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Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

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vendredi 23 janvier 2009

NOSTALGIE TUNISIENNE


Gilbert BELAISCH

Je ne parle pas, ou vraiment très mal, le judéo-arabe. Il est pourtant un mot que tout juif originaire de Tunisie connaît. Phonétiquement, c’est « l’ouarch’t » et il signifie pour moi regret d’une chose passée (et non pas d’une chose que l’on regrette de ne pouvoir accomplir) ; regret d’un événement passé ou d’une atmosphère que l’on ne retrouvera plus. Et pourtant, écrire sur la nostalgie tunisienne me paraît une gageure même si l’enfance est théoriquement la période la période la plus heureuse ou tout au moins une des périodes les plus heureuses de l’existence. En effet, je n’ai pas du tout l’impression que cela a été le cas pour moi.

Non pas qu’enfant j’aie été particulièrement malheureux, mais l’espoir d’une vie meilleure en France a toujours été une certitude pour moi.

De toutes façons, à l’adolescence (je suis né en 1936), bien avant l’indépendance qui devait avoir lieu en 1956, je savais qu’il n’y avait aucun avenir pour moi en Tunisie. Pour y vivre et y gagner sa vie nous devions être en effet, non seulement tunisien de nationalité, mais également (on dirait aujourd’hui : surtout) musulman.

Ceci étant, bien sûr qu’il y a eu des moments très heureux en Tunisie, moments personnels, intimes, qui donc en principe n’intéressent que moi, mais aussi collectifs et partagés avec la famille, la « bande Belaïsch, que ces moments aient été vécus à Tunis même ou à LA GOULETTE, qui restera toujours pour moi la pierre angulaire de mes merveilleux souvenirs en Tunisie. C’est d’ailleurs ce qui me fait à la fois regretter et haïr la Tunisie. Car La Goulette où je passais plus de 3 mois de ma vie par an, les vacances commençant dès la fin mai, rendant ainsi le 2ème trimestre scolaire beaucoup plus important que le 3ème, pourtant affecté d’un coefficient supérieur. Je profitais en effet du départ précoce en vacances à la plage de mon cousin Jean-Claude avec sa famille, mon père lui, ne prenant quasiment jamais de vacances : il allait travailler le matin à Tunis, revenant vers 13H, l’avant-bras gauche légèrement bronzé tant il avait chaud sur la route et roulait la fenêtre ouverte, accoudé sur le côté gauche (comme le soir du Seder). Trempé de sueurs il allait alors prendre un bain rapide, portant ses lunettes de plage, plus très adaptées à sa vue mais munies d’une monture élastique qui s’enroulait bien autour de ses oreilles et tenaient donc bien quand il mettait la tête dans l’eau.

Bien sûr ces détails ne constituent pas très exactement ce que j’appellerais de très bons souvenirs qui me feraient regretter la Tunisie, mais ils me reviennent facilement en mémoire quand j’évoque mon enfance en Tunisie et surtout mes souvenirs de LA GOULETTE. Car enfin, La GOULETTE, où nous vivions la famille Belaïsch toute entière, chaque famille dans une petite chambre, un WC commun pour 10 familles et une unique salle d’eau pour tous avec juste un petit lavabo et bien sûr sans eau chaude. Nous ne savions même pas que l’eau chaude pouvait exister. Ou plutôt si, puisqu’à Tunis, où nous habitions au 40 rue de Naples (avec même une 2ème entrée par le 17 rue de Marseille, la maison étant située à l’angle de ces rues), dans cette maison donc, nous avions théoriquement un chauffe-eau à gaz dans la salle de bain. Mais ce chauffe-eau n’a jamais marché, ma mère me disant, lorsque nous prenions une douche plus ou moins froide en hiver : « frotte-toi bien cela va te réchauffer ! ».
Cette villa, construite en 1910 ou 1915, est en première page du guide Gallimard sur la Tunisie, tant elle était belle par ses carreaux de céramique multicolores, « azuleros » qui décoraient en particulier la véranda et la façade. Cette villa reflétait d’autre part, je l’ai appris plus tard grâce à ce guide, une conception architecturale hardie intégrant le patio intérieur fermé et à l’abri des regards des villas romaines et plus tard arabes avec l’ouverture sur le monde extérieur que représente l’Occident.
Cette véranda était le lieu de réunion de toute la famille et des amis de passage. Elle jouissait, surtout dans sa partie avant-gauche (c’est le médecin qui parle !) d’un agréable courant d’air, « la neshma », même dans les heures chaudes de l’après-midi. Mais surtout elle jouissait d’une vue exceptionnelle sur le golfe de Tunis et son fameux Bou Kornine, montagne à 2 bosses, évocatrice d’un sommet de volcan (mais le professeur de géographie, Paquel, nous a toujours affirmé que ce n’en était pas un). Cette vue était exceptionnelle vaut très bien à mes yeux celle de la baie de Naples, pourtant bien plus réputée : « voir Naples et mourir », dit-on. Les grands-parents, dans leur sagesse, ne voulant pas exposer la villa aux intempéries salées d’un premier rang en bord de mer, s’étaient renseignés au cadastre et avaient décidé de construire la villa un peu en retrait, au côté pair de l’avenue de Carthage après s’être assuré que la zone située entre la villa qu’ils projetaient de bâtir et la mer était inconstructible.
Cette véranda était un lieu de convivialité par excellence (même si elle retentissait parfois de disputes homériques entre nous ou plus exactement entre nos parents, chacun prenant la défense de ses propres rejetons qui, évidemment se disputaient très souvent pour des broutilles qui nous paraissaient alors des litiges insurmontables. Ma tante Blanche disait alors ne jamais prendre parti pour l’un ou l’autre de ses frères car « 2 frères se disputent 10 fois mais se réconcilient 11 fois, alors que moi, si je prends parti pour l’un, l’autre m’en voudra toujours » !)
C’est là donc que se retrouvaient parents, au sens très large de la famille et amis.
Ma grand’mère Ma, océan de tolérance, de sagesse et de gentillesse, était toujours là pour offrir à tous une citronnade bien fraîche. Nous n’avions pas de réfrigérateur (comment, maintenant, pourrions-nous vivre sans ?) mais une antique glacière alimentée tous les mations par volumineux pain de place (« la glace ! » hurlait la carriole frigorifique qui montait ce pain de glace enveloppé dans une toile de sac en jute dont je me souviens encore de la couleur marron. Et c’est ce pain de glace dont avec un pic nous détachions un morceau. Ou encore, la citronnade était préparée avec l‘eau relativement fraîche d’une grande gargoulette d’où nous puisions de l’eau à volonté à l’aide d’une louche en métal.
C’est dans cette villa que nous passions parfois les fêtes de Kippour lorsque les hasards du calendrier faisaient que cette fête tombait en septembre et que nous étions donc encore à la plage à cette époque. Nous faisions venir un rabbin et un shiffer, rouleau de prière dans son coffre de bois. Toute la famille et sa parentèle s’y retrouvaient. Il y avait un monde fou et nous trouvions très naturel, la question ne se posant même pas, qu’à cette occasion hommes et femmes se côtoient, les hommes bénissant absolument toute leur famille au moment de la prière des Cohanim. Aussi, quelle n’est pas notre déception lorsqu’à Paris, nous retrouvant dans un oratoire tunisien au 2ème étage de la synagogue de la rue de la Victoire, le rabbin, bien que tunisien, mais sous influence polonaise, s’oppose absolument à la réunion familiale au moment de cette prière. C’est une des raisons qui m’a fait abandonner l’appartenance au Consistoire Central pour adhérer au Mouvement Juif Libéral où heureusement, les femmes ne sont pas considérées comme des pestiféférées et où donc nous pouvons bénir aussi nos épouses et nos filles.

En été, nous nous voyions tous les jours pour discuter, chanter en se faisant enregistrer, à l’occasion de réunions du « Facous-Club » sur le magnétophone que tonton Charlot avait offert à mon cousin Jean-Claude, ou encore pour danser et à 12 ans, nous dansions presque tous les jours, à n’importe quelle heure, même à midi !
C’est cette amitié et cette proximité qui me fait peut-être le plus regretter la Tunisie et en particulier LA GOULETTE, à tel point que c’est ainsi que j’ai appelé, après moult discussions avec ma femme Francine (qui habitait alors la villa d’en face mais que je ne fréquentais pas car considérée alors comme trop jeune) la villa achetée à Pyla-sur-Mer, pour la remplacer.
C’est cet amour de LA GOULETTE qui me fait également haïr LA Tunisie en ce sens que cette villa a été squattée par Najet, la fille aînée de BENOUR, l’ancien chauffeur de la famille Belaisch et plus exactement de mon grand’père Moïse qu’il emmmenait tous les matins à la briqueterie. Najet, qui habitait un petit logement dans le jardin laissé un peu à l’abandon de la villa, avec sa sœur Hédia et sa maman, Mena, toutes deux, elles, très gentilles, a peu à peu envahi le rez-de-chaussée de la villa puis à la mort de mon père, qu’elle respectait et craignait peut-être un peu, a occupé toute la villa, nous en interdisant même l’accès lorsque, en vacances, nous avons voulu une fois revenir dans notre villa (natale en ce qui me concerne), ne serait-ce que simplement pour la revisiter et laisser les souvenirs refluer et envahir mon esprit.
Cette villa est si attachée à mon coeur, tant elle est chargée de bons souvenirs que lorsque à l’approche de la retraite nous avons acheté une résidence bien sûr au bord de l’eau, plus précisément à Pyla sur Mer, sur le bassin d’Arcachon, nous l’avons surnommée « LA GOULETTE » !
Cette villa était le cœur et le ciment de la famille Belaïsch et des familles apparentées. En effet, nous étions toujours les uns chez les autres, mangeant indifféremment en fonction des occasions dans l’une ou l’autre famille. Nous nous entendions très bien, toujours très content de nous retrouver et nous n’avons compris que bien plus tard, en sortant de notre milieu, combien ce sentiment de plénitude, de lien profond, était si naturel chez nous, à la différence d’autres familles souvent très dissociées par des querelles d’argent, des jalousies, des volontés de pouvoir ou des raisons depuis longtemps oubliées mais qui continuaient à jouer leur rôle destructeur. Probablement que nos parents se querellaient parfois, mais ils nous élevaient dans l’amour et la solidarité entre nous, de sorte que nous avons toujours été très heureux de nous retrouver, même longtemps après que la vie nous aient séparés.
Comme la maison n’était pas inextensible et que la famille s’agrandissait régulièrement, les enfants dormaient dans une même pièce que l’on appelait « la chambre des enfants », les occupants de cette chambre changeant avec le temps et « l’émigration » de certains en France pour faire leurs études ou encore se marier .
C’est tout de même de LA GOULETTE que j’ai gardé les meilleurs souvenirs et le lieu et l’époque que je regrette le plus.
Je n’oublierai en effet jamais que c’est là que j’y ai appris l’amour de la pêche au « bloc ». Le bloc était une immense jetée fermant côté golfe de Tunis, le canal de La Goulette (le goulet de l’oued) par où les bateaux passaient pour entrer ou sortir du port de Tunis. C’était (je dis c’était parce que le bloc a maintenant disparu, la zone ayant été complètement transformée et devenue maintenant, je crois le port même de Tunis. C’était donc une jetée d’une centaine de mètres, construite en ciment gris avec, à son extrémité en haute mer, un phare surmonté dans mon souvenir d’une tourelle rouge et blanc. Une après-midi donc, mon oncle Charles, « Pazon la Paz » comme l’appelait sa fille, ma cousine Maryse, nous a emmenés à la pêche avec son autre fille, Jacqueline, mon cousin Jean-Claude et peut-être encore un ou deux cousins. Après une longue route à pied, nous avons successivement traversé La Goulette-Casino, La Goulette Neuve puis la Goulette Vieille où nous avons commencé par acheter, pour quelques millimes, l’appât, les fameuses « Trimolines », vers de vases recueillis par de petits siciliens ou des arabes. Puis nous sommes allés au pied de « La Caraca », vieille forteresse construite par Charles Quint dans une des deux ou trois boutiques tenues par des siciliens et qui vendaient tout l’attirail nécessaire : cannes non pas en bambou bien flexible, car trop chère mais en gros roseau à l’extrémité très relativement effilée et donc résistante mais souple, du fil de pêche, appelé « gut », peut-être par analogie avec l’intestin, un flotteur (le bouchon), des hameçons montés, c’est-à-dire attachés par un fil en nylon et bien sûr de petits plombs pour lester le fil. Il y avait aussi une autre façon de pêcher, avec un fil de pêche enroulé autour d’un liège, muni de deux ou trois hameçons et terminer par un plomb indispensable pour pouvoir lancer le fil au loin.
Ainsi équipés, nous sommes repartis d’un bon pas pour remonter le bloc et trouver un emplacement de pêche, le meilleur (au déversoir d’une bouche d’égout) étant déjà bien sûr occupé par des pêcheurs comptant sur leur prise pour manger. Et c’est là que j’ai connu la joie d’attraper un poisson en voyant le bouchon s’enfoncer, indiquant qu’il fallait alors vite relever la canne pour ferrer le poisson. Ou encore ressentir les touches, les secousses imprimées au fil par le poisson qui tentait désespérément de se désengager de l’hameçon (et qui heureusement pour lui, y arrivait très souvent, tout au moins en ce qui me concerne. Mais quelle joie, d’attraper un poisson, quels hurlements de bonheur pour prévenir toute la bande qu’on avait réussi à attraper un poisson, voire deux d’un coup !
Il y avait aussi des petits marchands de boissons fraîches (ou qui l’étaient au début) qui transportaient de l’eau ou des boissons gazeuses dans un seau. Ce seau était bien lourd et je plaignais le gamin de mon âge qui n’avait trouvé que ce moyen pour gagner quelques sous.
Au retour, je m’en souviendrai toujours, notre oncle Charles nous a fait répéter la rengaine à chanter à tue-tête peu avant d’arriver à la maison, pour que tout le monde l’entende bien : « on a attrapé une guelraya, on a attrapé une guelraya… » Aujourd’hui encore je ne sais toujours pas ce qu’est une guelraya mais je me doute que cela doit être un GROS poisson (peut-être un dauphin ?).
Bref ce bon souvenir m’est resté et c’est toujours à lui que je pense lorsque maintenant je retourne à la pêche.

Mais à part ces vraiment bons souvenirs d’enfance, je ne pense pas avoir été très heureux en Tunisie. C’est peut-être une opinion d’enfant gâté qui ne connaissait pas son bonheur, mais c’est néanmoins l’impression que j’en aie.
Peut-être est-ce dû au fait que j’étais le 2ème d’une fratrie de 3. J’apprendrais plus tard que mon grand cousin Marcel Bismuth dirait : « Nul ne connaît le malheur des puînés » !
Peut-être aussi parce que j’étais le plus jeune de mes autres cousins et cousines et que je lisais des vers tandis qu’ils dansaient.
C’est ainsi que je me suis réfugié dans le travail, étudiant sans arrêt, ce qui m’a quand même bien servi puisque j’ai eu mon bac (la première partie) à 15 ans à peine.
Mais c’est ce qui m’a toujours poussé à aller voir ailleurs si l’herbe n’y était pas plus verte et m’a toujours donné envie de voyager. Ainsi, je me souviens que je passais le bac en 1952, année où les jeux Olypiques se déroulaient à Helsinki. Mes parents m’avaient promis que si je réussissais ils me permettraient d’y aller. Mais quand j’ai passé le bac, ils m’ont simplement emmené au cinéma, au Colisée. Imaginez ma déception. (Je me rattraperais plus tard en allant en Scandinavie et notamment à Helsinki, en voyage de noces !)
*Toujours l’été qui a suivi mon succès au bac j’ai été tenté d’aller en Angleterre ramasser des pommes de terre avec mon ami Claude Lévy. Pour ce faire, j’ai voulu gagner de l’argent en allant travailler à la poste pour ce qu’on appellerait plus tard un « job d’été ». Mais là aussi j’étais trop jeune pour travailler à la poste et même pour aller en Angleterre ramasser les pommes de terre : j’étais également trop jeune, il fallait avoir au moins 17 ans ! Aussi on imagine facilement ma peine et ma déception quand j’ai vu passer au large le bateau qui emmenait Claude ramasser les pommes de terre.

Ayant une excellente mémoire (cinq poissons), j’ai beaucoup de souvenirs. Certains sont de très bons souvenirs, mais presque aucun ne me donne de nostalgie. Car enfin, avoir la nostalgie, signifie que très probablement on ne pourra plus revivre ces instants privilégiés. Mais là encore, à part le perte de la villa elle-même de La Goulette, je pense avoir emmené avec moi tout de qui faisait le charme de la vie en Tunisie :
Au risque de me répéter, il y avait en premier lieu la bonne entente qui régnait entre nous et qui fait que nous sommes toujours très heureux de nous retrouver et d’évoquer ensemble les bons souvenirs de Tunisie. Mais cela ne constitue pas une nostalgie, puisque manifestement, nous retrouvons la même bonne ambiance lorsque nous nous retrouvons, même si, malheureusement, en dehors des réunions familiales comme les mariages, les circoncisions (mais depuis que nous sommes en France, nous disons maintenant plutôt « Brit-mila » ou les communions (nous disons également maintenant plutôt « bar mitzvah », mais nous le disions également en Tunisie). Nous nous retrouvons malheureusement très souvent au cimetière, perdant peu à peu tous ceux de la génération qui nous a précédé, nos parents notamment, mais aussi, cela commence, des relations ou connaissances de notre âge ou même, ce qu’il y a de pire, plus jeunes que nous.

Nous avons aussi emporté avec nous (et donc ne le regrettons pas), tout ce qui caractérisait et continue donc à caractériser les tunisiens. (Je dis « tunisiens » car à l’époque la population se divisait en 3 parties : il y avait les arabes, dénomination qui se suffisait à elle-même, les tunisiens, c’est-à-dire les juifs, quelle que soit leur nationalité, tunisienne proprement dite, française, italienne ou britannique et enfin les français, c’est-à-dire les sujets originaire de France, fonctionnaires, enseignants, colons en particulier).
Donc ce qui caractérisait les juifs tunisiens, les « tunes, comme on les appelle maintenant qu’ils sont en France, c’est l’optimisme, la joie de vivre, l’exubérance, la relation facile, le caractère un peu hâbleur, le couscous le vendredi soir. Et nous avons ici, conservé cette façon de vivre, ce qui nous différencie quelque peu de nos amis achkénazes qui sont plutôt toujours en train de couper les cheveux en quatre et de se demander : « est-ce-que c’est bon pour nous ? ».
Et dans notre façon de vivre, nous essayons de garder le même comportement, même si le couscous du vendredi soir est moins régulier qu’avant, et encore moins le « rihane », la myrthe qu’un marchand venait nous vendre le jeudi ou le vendredi matin, je ne sais plus, pour sentir une odeur lors de la prière du vendredi soir, le « yom achichi », le 6ème jour.
C’est ainsi que très souvent, nous nous rendons visite les uns les autres à l’improviste, en trouvant cela tout naturel, sans auparavant prévenir plus ou moins longtemps à l’avance, comme le voudraient les bonnes façons de faire « françaises ».

Chez les « tunes », il y a une expression dont je suis à l’origine, dans le langage tunisien, c’est le mot « nigate » qui veut dire un peu débile. J’étais dans le train allant à la Goulette, le TGM, train reliant Tunis à ses 2 principales plages de la banlieue nord, La Goulette et La Marsa, avec mon cousin Jean-Claude. Je parlais du sujet du bac que j’avais traité à l’épreuve de physique : les électrons ou encore négatons comme on disait alors indifféremment à l’époque dans les années 50. Il y avait à côté de nous un adulte d’une trentaine d’années, très laid et mal habillé, à l’air assez bête et qui pourtant opinait du chef en nous écoutant, répétant : « négatons, négatons », comme si véritablement il savait ce que c’était. Aussi depuis, pour se moquer gentiment de quelqu’un, mon cousin et moi, disions d’un air entendu : « négatons, négatons », puis de là : « quel nigate celui-là alors » ! Mon cousin Jean-Claude étant beaucoup plus exubérant et relationnel que moi, c’est plutôt lui qui a ensuite lancé cet adjectif dans le langage tune courant à partir de 1952 ou 1953.

Il y a bien sûr beaucoup beaucoup de souvenirs qui remontent à la mémoire lorsque j’évoque mon enfance tunisienne : les sorties à la briquetterie, dans la maison de Bartolo, le mécanicien-chef, que nous appelions ‘Le Jardin » et d’où nous parcourions la régions, le meneur de la bande des cousins et cousines étant tonton Charles. Nous avions ainsi un jour escaladé un château d’eau, en gravissant les marches en fer scellées dans la paroi. Je me souviens de mon cousin Gérard, assez craintif, disant tout au long de l’ascension : « ya Rebbi Mir, ya Rebbi Mir », mais finissant tout de même par nous rejoindre sur le toit du château d’eau. Cet épisode devait de passer en 1943 ou 44 car je me souviens que nous avions été survolé assez bas par un chasseur anglais, dont je revois encore très bien la cocarde, et que nous avions salué par des hurlements de joie. Il me semble qu’il nous avait entendu (ou en tout cas vu) car je crois me souvenir qu’il avait battu des ailes en signe de reconnaissance.

Je me souviens aussi des réunions familiales à Pâques, chez ma grand’mère Ma, qui recevait absolument toute la famille, chez elle, au 15 rue Saint-Charles, au 2ème étage, dans l’immense chambre de la tante Maya. Elle avait fait poser de longues planches sur des tréteaux, et les enfants montaient sur la table, portant la panier à faire passer 3 fois au-dessus de toutes les têtes pendant que tout le monde chantait : « itmo-oul aïnourabaa dïïm, ayoum kâan léchana abaa dearrha beisrail bénéhourim…. ».
Bien entendu ces grandes réunions familiales sont révolues, mais nous essayons de les faire revivre en invitant des membres proches de la famille pour chacun des 2 séders. Les enfants ne montent plus sur la tables mais en font simplement le tour !

Tous ces souvenirs constituent finalement de très bons souvenirs. Nous essayons d’en faire revivre certains, mais cela n’est pas toujours possible car la vie en France a finalement été responsable de l’éclatement de la famille aux 4 coins de Paris et nous ne nous voyons plus aussi fréquemment ni aussi régulièrement, d’autant, comme je l’ai dit que la vie (ou plutôt la mort), nous sépare de plus en plus, même si une autre génération prend maintenant le relai.

Avant de terminer ce chapitre sur les bons souvenirs de Tunisie, je ne peux pas ne pas évoquer les souvenirs « gastronomiques ou tout au moins alimentaires qui ont façonné mes goûts et que je cherche à retrouver chaque fois que possible :

Je rappellerai bien sûr le couscous tunisien (ou juif), très différent du couscous arabe, confirmant, si besoin était que tunisien était dans notre esprit synonyme de juif. Le couscous tunisien se mange avec des boulettes aux artichauts ou à la pomme de terre, farcies de viande hachée et bien sûr frites dans l’huile d’olive. (Nous n’avions même pas la notion à l’époque qu’il pût exister d’autres huiles que l’huile d’olive). Nous le mangions traditionnellement le vendredi soir, à Tunis chez ma grand’mère Ma où la famille de ses 2 filles, tata Yvonne et maman se retrouvait. J’aimais tellement le couscous qu’il m’arrivait d’en emporter à la maison pour en manger également le lendemain, en lieu et place de la traditionnelle pkaïla du samedi. A La Goulette c’était encore plus convivial puisque nous y habitions tous et qu’il n’était donc même pas besoin de se rendre chez ma grand’mère pour le manger. En évoquant ces plats, je ne peux que penser à la cuisinière de Ma, Chéchia, qui devait plus tard émigrer en Israël avec son mari Hamouch, l’égoutier.

Il y avait aussi à Goulette vieille le marchand de granite, qui faisait tourner le bac rempli de jus de citron à l’intérieur d’un baquet dont il était séparé par de la glace. Et je me souviens des discussions de physique pour savoir pourquoi il mettait du sel sur la glace, peut-être pour en empêcher un fusion rapide, nous ne l’avons jamais très bien su. Toujours est-il que nous mangions rapidement la granite jusqu’à avoir un point douloureux entre les 2 yeux et c’est cette sensation que je cherche à retrouver lorsque ailleurs je mange une granite.

Il ne me faut pas oublier les frites de chez Ali, à Khérrédine, présentées dans un cornet en papier, finement salées. Nous dirions maintenant des chips, mais Ali était un but de promenade, généralement en fin d’après-midi, quand la chaleur commençait à se dissiper.

Il y avait enfin et surtout les mûres, mûres de l’arbre à vers à soie. 5Je n’appris que bien plus tard, dans ma quête à rechercher ces mûres, qu’il pouvait également exister d’autres mûres, mais alors mûres de ronces, beaucoup plus fréquentes ici en France. Ces mûres, noires ou blanches, finement sucrées, à la tige croquante d’un coup de dent pour la détacher du fruit. Ces mûres de vendaient dans de grands paniers d’osier, des « kartella toût » et j’en ai gardé un souvenir ému, cherchant partout à en retrouver. C’est ainsi que j’en au retrouvé en Iran, en Sicile, mais aussi en Ouzbékistan où j’en ai mangé avec plaisir de pleines ventrées, malgré la crainte de la « turista ».
En fait, j’ai tout bêtement retrouvé des mûres noires de mûrier à Arcachon, en allant manger des huîtres à la Pointe de l’Aiguillon où de nombreux mûriers bordent le bassin d’Arcachon, la patronne du lieu nous disant à notre grande joie : « ça tombe, c’est noir et ça salit tout ! ». Au moins nous sommes sûrs que pendant toute la saison il nous suffit de regarder en l’air et d’en cueillir pour en manger.

C’est-à-dire que cette enfance tunisienne a marqué nos goûts et nos habitudes et que nous cherchons à les retrouver et à les revivre et que malgré tout et heureusement, nous y arrivons généralement.

Mais de toutes façons, même si nous aimons nous retrouver en famille ou au sein d’associations d’anciens tunisiens, comme l’association des anciens du Lycée Carnot de Tunis ou à la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie, je pense qu’il ne faut pas vivre dans le passé et que malgré notre âge l’avenir nous appartient encore. L’épisode de la femme de Loth ou encore d’Orphée et d’Eurydice sont là pour nous rappeler qu’il n’est pas toujours bon de se retourner sur son passé.

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