vendredi 23 janvier 2009
MARIAGE MIXTE
Henry Slama
Je suis né d'un mariage mixte. Mais n'allez pas imaginer des choses. Mes parents étaient juifs tous les deux. Seulement ils faisaient partie de mondes très différents.
Ma mère était gornia, c'est à dire qu'elle était membre de la communauté dite portugaise, descendante des juifs expulsés d'Espagne ou du Portugal installés en Italie, à Livourne en particulier et venus gagner leur vie en Tunisie.
Mon père était " tounsi ", probablement descendant de berbères judaïsés ou d'hébreux palestiniens ayant dans des temps très anciens, formé des colonies juives sur la côte Tunisienne.
C'était nettement une mésalliance pour ma mère en ce temps-là mais c'était une décision de mon grand-père maternel. Bien que juif italien, c'était un homme d'une pratique religieuse très stricte et il trouvait que les granas étaient frileux dans leurs pratiques religieuses.
En fait, ce qui s'était passé, c'est qu'il avait d'abord promis sa fille à un gorni mais ce malheureux avait chez son futur beau-père allumé une cigarette le shabbat et il avait été reconduit à la porte séance tenante.
Du coup, mon grand père s’était orienté vers un gendre tunisien, d’une famille beaucoup plus observante des commandements divins.
A cette époque, les deux époux faisaient partie de deux sphères différentes, l’une orientée vers l’Europe et l’Italie en particulier, l’autre vers le monde arabe qui l’entourait.
Mon grand-père maternel était importateur de thés, de sucre, de pétrole, actionnaire de minoteries modernes et ses magasins bourrés de marchandises se situaient souk el grana. Il parlait et écrivait en italien. Sa connaissance de l’arabe pour ses affaires, était très limitée
Mon grand-père paternel était artisan bijoutier. Il avait une petite boutique au souk el beransia avec un coffre-fort, un chalumeau, des flacons d’acide, , des outils de travail, limes et autres et un tabouret pour les acheteurs éventuels. Il créait des bracelets de différents modèles, des bagues et des bijoux berbères
Quand j’allais à sa boutique, il manifestait sa joie en ramassant toutes les poussières d’or sur son établi et par terre qu’il faisait fondre pour me faire cadeau d’un grain d’or minuscule qu’il me donnait triomphalement.
Quand la récolte de céréales, d’olives ou de dattes avait été bonne en Tunisie, il vendait ce qu’il fabriquait. Autrement il se serrait la ceinture en attendant des jours meilleurs.
Il parlait en judeo-arabe qu’il écrivait en utilisant l’alphabet hébraïque, car il était interdit aux juifs d’employer dans leurs écrits les caractères arabes, véhicule de la langue sacrée du Coran
Chez ma mère, le maître à penser était le rabbin gorni Jacob Boccara ; personnalité à rayonnement international. Il avait participé au 1er congrès sioniste à Bâle. IL participait à des controverses avec des prêtres catholiques et discutait philosophie avec l’archevêque de Carthage Il avait instauré la bath-mitzwa pour les filles ; bien en avance sur les autres courants du judaïsme. Son influence était telle que pendant la période d’occupation allemande le gouvernement de Mussolini lui avait envoyé des émissaires pour demander l’appui du rabbin à la politique italienne en vue d’annexer la Tunisie après la victoire de l’axe. Mais ces délégués de Rome avaient été éconduits avec pertes et fracas l’Italie appliquant la politique antisémite des nazis
Mon grand-père paternel se rendait le samedi après-midi dans une maison de la Hara, le vieux quartier juif de Tunis. Là avec d’autres vieux, il étudiait la cabbale, phrase après phrase, mot après mot, jusqu’à l’heure de la sortie du chabbat. Il m’emmenait parfois avec lui mais je ne comprenais rien de ce qui était commenté et je n’avais qu’une hâte, attendre l’apparition des 3 étoiles fatidiques dans le ciel et la fin de la journée, car tout ce monde manquait de confiance dans les montres et se fiait aux astres pour s’assurer que le chabbat était terminé
.
Les granas étaient ouverts sur le monde extérieur, en particulier sur l’Italie
Mes cousines étaient infirmières à l’hôpital italien qui avait été crée grâce à l’appui des médecins et philanthropes juifs.
Un de mes oncles vivait une partie de l’année à Gênes ou il faisait des courtages pour le compte des producteurs d’huile d’olives ou d’amandes sfaxiens.
Je me souviens qu’à la période des vacances scolaires, nous allions en famille au port de Tunis accueillir un cousin collégien qui revenait d’Italie, sanglé dans son uniforme à boutons dorés et coiffé de sa casquette de pensionnaire
En 1937, l’Italie s’était lancée à la conquête de l’Ethiopie, malgré la condamnation de la Société des Nations. Mussolini, à cette occasion avait demandé aux italiens de montrer leur patriotisme et pour cela de donner au pays leurs alliances en or et recevoir à la place une alliance en plomb. Plusieurs de mes parents s’étaient immédiatement rendus au Consulat d’Italie et avaient remis leurs alliances de mariage. D’autres plus astucieux avaient gardé leurs alliance mais avaient été au souk en acheter d’autres à offrir à l’état italien
En période de vacances, des parents italiens se rendaient aux lacs italiens, en particulier au lac de Côme( voir les romans de Stephan Zweig). A la rigueur, ils passaient l’été à leur villa du Kram, tandis que les Tunisiens louaient une araba (charrette à un cheval) chargée de quelques matelas, chaises, vaisselle ;;; pour passer les mois d’été à la Goulette ou la Marsa. Les années fastes ils allaient à Ain –Draham qui avec la fraîcheur de ses forêts de chêne-liège rappelait la Savoie au dessus de leurs moyens
.
La cuisine non plus n’avait rien de commun dans les deux familles. Chez les Tunisiens, c’était le règne incontesté de la bkaila, de la gnaouia, du poisson complet avec piments frits et œuf
Les grana eux mangeaient des potages, des consommés, des rôtis au four
.
En ces temps révolus, les deux communautés avaient chacune son organisation séparée. Même la mort était vécue différemment. Les cimetières étaient séparés. Les corbillards étaient révélateurs de la différence. Ainsi tandis que le personnel des pompes funèbres tunisiens étaient coiffés de la chéchia rouge, les autres portaient je ne sais plus si c’était des chapeaux hauts de forme ou des chapeaux melon
Il a fallu attendre la période 1935-194O pour que les différences commencent à s’estomper. Les Italiens se sont francisés. Les Tunisiens aussi. Les communautés qse sont fondues. Tout le monde s’est tourné vers l’Europe et aujourd’hui tout cela fait partie d’un monde disparu
.
Pourtant malgré tout ça, mes parents ont formé un couple très équilibré faisant la part des choses et ont vécu heureux avec la famille qu’ils avaient créée....
Je suis né d'un mariage mixte. Mais n'allez pas imaginer des choses. Mes parents étaient juifs tous les deux. Seulement ils faisaient partie de mondes très différents.
Ma mère était gornia, c'est à dire qu'elle était membre de la communauté dite portugaise, descendante des juifs expulsés d'Espagne ou du Portugal installés en Italie, à Livourne en particulier et venus gagner leur vie en Tunisie.
Mon père était " tounsi ", probablement descendant de berbères judaïsés ou d'hébreux palestiniens ayant dans des temps très anciens, formé des colonies juives sur la côte Tunisienne.
C'était nettement une mésalliance pour ma mère en ce temps-là mais c'était une décision de mon grand-père maternel. Bien que juif italien, c'était un homme d'une pratique religieuse très stricte et il trouvait que les granas étaient frileux dans leurs pratiques religieuses.
En fait, ce qui s'était passé, c'est qu'il avait d'abord promis sa fille à un gorni mais ce malheureux avait chez son futur beau-père allumé une cigarette le shabbat et il avait été reconduit à la porte séance tenante.
Du coup, mon grand père s’était orienté vers un gendre tunisien, d’une famille beaucoup plus observante des commandements divins.
A cette époque, les deux époux faisaient partie de deux sphères différentes, l’une orientée vers l’Europe et l’Italie en particulier, l’autre vers le monde arabe qui l’entourait.
Mon grand-père maternel était importateur de thés, de sucre, de pétrole, actionnaire de minoteries modernes et ses magasins bourrés de marchandises se situaient souk el grana. Il parlait et écrivait en italien. Sa connaissance de l’arabe pour ses affaires, était très limitée
Mon grand-père paternel était artisan bijoutier. Il avait une petite boutique au souk el beransia avec un coffre-fort, un chalumeau, des flacons d’acide, , des outils de travail, limes et autres et un tabouret pour les acheteurs éventuels. Il créait des bracelets de différents modèles, des bagues et des bijoux berbères
Quand j’allais à sa boutique, il manifestait sa joie en ramassant toutes les poussières d’or sur son établi et par terre qu’il faisait fondre pour me faire cadeau d’un grain d’or minuscule qu’il me donnait triomphalement.
Quand la récolte de céréales, d’olives ou de dattes avait été bonne en Tunisie, il vendait ce qu’il fabriquait. Autrement il se serrait la ceinture en attendant des jours meilleurs.
Il parlait en judeo-arabe qu’il écrivait en utilisant l’alphabet hébraïque, car il était interdit aux juifs d’employer dans leurs écrits les caractères arabes, véhicule de la langue sacrée du Coran
Chez ma mère, le maître à penser était le rabbin gorni Jacob Boccara ; personnalité à rayonnement international. Il avait participé au 1er congrès sioniste à Bâle. IL participait à des controverses avec des prêtres catholiques et discutait philosophie avec l’archevêque de Carthage Il avait instauré la bath-mitzwa pour les filles ; bien en avance sur les autres courants du judaïsme. Son influence était telle que pendant la période d’occupation allemande le gouvernement de Mussolini lui avait envoyé des émissaires pour demander l’appui du rabbin à la politique italienne en vue d’annexer la Tunisie après la victoire de l’axe. Mais ces délégués de Rome avaient été éconduits avec pertes et fracas l’Italie appliquant la politique antisémite des nazis
Mon grand-père paternel se rendait le samedi après-midi dans une maison de la Hara, le vieux quartier juif de Tunis. Là avec d’autres vieux, il étudiait la cabbale, phrase après phrase, mot après mot, jusqu’à l’heure de la sortie du chabbat. Il m’emmenait parfois avec lui mais je ne comprenais rien de ce qui était commenté et je n’avais qu’une hâte, attendre l’apparition des 3 étoiles fatidiques dans le ciel et la fin de la journée, car tout ce monde manquait de confiance dans les montres et se fiait aux astres pour s’assurer que le chabbat était terminé
.
Les granas étaient ouverts sur le monde extérieur, en particulier sur l’Italie
Mes cousines étaient infirmières à l’hôpital italien qui avait été crée grâce à l’appui des médecins et philanthropes juifs.
Un de mes oncles vivait une partie de l’année à Gênes ou il faisait des courtages pour le compte des producteurs d’huile d’olives ou d’amandes sfaxiens.
Je me souviens qu’à la période des vacances scolaires, nous allions en famille au port de Tunis accueillir un cousin collégien qui revenait d’Italie, sanglé dans son uniforme à boutons dorés et coiffé de sa casquette de pensionnaire
En 1937, l’Italie s’était lancée à la conquête de l’Ethiopie, malgré la condamnation de la Société des Nations. Mussolini, à cette occasion avait demandé aux italiens de montrer leur patriotisme et pour cela de donner au pays leurs alliances en or et recevoir à la place une alliance en plomb. Plusieurs de mes parents s’étaient immédiatement rendus au Consulat d’Italie et avaient remis leurs alliances de mariage. D’autres plus astucieux avaient gardé leurs alliance mais avaient été au souk en acheter d’autres à offrir à l’état italien
En période de vacances, des parents italiens se rendaient aux lacs italiens, en particulier au lac de Côme( voir les romans de Stephan Zweig). A la rigueur, ils passaient l’été à leur villa du Kram, tandis que les Tunisiens louaient une araba (charrette à un cheval) chargée de quelques matelas, chaises, vaisselle ;;; pour passer les mois d’été à la Goulette ou la Marsa. Les années fastes ils allaient à Ain –Draham qui avec la fraîcheur de ses forêts de chêne-liège rappelait la Savoie au dessus de leurs moyens
.
La cuisine non plus n’avait rien de commun dans les deux familles. Chez les Tunisiens, c’était le règne incontesté de la bkaila, de la gnaouia, du poisson complet avec piments frits et œuf
Les grana eux mangeaient des potages, des consommés, des rôtis au four
.
En ces temps révolus, les deux communautés avaient chacune son organisation séparée. Même la mort était vécue différemment. Les cimetières étaient séparés. Les corbillards étaient révélateurs de la différence. Ainsi tandis que le personnel des pompes funèbres tunisiens étaient coiffés de la chéchia rouge, les autres portaient je ne sais plus si c’était des chapeaux hauts de forme ou des chapeaux melon
Il a fallu attendre la période 1935-194O pour que les différences commencent à s’estomper. Les Italiens se sont francisés. Les Tunisiens aussi. Les communautés qse sont fondues. Tout le monde s’est tourné vers l’Europe et aujourd’hui tout cela fait partie d’un monde disparu
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Pourtant malgré tout ça, mes parents ont formé un couple très équilibré faisant la part des choses et ont vécu heureux avec la famille qu’ils avaient créée....
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