samedi 24 janvier 2009
LES ANNEES 1938
Henri Slama
Cette histoire commence vers les années 1938-1940. Période faste pour la jeunesse juive tunisienne, une jeunesse nombreuse, brillante, débordant de vitalité. Du lycée Carnot sortaient chaque année des jeunes qui s’apprêtaient à prendre leur envol vers les facultés de Paris ou Montpellier. Les fils de bourrelier, de petits boutiquiers partaient pour les sciences médicales, le droit ou la littérature. Pendant l’été, en se baignant, à Kheredine ou au Kram, les anciens racontaient aux jeunes leurs expériences et leur communiquaient les petites recettes et les astuces qui rendaient supportable leur future année studieuse.
Les études au Lycée Carnot étaient d’ailleurs d’un niveau excellent. Notre professeur de français latin Caffort deviendra plus tard à Paris le proviseur de lycée Jeanson de Sailly. Patri prof de philo, boitillant, toujours chaussé d’espadrilles et la pipe à la bouche recommandera Albert Memmi, son élève préféré à Jean Paul Sartre.
Jean Debiesse , un de nos profs de physique va devenir le fondateur du C.E.A , Président du Conservatoire des Arts et Métiers et c’est comme cela que ses élèves des classes de math l’ont suivi et sont devenus ingénieurs atomistes. Je pense aux Taieb, Bessis, Ganouna et les autres
Sorti des mêmes cours Bruno Boccara a manqué de peu de devenir bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris. Dans d’autres domaines, les jeunes juifs tunisiens brillaient du même éclat. Young Perez était revenu de New York avec le titre de champion du monde de boxe poids plume et Tunis l’avait accueilli comme un héros national dans l’enthousiasme général. L’équipe de nageurs du cercle des nageurs de Tunis était revenue de Lille champion de France de water-polo et de nage et sur le plan local les footballeurs de l’U.S.T. attiraient un public enthousiaste.
Mais j’anticipe un peu, car la défaite française de 194O va donner un coup d’éteignoir a cette période faste.
Après avoir chanté avec le scoutisme français « Maréchal nous voila « , les mouvements scouts sont dissous et le statut des juifs s’applique à la Tunisie Plus d’études supérieures plus de fonctionnaires, de journalistes…Le repli sur soi-même en se faisant tout petit..
J’avais, à défaut d’autre possibilité, voulu m’inscrire en khâgne mais le censeur me déclara. « je ne peux pas vous enregistrer comme étudiant. Je vous autorise à écouter les cours comme auditeur libre, mais vous ne pourrez pas remettre des devoirs ou participer auxs examens »
Pour essayer de faire face à une coupure aussi brutale, , nous avions formé avec plusieurs ex chefs E.I. de petits groupes d’étude et chacun à tour de rôle devait faire un exposé sur une question scientifique ou philosophique. Quelques amis eux avaient formé « le gdoud « plus orienté vers l’hébreu et le sionisme.
C’est ainsi que ce 8 novembre 1942, Nous étions une dizaine de chefs E.I. et d’amis en sortie au Bou-Kornine, en discutant de l’avenir tout en cueillant au passage les cyclamens d’usage, lorsque l’un de nous aperçut au large d’Hamam-lif plusieurs gros bateaux. Nous apprenions peu après que les américains avaient débarqué en Afrique du Nord et que les bateaux aperçus avaient rebroussé chemin vers des ports algériens.
De l’autre coté, les avions allemands atterrissaient à l’Aouina et leurs troupes fraîches défilaient d’un pas martial en chantant à pleine voix dans les rues de Tunis, célébrant pour les 1000 ans à venir la gloire du 3eme Reich.
En quelques jours l’atmosphère s’était soudain électrisée. Le Résident Général de France, l’Amiral Esteva, le moine soldat comme on l’appelait, télégraphiait au gouvernement de Vichy en indiquant « je suis attaqué à la fois par les Américains et par les Allemands. Que dois-je faire « La réponse de l’Amiral Darlan « défendez vous contre l’ennemi « et Esteva de répliquer « désignez l’ennemi ».Entre-temps une bonne partie de l’armée française stationnée en Tunisie selon les modalités du pacte d’armistice avait rejoint les armées alliées en emportant avec elle toutes les locomotives et les trains existants. Une résistance française s’organisait en silence contre les allemands ( la collaboration aussi) On m’a raconté ainsi que les gardiens de prison avaient en douce été remplacés par des résistants pour servir de centre de renseignements pour les alliés.
Des premières mesures s’appliquaient aux juifs. Il fallait remettre tous les vélos en leur possession. Puis ce fut le tour des radios .
Avec les premières troupes allemandes arrivaient les S.S. Ils réquisitionnaient les villas et appartements juifs et maltais des quartiers du Belvedere, convoquaient les dirigeants de la communauté juive, personnes âgées et respectables dont le rôle se limitait pratiquement à de la représentation honorifique et à l’assistance aux nombreux nécessiteux. ,. Rapidement des personnes dévouées et courageuses, en particulier Maître Paul Ghez, ancien officier de l’armée française et Maître Georges Krief, avaient pris leur place comme interlocuteurs des S.S
Immédiatement les S.S. mettaient en pratique leur politique, c'est-à-dire, s’emparer tout d’abord de otages, imposer des amendes, rassembler les hommes comme main d’œuvre pour les besoins de l’armée allemande.
Pour se procurer les millions exigés la communauté demanda l’assistance du Résident Général qui les renvoya sur la Conservation Foncière. Celle–ci était d’accord pour avancer la somme mais contre une hypothèque de biens immeubles. La garantie sur plusieurs immeubles de Tunis fut rapidement obtenue pour un montant bien supérieur à la somme demandée, mais pas au goût de la Conservation Foncière, qui n’était intéressée que par un seul bien , la ferme modèle de Maître Cattan, que l’on venait visiter de plusieurs pays , admirer ses cultures, son école , son église. Maître Cattan était hospitalisé. De son lit de malade, il signa les papiers exigés pour l’hypotheque.
Quant à la main-d’œuvre, la communauté appela les jeunes à se rendre pour les tunisois au bureau de recrutement , à l’école de l’Alliance Israélite, pour être incorporés comme travailleurs obligatoires et être envoyés dans des camps de travail au port de Bizerte, à Zaghouan et divers autres lieux.
Devant la difficulté de rassembler le nombre exigé de travailleurs, on créa une police juive qui raflait les jeunes dans la rue et j’ai vu ainsi certaines de mes connaissances des mouvements de jeunesse faire ce travail.
J’avais cru pendant quelques jours échapper à ce recrutement. J’étais porteur d’un ordre de réquisition émanant de la Direction de l’Agriculture, me réquisitionnant pour les besoins du ravitaillement de Tunis mais devant les risques de représailles des S.S. si le nombre exigé de travailleurs n’était pas présent, je me rendais au centre de recrutement,
Le même jour, pour augmenter la pression, les S.S. effectuaient une rafle des juifs à la grande synagogue de Tunis et embarquaient tous les fidèles, jeunes et vieux indistinctement, en les munissant d’une pelle et d’une pioche et en les faisant défiler avenue de Paris.
Pour ma part, je me retrouvais comme tous les autres, dans une salle de classe de l’Alliance Israélite. Je reçus une combinaison de travail, une pelle et une pioche. Après nous avoir enregistré, on nous fit connaître que notre lieu de travail serait l’aéroport d’El Aouina. Au moment où notre groupe allait partir ; quelqu’un vint demander que dix volontaires soient détachés pour une autre affectation. Après une ou deux minutes, mon ami André Cassuto et moi sortîmes du groupe. Un 3eme garçon, un voisin, se joignit à nous, , un 4eme qui s’appelait Slama, comme moi et tenait une petite boutique, 2 frères marchands d’huile et 4 autres d’un milieu beaucoup plus populaire vinrent compléter les 10.
Les instructions étaient de se rendre immédiatement au Belvedere, Avenue Carnot, au garage des S.S Notre chef direct était là-bas. C’était un colosse, ancien champion poids lourds, qui avait même disputé selon ses dires, le championnat du monde de boxe poids lourds. S’étant fracturé le genou en sautant en parachute lors de la campagne de Crête, il ne faisait plus partie des combattants de 1ere ligne. Par rapport à notre groupe, il voulait nous inspirer de la terreur en tirant son revolver à tout bout de champ et en nous menaçant à la moindre contestation.
Notre tâche consistait en priorité à creuser des tranchées dans les terrains vagues du quartier, pour que les S.S. puissent s’abriter à lors des bombardements alliés.
Cassuto et moi qui avions préparé plusieurs camps scouts avions eu l’occasion de manier pelles et pioches mais pour les autres, c’était une autre paire de manches. En donnant son premier coup de pioche, le voisin s’était blessé au front et il fallut le faire soigner. Nous devions aussi faire les déménagements dans les maisons réquisitionnées, transporter des meubles d’une villa à l’autre, beaucoup de pianos
On nous appelle un jour à la Villa Licari, à l’état-major S.S.un coffre-fort énorme est posé sur un camion et il faut le faire monter au 2éme étage. Après quelques moments d’affolement, je conseille d’aller chercher au garage des rouleaux d’acier et tout un lot de cordes. Nous arrivons à faire rouler le coffre sur les rouleaux tandis que nous tirons sur les cordes qui entourent ce bloc de métal. Nous arrivons ainsi à placer le coffre à l’endroit voulu mais, ce faisant, par une malchance incroyable, l’un de nous fait tomber malencontreusement un portrait d’Hitler qui se casse. On ne donnait pas cher de notre peau mais on s’est aperçu que le S.S. qui nous surveillait a fait disparaître en douce, le portrait cassé , et toutes les traces de cette catastrophe, nous évitant ainsi des angoisses justifiées.
A titre anecdotique, en arrivant le soir chez mes parents, mon père me dit ; « tu sais ce qui m’est arrivé aujourd’hui. Des S.S sont venus à mon bureau, m’ont remis un ordre de réquisition du coffre-fort et m’ont donné dix minutes pour le vider et leur remettre les clés « . Je regarde mon père et je lui dis « oui, je suis au courant « « Comment «
« C’est moi qui l’ai monté au 2eme étage de la villa Licari «
Pour en finir avec l’histoire de ce coffre, j’ai trouvé stupéfiant que dans la panique et la pagaille de la défaite quelques mois plus tard, les allemands aient trouvé le moyen d’ adresser à mon père, avant de fuir, une lettre de levée de réquisition avec l’adresse ou il pouvait récupérer son bien ;Malheureusement l’Intelligence Service anglais avait été plus rapide que lui et avait fait sauter la porte de coffre avec de la dynamite et il s’en est suivi toute une histoire rocambolesque entre les, allemands les anglais et les français, chacun faisant retomber la responsabilité sur le voisin
Pour en revenir à nos travaux, notre groupe partait du garage , vers les tranchées, ou les villas réquisitionnées. Des amis de mon père l’avaient su et ils lui demandaient souvent de s’informer auprès de moi si tel piano ou telle peinture , tel tapis se trouvait toujours à leur salon.
Souvent, le responsable de la communauté juive était convoqué chez les S.S pour recevoir communication de leurs exigences. Il arrivait dans une petite calèche tirée par un poney et l’un de nous gardait l’attelage pendant ce temps-là. A voir la tête de Paul Ghez à la sortie, on comprenait très vite le genre d’ultimatum transmis à la communauté..J’ai oublié le nom et le titre du chef S.S mais je n’ai pas oublié son regard glacial et sa cravache. Je sais que c’est lui qui a inventé l’asphyxie des juifs d’Europe dans les camions, avant la mise en place des fours crématoires. Après sa fuite de Tunisie, j’ai appris qu’il a dirigé la shoah des juifs d’Italie et qu’il a du mourir paisiblement chez lui il y a peu de temps.
Cette histoire commence vers les années 1938-1940. Période faste pour la jeunesse juive tunisienne, une jeunesse nombreuse, brillante, débordant de vitalité. Du lycée Carnot sortaient chaque année des jeunes qui s’apprêtaient à prendre leur envol vers les facultés de Paris ou Montpellier. Les fils de bourrelier, de petits boutiquiers partaient pour les sciences médicales, le droit ou la littérature. Pendant l’été, en se baignant, à Kheredine ou au Kram, les anciens racontaient aux jeunes leurs expériences et leur communiquaient les petites recettes et les astuces qui rendaient supportable leur future année studieuse.
Les études au Lycée Carnot étaient d’ailleurs d’un niveau excellent. Notre professeur de français latin Caffort deviendra plus tard à Paris le proviseur de lycée Jeanson de Sailly. Patri prof de philo, boitillant, toujours chaussé d’espadrilles et la pipe à la bouche recommandera Albert Memmi, son élève préféré à Jean Paul Sartre.
Jean Debiesse , un de nos profs de physique va devenir le fondateur du C.E.A , Président du Conservatoire des Arts et Métiers et c’est comme cela que ses élèves des classes de math l’ont suivi et sont devenus ingénieurs atomistes. Je pense aux Taieb, Bessis, Ganouna et les autres
Sorti des mêmes cours Bruno Boccara a manqué de peu de devenir bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris. Dans d’autres domaines, les jeunes juifs tunisiens brillaient du même éclat. Young Perez était revenu de New York avec le titre de champion du monde de boxe poids plume et Tunis l’avait accueilli comme un héros national dans l’enthousiasme général. L’équipe de nageurs du cercle des nageurs de Tunis était revenue de Lille champion de France de water-polo et de nage et sur le plan local les footballeurs de l’U.S.T. attiraient un public enthousiaste.
Mais j’anticipe un peu, car la défaite française de 194O va donner un coup d’éteignoir a cette période faste.
Après avoir chanté avec le scoutisme français « Maréchal nous voila « , les mouvements scouts sont dissous et le statut des juifs s’applique à la Tunisie Plus d’études supérieures plus de fonctionnaires, de journalistes…Le repli sur soi-même en se faisant tout petit..
J’avais, à défaut d’autre possibilité, voulu m’inscrire en khâgne mais le censeur me déclara. « je ne peux pas vous enregistrer comme étudiant. Je vous autorise à écouter les cours comme auditeur libre, mais vous ne pourrez pas remettre des devoirs ou participer auxs examens »
Pour essayer de faire face à une coupure aussi brutale, , nous avions formé avec plusieurs ex chefs E.I. de petits groupes d’étude et chacun à tour de rôle devait faire un exposé sur une question scientifique ou philosophique. Quelques amis eux avaient formé « le gdoud « plus orienté vers l’hébreu et le sionisme.
C’est ainsi que ce 8 novembre 1942, Nous étions une dizaine de chefs E.I. et d’amis en sortie au Bou-Kornine, en discutant de l’avenir tout en cueillant au passage les cyclamens d’usage, lorsque l’un de nous aperçut au large d’Hamam-lif plusieurs gros bateaux. Nous apprenions peu après que les américains avaient débarqué en Afrique du Nord et que les bateaux aperçus avaient rebroussé chemin vers des ports algériens.
De l’autre coté, les avions allemands atterrissaient à l’Aouina et leurs troupes fraîches défilaient d’un pas martial en chantant à pleine voix dans les rues de Tunis, célébrant pour les 1000 ans à venir la gloire du 3eme Reich.
En quelques jours l’atmosphère s’était soudain électrisée. Le Résident Général de France, l’Amiral Esteva, le moine soldat comme on l’appelait, télégraphiait au gouvernement de Vichy en indiquant « je suis attaqué à la fois par les Américains et par les Allemands. Que dois-je faire « La réponse de l’Amiral Darlan « défendez vous contre l’ennemi « et Esteva de répliquer « désignez l’ennemi ».Entre-temps une bonne partie de l’armée française stationnée en Tunisie selon les modalités du pacte d’armistice avait rejoint les armées alliées en emportant avec elle toutes les locomotives et les trains existants. Une résistance française s’organisait en silence contre les allemands ( la collaboration aussi) On m’a raconté ainsi que les gardiens de prison avaient en douce été remplacés par des résistants pour servir de centre de renseignements pour les alliés.
Des premières mesures s’appliquaient aux juifs. Il fallait remettre tous les vélos en leur possession. Puis ce fut le tour des radios .
Avec les premières troupes allemandes arrivaient les S.S. Ils réquisitionnaient les villas et appartements juifs et maltais des quartiers du Belvedere, convoquaient les dirigeants de la communauté juive, personnes âgées et respectables dont le rôle se limitait pratiquement à de la représentation honorifique et à l’assistance aux nombreux nécessiteux. ,. Rapidement des personnes dévouées et courageuses, en particulier Maître Paul Ghez, ancien officier de l’armée française et Maître Georges Krief, avaient pris leur place comme interlocuteurs des S.S
Immédiatement les S.S. mettaient en pratique leur politique, c'est-à-dire, s’emparer tout d’abord de otages, imposer des amendes, rassembler les hommes comme main d’œuvre pour les besoins de l’armée allemande.
Pour se procurer les millions exigés la communauté demanda l’assistance du Résident Général qui les renvoya sur la Conservation Foncière. Celle–ci était d’accord pour avancer la somme mais contre une hypothèque de biens immeubles. La garantie sur plusieurs immeubles de Tunis fut rapidement obtenue pour un montant bien supérieur à la somme demandée, mais pas au goût de la Conservation Foncière, qui n’était intéressée que par un seul bien , la ferme modèle de Maître Cattan, que l’on venait visiter de plusieurs pays , admirer ses cultures, son école , son église. Maître Cattan était hospitalisé. De son lit de malade, il signa les papiers exigés pour l’hypotheque.
Quant à la main-d’œuvre, la communauté appela les jeunes à se rendre pour les tunisois au bureau de recrutement , à l’école de l’Alliance Israélite, pour être incorporés comme travailleurs obligatoires et être envoyés dans des camps de travail au port de Bizerte, à Zaghouan et divers autres lieux.
Devant la difficulté de rassembler le nombre exigé de travailleurs, on créa une police juive qui raflait les jeunes dans la rue et j’ai vu ainsi certaines de mes connaissances des mouvements de jeunesse faire ce travail.
J’avais cru pendant quelques jours échapper à ce recrutement. J’étais porteur d’un ordre de réquisition émanant de la Direction de l’Agriculture, me réquisitionnant pour les besoins du ravitaillement de Tunis mais devant les risques de représailles des S.S. si le nombre exigé de travailleurs n’était pas présent, je me rendais au centre de recrutement,
Le même jour, pour augmenter la pression, les S.S. effectuaient une rafle des juifs à la grande synagogue de Tunis et embarquaient tous les fidèles, jeunes et vieux indistinctement, en les munissant d’une pelle et d’une pioche et en les faisant défiler avenue de Paris.
Pour ma part, je me retrouvais comme tous les autres, dans une salle de classe de l’Alliance Israélite. Je reçus une combinaison de travail, une pelle et une pioche. Après nous avoir enregistré, on nous fit connaître que notre lieu de travail serait l’aéroport d’El Aouina. Au moment où notre groupe allait partir ; quelqu’un vint demander que dix volontaires soient détachés pour une autre affectation. Après une ou deux minutes, mon ami André Cassuto et moi sortîmes du groupe. Un 3eme garçon, un voisin, se joignit à nous, , un 4eme qui s’appelait Slama, comme moi et tenait une petite boutique, 2 frères marchands d’huile et 4 autres d’un milieu beaucoup plus populaire vinrent compléter les 10.
Les instructions étaient de se rendre immédiatement au Belvedere, Avenue Carnot, au garage des S.S Notre chef direct était là-bas. C’était un colosse, ancien champion poids lourds, qui avait même disputé selon ses dires, le championnat du monde de boxe poids lourds. S’étant fracturé le genou en sautant en parachute lors de la campagne de Crête, il ne faisait plus partie des combattants de 1ere ligne. Par rapport à notre groupe, il voulait nous inspirer de la terreur en tirant son revolver à tout bout de champ et en nous menaçant à la moindre contestation.
Notre tâche consistait en priorité à creuser des tranchées dans les terrains vagues du quartier, pour que les S.S. puissent s’abriter à lors des bombardements alliés.
Cassuto et moi qui avions préparé plusieurs camps scouts avions eu l’occasion de manier pelles et pioches mais pour les autres, c’était une autre paire de manches. En donnant son premier coup de pioche, le voisin s’était blessé au front et il fallut le faire soigner. Nous devions aussi faire les déménagements dans les maisons réquisitionnées, transporter des meubles d’une villa à l’autre, beaucoup de pianos
On nous appelle un jour à la Villa Licari, à l’état-major S.S.un coffre-fort énorme est posé sur un camion et il faut le faire monter au 2éme étage. Après quelques moments d’affolement, je conseille d’aller chercher au garage des rouleaux d’acier et tout un lot de cordes. Nous arrivons à faire rouler le coffre sur les rouleaux tandis que nous tirons sur les cordes qui entourent ce bloc de métal. Nous arrivons ainsi à placer le coffre à l’endroit voulu mais, ce faisant, par une malchance incroyable, l’un de nous fait tomber malencontreusement un portrait d’Hitler qui se casse. On ne donnait pas cher de notre peau mais on s’est aperçu que le S.S. qui nous surveillait a fait disparaître en douce, le portrait cassé , et toutes les traces de cette catastrophe, nous évitant ainsi des angoisses justifiées.
A titre anecdotique, en arrivant le soir chez mes parents, mon père me dit ; « tu sais ce qui m’est arrivé aujourd’hui. Des S.S sont venus à mon bureau, m’ont remis un ordre de réquisition du coffre-fort et m’ont donné dix minutes pour le vider et leur remettre les clés « . Je regarde mon père et je lui dis « oui, je suis au courant « « Comment «
« C’est moi qui l’ai monté au 2eme étage de la villa Licari «
Pour en finir avec l’histoire de ce coffre, j’ai trouvé stupéfiant que dans la panique et la pagaille de la défaite quelques mois plus tard, les allemands aient trouvé le moyen d’ adresser à mon père, avant de fuir, une lettre de levée de réquisition avec l’adresse ou il pouvait récupérer son bien ;Malheureusement l’Intelligence Service anglais avait été plus rapide que lui et avait fait sauter la porte de coffre avec de la dynamite et il s’en est suivi toute une histoire rocambolesque entre les, allemands les anglais et les français, chacun faisant retomber la responsabilité sur le voisin
Pour en revenir à nos travaux, notre groupe partait du garage , vers les tranchées, ou les villas réquisitionnées. Des amis de mon père l’avaient su et ils lui demandaient souvent de s’informer auprès de moi si tel piano ou telle peinture , tel tapis se trouvait toujours à leur salon.
Souvent, le responsable de la communauté juive était convoqué chez les S.S pour recevoir communication de leurs exigences. Il arrivait dans une petite calèche tirée par un poney et l’un de nous gardait l’attelage pendant ce temps-là. A voir la tête de Paul Ghez à la sortie, on comprenait très vite le genre d’ultimatum transmis à la communauté..J’ai oublié le nom et le titre du chef S.S mais je n’ai pas oublié son regard glacial et sa cravache. Je sais que c’est lui qui a inventé l’asphyxie des juifs d’Europe dans les camions, avant la mise en place des fours crématoires. Après sa fuite de Tunisie, j’ai appris qu’il a dirigé la shoah des juifs d’Italie et qu’il a du mourir paisiblement chez lui il y a peu de temps.
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