Bienvenue

Ouvrez vous à l’espérance vous qui entrez dans ce blog !

Et ne vous croyez pas obligés d’être aussi puissants et percutants que Dante. Si vous avez eu plaisir à lire les lignes qui suivent et s’il vous est arrivé de passer d’agréables moments à vous remémorer des souvenirs personnels heureux de votre vie en Tunisie ; si vous éprouvez l’envie de les partager avec des amis plus ou moins proches, adressez les -- sous une forme écrite mais la voix sera peut-être bientôt aussi exploitable -- à l’adresse : jean.belaisch@wanadoo.fr et vous aurez au moins le contentement d’être lus à travers le monde grâce à l’internet et à ses tentacules.

Vous aurez peut-être aussi davantage c'est à dire que d’autres personnes, le plus souvent des amis qui ont vécu les mêmes moments viendront rapporter d’autres aspects de ces moments heureux et parfois corriger des défaillances de votre mémoire qui vous avaient fait prendre pour vérité ce qui était invention de votre cerveau émotionnel.

Ne soyez pas modestes, tout rappel peut être enrichissant, n’hésitez pas à utiliser votre propre vocabulaire, à manier l’humour ou le sérieux, les signes de richesse (y compris intellectuelle) ou les preuves de la pauvreté (y compris d’un moral oscillant). Vous avez toute liberté d’écrire à la condition que vous fassiez preuve de responsabilité puisque d’une façon ou d’une autre nous représentons tous un groupe de personnes qui a aimé la Tunisie et qui a pour d’innombrables raisons, choisi de vivre sur une autre terre.

Bienvenue donc et écrivez dès que vous en sentirez l’envie.


Un des responsables de ce qui pourrait aussi devenir un livre, si vous en éprouvez le désir !

REMARQUE : Les articles sont rangés par années et par mois .

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vendredi 23 janvier 2009

Le Conteur

Je me souviens, en hiver lorsque le temps ne permettait pas de jouer dehors, que la pluie bienfaitrice s’abattait sur la ville, nous rendant moins turbulents et plus sages, je me rendais alors dans la médina chez le vieux Mokhtar.
On accédait à son grenier par une échelle de meunier, là, une natte, un matelas, une couverture arabe et une petite lampe à pétrole en cuivre, faisait tout son univers. La flamme de la lampe l’éclairait par en dessous façonnant les rides de son visage en une multitude de vagues dévastatrices.
J’avais pour lui une affection filiale.
Mokhtar avait connu mon arrière grand-mère au temps ou la ville de Sfax avait encore le « R’bat » zone franque à l’extérieur des remparts où vivaient les chrétiens et les juifs.
Il savait comme personne faire revivre cette époque.
Aussi, arrivé chez lui, je m’asseyais sur sa natte face à lui, et j’attendais. Mon attente n’était jamais très longue, il levait ses yeux vitreux et vides vers le plafond, et murmurait :
__ Avec l’aide de Dieu le miséricordieux, le compatissant, et le salut de son prophète, je veux avant de les rejoindre, te raconter l’histoire du temps où ton aïeule la vénère Anunziata Dieu la garde dans son jardin des délices et la récompense de toutes les bontés qu’elle a dispensées.
Alors je fermais les yeux, et je voyageais au gré de son verbe, la voix chevrotait un peu, mais elle était douce, chaude et calme.
__ Il y a bien longtemps de cela, Je m’en souviens avec le cœur. Elle était d’une beauté que rien ne peut décrire, et son âme était chaste.
Moi je n’étais qu’un enfant.
La mer en ce temps-là léchait les pieds des majestueux et infranchissables remparts de la casbah. L’on vivait en paix, les portes de la ville ne se fermaient qu’après la prière du soir, lorsque le soleil se couchait derrière les murailles.
J’étais alors crieur public. Au début, elle venait me voir pour faire des annonces dans les rues de la médina, dire qu’elle était couturière et qu’elle se louait à la journée. Et moi je sillonnais les rues de la ville allant de maison en maison vanter la dextérité et le savoir-faire de la nouvelle couturière.
Anunziata s’était pris d’affection pour l’enfant que j’étais. Elle m’apprit le français, ensuite l’Italien. Elle me donna la tendresse d’une mère et l’éducation.
Connaissant la pauvreté dans laquelle je me trouvais, elle partageait les bienfaits que lui donnaient ses riches clientes, quelques œufs, une poule, du couscous, ou encore des gâteaux au miel.
Son cœur était pur comme un lys opalescent saupoudrés de safran.
Les jours succédaient aux jours et les nuits aux nuits. Sfax vivait dans l’insouciance et dans la sérénité, tous nous étions unis et Dieu était bienveillant.

Et puis, un jour les Roumis sont arrivés, c’était des hommes à la barbe négligée et aux habits rouges, nous étions à la période sacrée du ramadan, leurs canons ont retenti, et une grêle d’acier et de plomb s’est abattue sur la ville réduisant les maisons, les coupoles et les minarets en poussière. Ils ont pénétré dans la cité, ils ont embrasé les maisons, quelques téméraires et moi conduits par Ali ben Kalifa nous sommes opposés, nous avons résisté de toute notre énergie, mais ils étaient féroces et grossiers portés à la luxure. Ils se sont nourris de la chair des lions. L’imam les a maudits et ils l’ont tué à l’intérieur de la mosquée.
Ils étaient trop nombreux, nous avons connu la déraison et la mort sans implorer de pardon, je savais que chaque acte accompli pouvait être le dernier, alors j’ai réussi à m’extraire de ce cauchemar, je me suis enfui au loin laissant la lune et le soleil jouer avec ma destinée. Puis le temps a passé, la soif me brûlait, mais l’eau des citernes était corrompue, je suis retourné vers la ville, et j’ai vu la folie des hommes.
Cette cité leur a semblé bonne, et ils se sont installés.
Ils ont détruit le R’bat, ils ont bâti une ville avec des rues larges, des maisons hautes, ils ont fait reculer la mer et édifié un port et ensuite ils ont fait un chemin de fer pour aller plus au sud. Ils se sont agités comme les fourmis quand elles bâtissent leurs galeries sans savoir qu’un coup de pied peut tout détruire en un instant, si c’est la volonté du très haut.
Les actes du fou dépassent les prévisions du sage.
Et les jours n’ont plus été ce qu’ils étaient, et rien n’a plus été comme avant.

Anunziata est partie pour la ville nouvelle, qui grandissait comme une pieuvre et s’étendait partout, là où les jardins fleurissaient auparavant.
Des lois que je ne comprenais pas me disaient ce que je ne pouvais pas faire, sans tenir compte de la parole d’Allah et j’étais désemparé comme celui qui dans le désert a perdu les traces du puits, je me croyais perdu, et je touchais le fond du désespoir et je lançais des malédictions contre ce siècle impie. J’allais par les rues, je mendiais ma vie et chantais des poèmes en l’honneur de mes frères disparus, je disais :
« La mort n’a rien qui doive troubler
Celui à qui Dieu la destine la voit arriver,
fût-elle retenue par cent cordes ;
Je pleure, je sanglote, je répands des larmes.
Si seulement j’avais des compagnons nombreux
Je les attaquerais.
Ô vous, au nom de Dieu et pour l’amour des saints,
Où que vous soyez, marchez contre eux,
Ils n’auront pas l’aide de Dieu.
Ils cheminent dans la désobéissance du prophète,
Ils sont destinés à un grand feu dans l’enfer. »

Mais ils me prenaient pour un fou, j’étais seul, tous se détournaient de moi, pourtant j’affirmais que l’homme voyage toujours en avant de lui-même, mais rien n’y faisait.
Grâce soit rendu au très haut, Anunziata n’a pas délaissé son ami Mokhtar, elle est venue telle une fée me chercher dans le coin de rue où je m’étais réfugié pour oublier le monde. Elle m’a pris par la main, m’a conduit dans cet univers qui me faisait tellement peur ; et j’ai appris petit à petit à apprivoiser la modernité. Anunziata m’a enseigné que les choses avançaient et que nous ne pouvions revenir en arrière et qu’il fallait vivre. Je l’ai crue car son cœur était pur.
Alors je suis devenu pour Anunziata comme le pouce de sa main droite, l’aidant dans les travaux quotidiens. J’ai repris le goût de la vie, et j’ai vécu dans sa maison le temps qu’elle a vécu.
Maintenant je suis très vieux, tout s’éloigne et devient lointain, mais je laisse la mort prendre son temps.
Tiens moi la main Roger, durant ma vie j’ai dressé la carte des fausses routes qu’un homme peut emprunter dans sa recherche de la vérité ; ne méprise pas les fous. Ils expriment ce que les autres n’osent pas révéler.
Il me regarda avec ses yeux qui ne voyaient rien, puis il les ferma.
J’ai pensé qu’il voulait dormir alors j’ai baissé la lampe et je suis reparti en silence.
La pluie avait cessé, et le soir tombait rapidement.
Roger MACCHI

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