

Entrelacs de cercles et de lignes
blancs rouges verticaux
couleur du drapeau
croissant de lune à la craie tracée
pour le jeu.
Une petite boîte de fer-blanc
lancée
à cloche pied poussée
jusqu'à l'extrémité
permet aux filles de gagner .
Petite boîte de fer -blanc
bruit vide de la boîte vide de fer-blanc
bruit de cette boîte vide
heurtant les pavés
pour les dépasser .
Bruits des jeux de la rue .

Jeux de noyaux pour les garçons
plus culbutants plus bruyants .
Accroupis contre un mur
à la lisière de l'ombre et du soleil
ils déversent dans les cris sur les pavés
des noyaux d'abricots
séchés calibrés
petits moyens
plus gros .
L'échange d'abord . Chacun étale ses richesses .
Le troc commence
ancestral rituel .
Un gros contre quatre petits
deux moyens contre un gros
des petits contre des moyens .
La pièce maîtresse jalousement gardée
un gros noyau en son centre percé
rempli de savon vert tassé .
Alchimie savante recette secrète
des garçons de la rue .
Jeu des noyaux alignés
en rangs superbes
que les garçons visent
pour rafler dans les rires
les plus gros .
Genoux écorchés boutons arrachés .
Noyau -jouet du pauvre
richesse de la terre
fruit or
jeu d'enfants des pays chauds
jeu de rue jeu dans la rue
jeu de quat'sous jeu de la rue .


MER MEDITERRANÉE
Somptueuse Méditerranée
plats de vagues sur le sable lissé
l'été.
Horizontal infini
vaste nappe des eaux qui scintillent
le regard cherche à pénétrer sous ce miroir splendide .
Soleil de l'Ifrikiya
sur l'eau plombé les flamands roses
immobiles .
Bleu intense du ciel
que découpent vigoureusement tous les profils
couleur profonde des eaux
cliquetis de lumière
ciel bleu
bleu lavé de vert
où courent de légers nuages blancs
blancs modelés en blanc sur d'autres blancs
demi-teintes à peine sensibles
ombres transparentes qui passent du blanc
au vert -violet-rose.

Poésie du Levant
soleil dévorant
il n'y a d'ombre que sous les turbans .
Tunis
ez zaïra
la fleur de l'Ifrikiya .
La Méditerranée
tache immense d'un bleu profond et transparent
gigantesque saphir
reflète dans ses eaux tout l'azur du ciel .

Vers le Nord la mer
toujours la mer
jusqu'au point extrême où l'oeil
ne la peut plus suivre
et la confond avec le ciel .

Tous les matins les bandes se déployaient sur le sable fin des plages de l'été . Allongées elles formaient un large demi - cercle face à leur Méditerranée . En elle plongent les jeunes gens les têtes disparaissent les corps luisent de l'éclaboussure de l'eau . Les filles sont belles les corps déjà sensuels agacent les garçons . Dans l'eau le jeu est davantage autorisé . Les mains se touchent glissent frôlent le creux de la jambe. Parfois sous la pression de l'eau et du désir naissant deux corps se heurtent . la fille surprise par le rebondi du sexe pousse un cri effrayé et sous l'eau disparaît . Elle rejaillit ruisselante d'un geste rapide elle lisse ses cheveux tire sur le slip qui colle à la peau là où l'émotion est née .

Ceux qui allaient partir
pendant ces deux mois de l'été
buvaient l'eau et le soleil et les rires .

L'été finissait dans le calendrier .

La mer et le soleil sur la peau
la mer dans les yeux
prolongeait l'été .

Forces vives de la méditerranée
bues
pour un ressourcement profond
pour toute l'année
qui se passerait de l'autre côté
de la Méditerranée .


T.G.M . TUNIS-GOULETTE-MARSA
Tunis Tunis-ville Tunis-marine
Goulette vieille Goulette-neuve Goulette-casino
Le Kram Kherredine Aéroport
Salambô Carthage
Sidi-Bou-Saïd
Hamilcar Dermech Douar-Chott
Marsa-plage Marsa-ville .

L'Orient et l'Occident
par wagons rapprochés
filent l'été le long des voies .
Le T.G.M. mécanique
électrique
en bois
emporte les voix
parlers hauts tons mêlés
rires déployés
roule de joie
fenêtres ouvertes.

L'air décoiffait les cheveux dénoués
les ficus frôlaient
les visages
et les mains effleuraient les branchages .
Voyage mille fois recommencé
la chaleur sur les corps
les fins corsages moulés .
Dans sa course lente
le train nous emportait
vers l'été .
La fête à chaque arrêt .
Tunis-Marine l'odeur âcre du lac
eau tournée par la chaleur plombée .

Les flamands roses pêchent dans les eaux tranquilles
et s'envolent au crissement du train
qui ralentit .
Eclats de rire des corps bousculés
burnous de tous les blancs mêlés .

Goulette vieille
ô femme si vieille
la chaux qui barbouille tes murs
s'écroule
mais sur la terrasse
on prend le café
à l'ombre du figuier épais .
Sur les trottoirs râpés
les chéchias-rouges s'animent .
Près d'une porte mauresque
verdoie un élégant palmier
et le soleil blanchit
tes murs de chaux crépis .

Kherrédine . Les plages de l'été
toute l'enfance et
l'adolescence .
Des grappes joyeuses colorées
attendent sur les quais les pères
costume froissé bras chargés .
La fête est grandiose
l'Orient se mêle à l'Occident
les paniers de l'été
ouverts à la lumière
les paquets tassés sur les têtes portés .
Foule bigarrée rapprochée
teint très animé
regard ourlé
cheveux
noir-bleu .

Les femmes de l'été
glissent leurs bras dorés
sur la taille des amis retrouvés .
Les petits s'accrochent aux larges hanches
orientales
les hommes marchent devant
chemises blanches
sarouel blanc bouffant
djellabah blanc troublant
vers la maison .

Le train se vide
les gares défilent .
Arrêt rapide à Salambô
Carthage
Didon et Enée
profondément oubliés .

Sidi-Bou-Saïd .
Tous les bleus éblouis
le bleu de la Méditerranée
le blanc-bleu des maisons
le bleu diapré du ciel
choc de la lumière
et de la couleur
rythme des taches
paysage découpé en masses
colorées .

Ici une véranda surmonte le porche d'une maison
et se profile sur le ciel
là le café maure
tout en haut la silhouette du phare.

La Marsa El Marsa.
Les dernières djellabahs
cherchent l'ombre des figuiers
et attendent le soir
pour jouïr sur les terrasses
du ciel étoilé
en buvant un café .

Marsa-ville
ville du Bey désertée .
Le train fait une boucle
et reprend sa route
vidé léger moins gai
et seul pour le soleil couché .


UNE BEDOUINE
Loin de la nouvelle ville d'El Ariana
moderne déjà
et par delà les murs de la Médina
un paysage biblique
et tout bascule .
Des champs arides
un olivier .
Un berger et ses moutons
lentement s'achemine
couleurs confondues du visage calciné
et de la terre brûlée
vers son gourbi
murs de pierres et de broussailles .
Devant le gourbi Rgaia la Bédouine
Rgaia mon amie
ma beauté ambrée .
Sur le front un tatouage bleuté
une parure de lourd argent
soutient une chevelure tressée
noire et noirs les yeux
ourlés du khol .
Les mains paumes henné
légères sous les bracelets
en argent moulé et ciselé
traces de gazelles colombes bibliques .
Un khellal croissant de lune
traverse le tissu de coton .
Sur la poitrine des qlâyd motifs argent empruntés
à la nature
étoile et disque du soleil
arabesques jolies .
Les pieds nus chevilles cerclées d'argent
s'enfoncent dans la terre
comme pour en prendre possession .
Rgaia au prénom rude est douce
comme le silence .


LES CRIS DE LA RUE
Cris du passé
de l'enfance
qui nous ont bercés
dans les rues .

Bomboloni .
Fracas du souvenir du retour des plages
blanchis du sel de la mer
pieds nus sur l'asphalte
les doigts chauds du beignet sucré
odeur vanillée .

Frigolo .
La chaleur de l'été
les nuées d'enfants agglutinés
devant le coffre des chocolats glacés .

Les plus jeunes préféraient les gaufrettes dentelées
fines et craquantes
qu'ils achetaient pour gagner le sucre d'orge
caramélisé
bâton qu'ils avaient en tournant une roue
roue de fortune
des enfants des pays chauds
non pas un cri
mais un bruit du cliquetis de la roue
identifiable entre tout .

Caldi caldi
friands venus de l'Italie
fromage de Tunisie
caldi caldi chauds les caldi .

Point de cris
pour le cornet de frites .
Frites légères croustillantes
que le marchand versait dans un cornet de papier
et qu'il saupoudrait
d'un sel généreux .
la foule agglutinée dégustait
les frites le sel et le soleil
dans la chaleur des rues de l'été .

Les cris du matin concernaient moins les jeunes .
la rue s'éveille besogneuse et nonchalente
les cris familiers
ponctuent la journée.

Vitrier vitrier voilà le vitrier
sans doute dans beaucoup de pays
mais notre vitrier faisait trembler les vitres qui s'ouvraient
son cri impératif rappelait à qui l'avait oublié
qu'il avait un carreau cassé .

Le cri de l'aiguiseur trouait le début de la matinée .
A l'aiguisé les couteaux
à l'aiguisé les ciseaux
voilà l'aiguiseur .
Toutes les fenêtres s'ouvraient
les femmes descendaient
admirer l'adresse de l'aiguiseur
et sa panoplie de couteaux
et de ciseaux .
La roue tournait
la pierre à aiguiser mouillée affûtait
les couteaux .
Quand l'aiguiseur éprouvait sur le pouce
le tranchant du couteau
les femmes sûres de son habileté tendaient
leurs couteaux et leurs ciseaux .

Le cri du roba-vecchia est lié
au temps et à l'espace
à la chaleur lourde du début de l'après-midi
à l'heure bénie de ces siestes de ma Tunisie .
Les volets fermés
les draps frais
la cironnade glacée
le cri du roba-vecchia .
Il module les premiers sons
s'arrête puis pousse les suivants
et reste suspendu en apostrophe
sur le dernier avant de reprendre sa litanie
qu'il pousse interminable
jusqu'au moment où un volet s'ouvre
et où on l'invite à monter .

Cris de la rue
cris de la ville
cris de ma ville
cris de la Tunisie où je suis née .



SIDI BOU- SAÏD
Le figuier à la feuille large découpée
riche à la racine de la sève
sang blanc épais
tranché goutte laiteuse
annonce la saveur du fruit
figue violette la plus sensuelle
ouverte rouge
goût de miel.

L'olivier tourmenté
puise dans ses racines
l'eau
pour le fruit vert
assoiffé de donner son essence
vierge onctueuse .

Le figuier de barbarie
tend ses cactus
feuilles grasses si vertes
et fleuries
du fruit curieux
qui pique mais doux
à mon palais qui sourit
à la pulpe fondante
et oublie les grains déroutants .

Bleue la Méditerranée
par delà les figuiers
et les oliviers .

Le blanc-bleu de Sidi Bou-Saïd
couleur symbolique
éblouit
la petite place au pied du café des nattes .

Voyager en moi-même
pour tout retrouver .
Les marches usées
dont l'escalier
dissimule la mosquée
présente par le minaret
le costume traditionnel
sarouel blanc serré
coquetterie des patriarches
enveloppés dans leur gandourah
brodée gansée
blanche
la chéchia familière
identité tunisienne
comme un drapeau sur la tête .

L'ancien et le nouveau
se côtoient
les jeunes jeans bleus
et chemise blanche
assis sur le marches
accroupis
adossés
retrouvent les gestes lents des anciens
pour boire l'odeur et la couleur
sur les marches assis .

Voyager en moi-même
pour tout retrouver
le temps immobile
le jasmin
la djellabah
la chéchia

les terrasses couvertes ouvertes
la porte arcade voûtée
bleue
striée de noir
les nattes à l'intérieur
paix et calme
un parfum de café
et de thé
dégusté à petites gorgées
les discussions voix murmurée
pour l'instant privilégié .
Jambes repliées
accoudée sur les nattes
boire l'odeur et la couleur .


LE MARCHAND DE JOURNAUX
Je voulais voir
mon marchand de journaux
alors je suis descendue
jusqu'au plus enfoui
je suis descendue d'abord
à la frange du souvenir
le souvenir de ma rue
puis je suis descendue
plus loin
et j'ai avancé jusqu'à l'angle
des rues de Carthage et du Portugal
cherchant par dessus
le replat du mur
le visage de mon marchand
et ses journaux
j'étais venue dans cette rue
pour écouter vendre à la criée
la Presse
le Petit Matin
la Dépêche Tunisienne
pendant que j'avançais
je l'ai appelé "hé"
je suis venue bousculer
les pièces de monnaie
sur les journaux étalées
j'ai joué à dérober le journal
à le reposer
à esquiver la tape amicale
jeu tous les jours répété
malice de l'enfant
et de son marchand .

Je voulais poursuivre mon trajet
pour aller au Lycée
revenir déjeuner
retrouver à quatre heures
les journaux
et mon marchand
sa longue blouse grise
et sa chéchia rouge
l'odeur du papier
et les doigts noircis
de l'encre fraîche imprimée .
Journée ponctuée par quatre arrêts
multipliée par dix-huit années .
Déchirure du départ
quitter ce que j'aimais.
Qu'est devenu mon marchand de journaux ?


L' OUD - MUSIQUE D'ORIENT
Dans le patio ouvert
les sons de l'oud
déchirent le soleil
douleur muette
de la nostalgie
notes du passé
l'indicible .

Dans le patio ouvert
les fleurs d'oranger
se taisent
la musique lancinante
tremble
une voix chante
des sanglots .

Dans le patio ouvert
le soleil .
Les notes s'élèvent
pour trouver leur part du ciel
le citronnier
fruits d'or
pleure .

Dans le patio ouvert
la musique
de l'oud mythique
épouse les formes
de la lumière
les ombres déracinées écoutent
la mélopée.


LE HAMMAM
Les femmes sont grosses moulées dans leur foutah
le tissu mouillé colle aux formes larges
réconfortantes
pour les fillettes venues à la fête
de l'eau du savon de la vapeur
des rires .
Les murs transpirent
les gouttes descendent et glissent
mouvement continu
à travers la buée des bains
opacité .
Les mains se cherchent
le savon glisse .
Etendues sur le marbre chaud
les fillettes attendent le moment
du gant rugueux
le savon blanc mousse
le tfel dégouline des cheveux
sur les corps d'argile
hoquets de surprise sous l'eau glacée du seau
jeté dans les rires
et qui ruisselle sur les dos
éperdus de plaisir .
Le bruit résonne
en écho
dans la salle haute chaude
des vapeurs caressantes .
Les jeunes filles alanguies
tout juste épanouies
se protégent des you-you
éclatés de leurs mères trop aimantes .

Des cris
des pleurs de peur parfois
le bruit métallique des seaux .

A travers les buées
les mères emportent dans leurs bras
leurs petits
murmurent des saha saha
de tendresse et d'amour
féerie de l'instant marqué dans la mémoire
les mots coulent doux
ma princesse
mon étoile
ma beauté .
A travers des buées moins opaques
les mères enveloppent
leurs petits
les déposent dans de grands éclats de joie
sur les nattes de la salle gaie
serviettes déployées
découvrant une nudité plus farouche .
Les serviettes se referment .
Les petits dégustent l'orange
et le citron doux
dans le hammam clos .


ARBRES
Par delà les figuiers
et les oliviers
la Méditerranée .

Le figuier à la feuille large découpée
riche à la racine de la sève
sang blanc épais
tranché goutte laiteuse
annonce la saveur du fruit
figue violette la plus sensuelle
ouverte rouge
goût de miel .

L'olivier tourmenté
puise dans ses racines
l'eau
pour le fruit vert
assoiffé de donner son esssence
vierge onctueuse .

Le figuier de barbarie
tend ses cactus
feuilles grasses si vertes
et fleuries
du fruit curieux
qui pique mais doux
à mon palais qui sourit
à la pulpe fondante
et oublie les grains déroutants .

Par delà les figuiers
et les oliviers
le soleil ruisselle .


PRIERE DU SAMEDI SOIR
Dans la maison carrée
loin de la ville
européenne
le Samedi soir
à la tombée du jour
la bénédiction du grand-oncle .
La prière s'élève
débit rapide
des mots de la langue biblique
mots avalés dans leur énoncé
modulés de telle manière que l'intonation seule
permettait de répondre en choeur à l'officiant

Béni Béni soit son nom .

Le verre de vin rouge
l'éclat du vin rouge dans le verre
le verre de vin rouge dans la main
pendant la prière
l'oncle trempant ses lèvres dans le verre
le verre passant de lèvres à lèvres
et pour clore l'instant merveilleux
empli de joie et d'émotion
tous les enfants baissent la tête
pour recevoir
une goutte du vin bénie par l'oncle
sur les cous offerts à la bénédiction .


SIDI BOU - SAID
Sidi Bou Saïd
joyau blanc-bleu
éblouit l'oeil bleu de mes rêves

Voyager en moi-même
pour tout retrouver
le café des nattes
la petite place
immobile
les marches usées
dont l'escalier
dissimule la mosquée
présente par le minaret .
Le chant du muezzin
mélopée familière
enveloppe les murs
et se jette dans la mer
dans la mosquée les fidèles se prosternent .

J'ai passé des jours à écouter le silence
à regarder la lumière
prière silencieuse .

Murs blancs
portes bleues
étoile filante
le phare .
Stries rouge cru
du levant dans le ciel
fouillis de boutiques
de souvenirs .

Devant moi la mer
calme horizontale
dans le matin bleu et or
l'après-midi la clarté du soleil
devant la mer .

Terre de lumière
simple transparent
plénitude
vérité
le moi éclate
dans l'air limpide .

Voyager en moi-même
pour tout retrouver
la tache de lumière
sous la véranda close de moucharabiehs
le bruit des dominos claqués
sur la table bancale
en bas des marches .
Les joueurs impassibles
jasmin à l'oreille
aspirent à petites gorgées
le thé brûlant .

Voyager en moi-même
pour tout retrouver
les terrasses couvertes ouvertes
la porte voûtée
bleue cloutée
les nattes à l'intérieur
paix et calme .

Un parfum de café
de narguilé
voix murmurées
des amoureux du café des nattes
unis dans la plénitude sensuelle et spirituelle
où chacun est le centre de l'éternité .

Voyager en moi-même
pour tout retrouver
le jasmin
la Méditerranée
le minaret
le café
quelque chose qui touche au sortilège .

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