vendredi 23 janvier 2009
TUNIS : UNE CONFLUENCE DE CULTURES
Gabriel LAURY
Vivre à Tunis dans les années Trente et Quarante fut un grand bonheur. Dans cette ville cosmopolite se côtoyaient diverses cultures et ethnicités. Ainsi on y profitait pleinement d’une pluralité culinaire d’emblée évidente. Par exemple on pouvait faire emplette d’une grande diversité de pains. Toutes les variétés comme en France, telles les baguettes, flûtes, pains de mie…. Egalement des pains italiens et arabes de formes et de goûts différents, mais toujours succulents. Quant au pain azyme, il n’apparaissait qu’une semaine par an et le seul bien qu’on pouvait en dire était qu’il pouvait se conserver longtemps...Dans la rue, les vendeurs ambulants retiraient de leurs couffins des khobs tabouna, un pain plat en forme de crêpe, juste sorti du four.
De tels marchands de nourriture étaient foison. Sans même avoir besoin de s’asseoir, on pouvait savourer dans la rue un repas complet et bon marché. Dans le répertoire Italien on dégustait des caldis, sorte de beignets au fromage, des pizzarellas ou encore des bambolinis trempés dans du sucre en poudre. On vous proposait également des gaufrettes et des petites pommes caramélisées à la française.
Les spécialités tunisiennes étaient reine. Les briks dorés et croustillants à l’œuf ou -moins chères- à la pomme de terre, les ftaïrs, beignets chauds. Les frites, en fait des chips, étaient servies dans des cornets faits avec des feuillets de vieux cahiers d’écoliers. De tels cornets étaient également utilisés pour vendre cacahouettes, glibettes (graines de potiron) et pistaches. Et le succulent sandwich, savant mélange de variantes, thon, huile et harissa, était préparé sous l’œil vigilant du consommateur.
Dans les échoppes et gargotes on servait des grillades y compris les omniprésentes merghez. Parfois des Algériens de mauvaise foi osaient prétendre que les merghez étaient besif (sûrement) d’origine Constantinoise et non Tunisoise. La bonne odeur du charbon de bois mêlée à l’arôme de la viande grillée, aurait donné un appétit féroce à un anorexique confirmé.
Et ces desserts! Les granites parfumées et les gâteaux nageant dans le miel. Certaines de ces friandises avaient gardé un nom arabe tels les zlabias, makroudes ou boulous. D’autres tout aussi savoureux et exotiques étaient vendus sous un des nom français comme le cigare, le tricolore ou la corne de gazelle. Et ces frigolos tellement bienvenues par journée de siroco! Il s’agissait de glaces enrobées d’une fine pellicule de chocolat que le marchand extrayait d’une petite glacière portée en bandoulière. Les jeunes experts en culotte courtes discutaient des mérites respectifs des frigolos de la pâtisserie La Javanaise propriété de la famille Modigliani (qui se disait apparentée au peintre italien du même nom), de ceux venant de la Pâtisserie Royale ou encore de chez Bébert. Chaque vendeur avait sa spécialité et son propre appel : à l’un les caldis, à un autre les sandwichs tunisiens, à un autre encore les «frigolos bien glacés de la Pâtisserie Royale ».
Au Théâtre Municipal, où on allait pour voir une pièce de théâtre jouée par la troupe locale « L’Essor » ou les programmes métropolitains des Galas Karsenty, les sorties de secours étaient indiquées en français, arabe et italien. Les noms des rues, par contre, étaient seulement bilingues.
La Dépêche Tunisienne, le Petit Matin, La Presse, Tunis Soir et Tunis Socialiste s’adressaient aux lecteurs de langue française. Les journaux en Arabe (Nahda et autres) se vendaient à côté de L’Unione en italien. A l’occasion, on trouvait la Voix Juive et autres journaux locaux de moindre importance et souvent éphémères. Au kiosque de la gare TGM étaient accrochés avec des pinces à linge les principaux journaux de France et d’Italie acheminés par avion.
Sous l’Occupation, du fait de la censure et de la pénurie de papier, la presse habituelle disparut, Elle fit place au seul Tunis-Journal, lui-même éventuellement réduit à une page. On y annonçait encore les victoires des forces de l’Axe alors que les Alliés pénétraient déjà dans Tunis.
Dans les cérémonies officielles retentissait une martiale et vibrante Marseillaise. Elle était aussitôt suivie de l’Hymne beylical qui ressemblait plutôt à une danse lente et presque sensuelle, sur un mode musical mineur. Au temps de Vichy, on ajouta l’air de « Maréchal nous voila ! », remplacé dès la Libération par les hymnes nationaux Anglais et Américain. Bientôt un hymne soviétique fut ajouté. Les musiciens se plaignaient d’avoir à déchiffrer des musiques jusque-là inconnues. Les invités à ces festivités se plaignaient amèrement d’avoir à écouter -en silence et au garde à vous- ces interminables cacophonies alors qu’ils étaient venus pour festoyer.
On trouvait une même diversité dans le système des soins. L’hôpital Sadiki, soignait surtout des Tunisiens. Du côté Français, il y avait des hôpitaux civil et militaire. Existaient aussi l’Ospedale Italiano, un hôpital juif qui ne fit pas long feu, un dispensaire rue de l’Eglise tenu par les Adventistes du septième jour, une secte protestante…Au delà du grand Parc du Belvédère était situé la clinique catholique Saint Augustin. Pour mémoire, le saint en question était natif d’Afrique du Nord. Durant l’Occupation c’est là que les Allemands auraient hébergé leur état-major, pensant à juste titre être protégés des bombardiers Alliés par une énorme croix rouge peinte sur la terrasse.
Il en allait de même pour l’enseignement. Le collège Sadiki pour les musulmans, les écoles de l’Alliance pour les juifs. Le grand réseau des écoles italiennes y compris celle qui deviendra plus tard l’Institut des Hautes Etudes, près de la rue de Rome. Nombreuses étaient les écoles coraniques et l’enseignement de la Grande Mosquée dite mosquée de l’olivier, était célèbre dans le monde musulman. Certains parents préféraient envoyer leurs rejetons dans les écoles catholiques, telle celle tenue par les Sœurs de Sion, située en face de la Résidence ou encore celle des Frères Maristes.
Les nombreuses écoles publiques françaises étaient strictement laïques et ouvertes à tous. Le corps enseignant était trié sur le volet. Les programmes étaient identiques à ceux de la Métropole. Les Lycées -Carnot pour les jeunes gens et Armand-Fallières pour les jeunes filles- étaient des pépinières pour futurs avocats, médecins, enseignants et autres professionnels; plusieurs anciens élèves devinrent célèbres tant en Tunisie qu’en France. En classes terminales, on préparait les Grandes Ecoles et les résultats aux concours d’entrée étaient excellents.
Les vieux Italiens se souvenaient avec nostalgie de l’Opéra Italien, devenu le grand magasin de meubles Boyoud. Le centre Dante Alighieri était situé rue Thiers. Dans les années Trente le salut fasciste était de rigueur pour les artistes avant d’y donner un récital. A la Libération, ce haut lieu devint le siège de l’Alliance Française qui continua les programmes culturels mais cette fois en français.
Les différents quartiers de la ville réfléchissaient la diversité de la population. Ville Française, Italienne dite Piccola Sicilia, Médina, Hara où s’entassaient les juifs les plus démunis. On choisissait librement son domicile. Des musulmans miséreux s’installaient dans la Hara. D’autres plus aisés avait choisi de vivre en ville Européenne. La société Nestlé avait son siège dans la Petite Sicile. Des Français, souvent des intellectuels, préféraient habiter dans le quartier arabe dont ils appréciaient le charme.
La grande Bibliothèque Publique se trouvait au Souk El Attarine, le souk des épiciers. On ne pouvait s’y rendre qu’à pied et en traversant la Médina. La pharmacie de la Place Pasteur, un des coins le plus recherchés par la colonie française, était tenu par Mr Menchari issu de la haute bourgeoisie musulmane et d’origine turque. Tout proche était l’Institut Pasteur, là-même où le bactériologiste Charles Nicolle avait fait des recherches qui lui avaient valu le prix Nobel en 1928.
Et puisqu’on en est au chapitre des pharmacies…Celle tenue par Mme Gallico née Sinigaglia, fervente patriote italienne, communiste et juive, se trouvait certes rue d’Italie, mais cette artère était au cœur du quartier des affaires (à la Libération, elle devint rue Charles de Gaulle). On y vendait les derniers remèdes miracles venus de Rome. A l’entrée de la Médina se trouvait l’officine du Mr Menghini, originaire de Suisse. Les murs de la salle d’attente étaient tapissés de publicités de compagnies pharmaceutiques de son pays natal, ainsi que des conseils de la Croix Rouge sur les mesures d’urgence à prendre contre les morsures de serpents vivant en Suisse !
Au boulevard Bab Djedid en plein quartier indigène, Mlle Kertesz tenait sa pharmacie. D’origine hongroise, elle avait vécu en Italie jusqu’à l’instauration des lois antisémites. Avenue de Carthage, à la pharmacie Luciani, des affiches vantaient les résultats du vermifuge Lune et de la lotion Marie-Rose dont l’emploi garantissait « la mort parfumée des poux ». Quant aux pastilles Valda et Wuybert, elles étaient « en vente dans toutes les bonnes pharmacies de France, d’Algérie de Tunisie et du Maroc. » comme l’indiquait les prospectus
C’était une ville merveilleuse: on n’avait qu’à traverser la Porte de France et on se trouvait dans un autre monde, une autre ambiance, une autre culture. Nul besoin de faire un long voyage, d’affronter des douaniers sourcilleux et des policiers soupçonneux, d’obtenir un passeport et un visa. A Tunis, il suffisait de faire quelques pas et magiquement on était transporté ailleurs, et dans cet ailleurs on ne se sentait ni intrus ni étranger.
D’un côté, les souks sombres, voûtées et trop étroits pour laisser passer les automobiles. Des moucharabiehs placés sur les balcons et les fenêtres permettaient de regarder dans la rue sans être vu. Des hommes portaient turbans, chéchias, gandouras, djellabas et autres vêtements. Des femmes voilées trottinaient un couffin à la main. Les affiches en langue Arabe annonçaient l’arrivée prochaine d’une célébrité de la chanson Orientale ou les derniers films Egyptiens. A la terrasse des cafés maures, des hommes fumaient paisiblement leurs narguilés en écoutant des mélopées orientales qui semblaient interminables au non averti.
De l’autre côté de la Porte de France on arrivait de suite au « Magasin Général » qui n’avait rien à envier à un grand magasin d’Europe. En face, se trouvaient les librairies Saliba et Tournier toujours bien achalandées; on y exposait en vitrine les derniers succès littéraires, écrits par Dekobra, Duhamel ou Morand. La librairie Italienne était située un peu plus loin, près du siège de la Dépêche Tunisienne. Les hommes portaient cravate et chapeaux et les femmes étaient habillées à la mode de Paris. Au Café du Commerce on servait l’apéritif. De grandes affiches annonçaient la prochaine opérette, jouée au Théâtre Municipal par une troupe venue de Paris…
Vivre à Tunis dans les années Trente et Quarante fut un grand bonheur. Dans cette ville cosmopolite se côtoyaient diverses cultures et ethnicités. Ainsi on y profitait pleinement d’une pluralité culinaire d’emblée évidente. Par exemple on pouvait faire emplette d’une grande diversité de pains. Toutes les variétés comme en France, telles les baguettes, flûtes, pains de mie…. Egalement des pains italiens et arabes de formes et de goûts différents, mais toujours succulents. Quant au pain azyme, il n’apparaissait qu’une semaine par an et le seul bien qu’on pouvait en dire était qu’il pouvait se conserver longtemps...Dans la rue, les vendeurs ambulants retiraient de leurs couffins des khobs tabouna, un pain plat en forme de crêpe, juste sorti du four.
De tels marchands de nourriture étaient foison. Sans même avoir besoin de s’asseoir, on pouvait savourer dans la rue un repas complet et bon marché. Dans le répertoire Italien on dégustait des caldis, sorte de beignets au fromage, des pizzarellas ou encore des bambolinis trempés dans du sucre en poudre. On vous proposait également des gaufrettes et des petites pommes caramélisées à la française.
Les spécialités tunisiennes étaient reine. Les briks dorés et croustillants à l’œuf ou -moins chères- à la pomme de terre, les ftaïrs, beignets chauds. Les frites, en fait des chips, étaient servies dans des cornets faits avec des feuillets de vieux cahiers d’écoliers. De tels cornets étaient également utilisés pour vendre cacahouettes, glibettes (graines de potiron) et pistaches. Et le succulent sandwich, savant mélange de variantes, thon, huile et harissa, était préparé sous l’œil vigilant du consommateur.
Dans les échoppes et gargotes on servait des grillades y compris les omniprésentes merghez. Parfois des Algériens de mauvaise foi osaient prétendre que les merghez étaient besif (sûrement) d’origine Constantinoise et non Tunisoise. La bonne odeur du charbon de bois mêlée à l’arôme de la viande grillée, aurait donné un appétit féroce à un anorexique confirmé.
Et ces desserts! Les granites parfumées et les gâteaux nageant dans le miel. Certaines de ces friandises avaient gardé un nom arabe tels les zlabias, makroudes ou boulous. D’autres tout aussi savoureux et exotiques étaient vendus sous un des nom français comme le cigare, le tricolore ou la corne de gazelle. Et ces frigolos tellement bienvenues par journée de siroco! Il s’agissait de glaces enrobées d’une fine pellicule de chocolat que le marchand extrayait d’une petite glacière portée en bandoulière. Les jeunes experts en culotte courtes discutaient des mérites respectifs des frigolos de la pâtisserie La Javanaise propriété de la famille Modigliani (qui se disait apparentée au peintre italien du même nom), de ceux venant de la Pâtisserie Royale ou encore de chez Bébert. Chaque vendeur avait sa spécialité et son propre appel : à l’un les caldis, à un autre les sandwichs tunisiens, à un autre encore les «frigolos bien glacés de la Pâtisserie Royale ».
Au Théâtre Municipal, où on allait pour voir une pièce de théâtre jouée par la troupe locale « L’Essor » ou les programmes métropolitains des Galas Karsenty, les sorties de secours étaient indiquées en français, arabe et italien. Les noms des rues, par contre, étaient seulement bilingues.
La Dépêche Tunisienne, le Petit Matin, La Presse, Tunis Soir et Tunis Socialiste s’adressaient aux lecteurs de langue française. Les journaux en Arabe (Nahda et autres) se vendaient à côté de L’Unione en italien. A l’occasion, on trouvait la Voix Juive et autres journaux locaux de moindre importance et souvent éphémères. Au kiosque de la gare TGM étaient accrochés avec des pinces à linge les principaux journaux de France et d’Italie acheminés par avion.
Sous l’Occupation, du fait de la censure et de la pénurie de papier, la presse habituelle disparut, Elle fit place au seul Tunis-Journal, lui-même éventuellement réduit à une page. On y annonçait encore les victoires des forces de l’Axe alors que les Alliés pénétraient déjà dans Tunis.
Dans les cérémonies officielles retentissait une martiale et vibrante Marseillaise. Elle était aussitôt suivie de l’Hymne beylical qui ressemblait plutôt à une danse lente et presque sensuelle, sur un mode musical mineur. Au temps de Vichy, on ajouta l’air de « Maréchal nous voila ! », remplacé dès la Libération par les hymnes nationaux Anglais et Américain. Bientôt un hymne soviétique fut ajouté. Les musiciens se plaignaient d’avoir à déchiffrer des musiques jusque-là inconnues. Les invités à ces festivités se plaignaient amèrement d’avoir à écouter -en silence et au garde à vous- ces interminables cacophonies alors qu’ils étaient venus pour festoyer.
On trouvait une même diversité dans le système des soins. L’hôpital Sadiki, soignait surtout des Tunisiens. Du côté Français, il y avait des hôpitaux civil et militaire. Existaient aussi l’Ospedale Italiano, un hôpital juif qui ne fit pas long feu, un dispensaire rue de l’Eglise tenu par les Adventistes du septième jour, une secte protestante…Au delà du grand Parc du Belvédère était situé la clinique catholique Saint Augustin. Pour mémoire, le saint en question était natif d’Afrique du Nord. Durant l’Occupation c’est là que les Allemands auraient hébergé leur état-major, pensant à juste titre être protégés des bombardiers Alliés par une énorme croix rouge peinte sur la terrasse.
Il en allait de même pour l’enseignement. Le collège Sadiki pour les musulmans, les écoles de l’Alliance pour les juifs. Le grand réseau des écoles italiennes y compris celle qui deviendra plus tard l’Institut des Hautes Etudes, près de la rue de Rome. Nombreuses étaient les écoles coraniques et l’enseignement de la Grande Mosquée dite mosquée de l’olivier, était célèbre dans le monde musulman. Certains parents préféraient envoyer leurs rejetons dans les écoles catholiques, telle celle tenue par les Sœurs de Sion, située en face de la Résidence ou encore celle des Frères Maristes.
Les nombreuses écoles publiques françaises étaient strictement laïques et ouvertes à tous. Le corps enseignant était trié sur le volet. Les programmes étaient identiques à ceux de la Métropole. Les Lycées -Carnot pour les jeunes gens et Armand-Fallières pour les jeunes filles- étaient des pépinières pour futurs avocats, médecins, enseignants et autres professionnels; plusieurs anciens élèves devinrent célèbres tant en Tunisie qu’en France. En classes terminales, on préparait les Grandes Ecoles et les résultats aux concours d’entrée étaient excellents.
Les vieux Italiens se souvenaient avec nostalgie de l’Opéra Italien, devenu le grand magasin de meubles Boyoud. Le centre Dante Alighieri était situé rue Thiers. Dans les années Trente le salut fasciste était de rigueur pour les artistes avant d’y donner un récital. A la Libération, ce haut lieu devint le siège de l’Alliance Française qui continua les programmes culturels mais cette fois en français.
Les différents quartiers de la ville réfléchissaient la diversité de la population. Ville Française, Italienne dite Piccola Sicilia, Médina, Hara où s’entassaient les juifs les plus démunis. On choisissait librement son domicile. Des musulmans miséreux s’installaient dans la Hara. D’autres plus aisés avait choisi de vivre en ville Européenne. La société Nestlé avait son siège dans la Petite Sicile. Des Français, souvent des intellectuels, préféraient habiter dans le quartier arabe dont ils appréciaient le charme.
La grande Bibliothèque Publique se trouvait au Souk El Attarine, le souk des épiciers. On ne pouvait s’y rendre qu’à pied et en traversant la Médina. La pharmacie de la Place Pasteur, un des coins le plus recherchés par la colonie française, était tenu par Mr Menchari issu de la haute bourgeoisie musulmane et d’origine turque. Tout proche était l’Institut Pasteur, là-même où le bactériologiste Charles Nicolle avait fait des recherches qui lui avaient valu le prix Nobel en 1928.
Et puisqu’on en est au chapitre des pharmacies…Celle tenue par Mme Gallico née Sinigaglia, fervente patriote italienne, communiste et juive, se trouvait certes rue d’Italie, mais cette artère était au cœur du quartier des affaires (à la Libération, elle devint rue Charles de Gaulle). On y vendait les derniers remèdes miracles venus de Rome. A l’entrée de la Médina se trouvait l’officine du Mr Menghini, originaire de Suisse. Les murs de la salle d’attente étaient tapissés de publicités de compagnies pharmaceutiques de son pays natal, ainsi que des conseils de la Croix Rouge sur les mesures d’urgence à prendre contre les morsures de serpents vivant en Suisse !
Au boulevard Bab Djedid en plein quartier indigène, Mlle Kertesz tenait sa pharmacie. D’origine hongroise, elle avait vécu en Italie jusqu’à l’instauration des lois antisémites. Avenue de Carthage, à la pharmacie Luciani, des affiches vantaient les résultats du vermifuge Lune et de la lotion Marie-Rose dont l’emploi garantissait « la mort parfumée des poux ». Quant aux pastilles Valda et Wuybert, elles étaient « en vente dans toutes les bonnes pharmacies de France, d’Algérie de Tunisie et du Maroc. » comme l’indiquait les prospectus
C’était une ville merveilleuse: on n’avait qu’à traverser la Porte de France et on se trouvait dans un autre monde, une autre ambiance, une autre culture. Nul besoin de faire un long voyage, d’affronter des douaniers sourcilleux et des policiers soupçonneux, d’obtenir un passeport et un visa. A Tunis, il suffisait de faire quelques pas et magiquement on était transporté ailleurs, et dans cet ailleurs on ne se sentait ni intrus ni étranger.
D’un côté, les souks sombres, voûtées et trop étroits pour laisser passer les automobiles. Des moucharabiehs placés sur les balcons et les fenêtres permettaient de regarder dans la rue sans être vu. Des hommes portaient turbans, chéchias, gandouras, djellabas et autres vêtements. Des femmes voilées trottinaient un couffin à la main. Les affiches en langue Arabe annonçaient l’arrivée prochaine d’une célébrité de la chanson Orientale ou les derniers films Egyptiens. A la terrasse des cafés maures, des hommes fumaient paisiblement leurs narguilés en écoutant des mélopées orientales qui semblaient interminables au non averti.
De l’autre côté de la Porte de France on arrivait de suite au « Magasin Général » qui n’avait rien à envier à un grand magasin d’Europe. En face, se trouvaient les librairies Saliba et Tournier toujours bien achalandées; on y exposait en vitrine les derniers succès littéraires, écrits par Dekobra, Duhamel ou Morand. La librairie Italienne était située un peu plus loin, près du siège de la Dépêche Tunisienne. Les hommes portaient cravate et chapeaux et les femmes étaient habillées à la mode de Paris. Au Café du Commerce on servait l’apéritif. De grandes affiches annonçaient la prochaine opérette, jouée au Théâtre Municipal par une troupe venue de Paris…
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