mercredi 21 avril 2010
Voyage à trois … Pour Ida et tous les autres …
Voyage à trois … Pour Ida et tous les autres …
Au milieu de nombreux groupes qui convergeaient au petit matin vers l’aéroport de Roissy, nous nous sommes retrouvés à trois pour faire le voyage à Auschwitz le 24 mars 2010 : Jean Belaïsch, Bernard Lobel et moi-même. Trois médecins de générations différentes mais proches, unis par leur amitié tissée par leurs rencontres, leurs échanges, l’estime mutuelle de leur manière d’être médecins. Il était bon de ne pas affronter et supporter Auschwitz de manière solitaire.
Nous étions là pour encadrer une soixantaine d’étudiants en médecine à qui l’AMIF donnait la possibilité de relayer un témoignage juste sur la Shoah.
J’ai vécu cette journée dans un état d’anesthésie intellectuelle et émotionnelle, dans un état d’incrédulité devant l’horreur.
L’atmosphère d’une journée printanière ensoleillée, dans une paisible campagne polonaise et l’alignement des bâtiments de brique rouge, était complétée par le récit de la guide polonaise. Ses propos plein d’empathie, mais techniques, historiques, précautionneux au respect de l’horaire et de la programmation rendaient insaisissables la dimension du drame humain dont ce décor avait été le cadre.
Des écrits, des photos, des films ont permis de prendre la dimension du drame de la Shoah. Il est important de définir cette catastrophe humanitaire pour laquelle un mot a été choisi, sans synonyme qui est unique par ses caractéristiques.
Elle est unique parce qu’elle a abouti à la mort de plusieurs millions d’êtres, hommes, femmes et enfants.
Elle est unique, parce qu’elle a été pensée, conçue et réalisée par un pays en Europe occidentale dont le niveau intellectuel, culturel et artistique était une référence de haut niveau social dans le progrès de l’humanité.
Cette « barbarie propre » a été appliquée avec une qualité et un raffinement, dans le conditionnement de l’homme en sous-homme, affaibli, affamé, anesthésié et malléable, à faire disparaître en fumée âcre.
Elle a été unique et encore plus choquante pour nous médecins imprégnés d’humanisme, par le comportement des médecins nazis dans les camps. Ils étaient présents à tous les moments décisifs de la sélection initiale, des sélections secondaires conditionnées par les flux humains et régulatrices en cas de risque de surpopulation. Ils assumaient les exécutions par injection intracardiaques de phénol et les expérimentations humaines pseudo-utiles, souvent par curiosité et perversité. Ils envoyaient des sujets humains vers des laboratoires pharmaceutiques pour des tests de tolérance à diverses substances sans chance de survie.
Elle est unique, parce qu’à l’inverse des autres assassinats à grande échelle, elle a fait converger pour une solution finale, toutes les populations juives d’Europe, souvent avec la complicité des autorités locales, et même du fond des îles grecques, par convois ferroviaires vers l’Europe orientale.
Le camp d’Auschwitz Birkenau fut le fleuron performant de cette organisation avec un souci de ne pas laisser de traces.
Toutes ces réflexions n’ont pu être élaborées que par le témoignage des survivants des camps d’extermination qui ont révélé l’inimaginable, l’horrible vérité.
Madame Ida Grinspan, survivante d’Auschwitz, alerte octogénaire intervenait dans notre groupe, au fur et à mesure de la visite du camp. L’émotion d’une lutte pour la survie de chaque jour dans une atmosphère écrasante où la mort était quasi inéluctable.
Madame Ida G. s’exprimait en mots simples, précis, justes, sans emphase, puisés dans un vécu intensément marquant pour être bouleversants. Elle mettait en lumière la transformation de l’homme, le développement de l’instinct de survie dans des conditions qui défiaient les règles physiologiques de survie. Il était émouvant de l’entendre raconter des situations qui associaient intelligence et solidarité :
- Partager à trois une couverture par des températures nocturnes largement négatives, en prenant à tour de rôle la place du milieu pour « avoir plus chaud » avec aussi l’assurance du confort une nuit sur trois.
- La course aux latrines collectives, impudiques et puantes se faisait sans la possibilité d’une hygiène corporelle élémentaire. L’encombrement autour du filet d’eau glacée obligeait au renoncement de celles qui ne pouvaient attendre à cause de l’appel implacable et prolongé, suivi du repas infâme mais précieux pour la survie.
La conscience, que par manque d’hygiène des complications infectieuses cutanées ou digestives concrétiseraient une mort certaine à la prochaine sélection, poussa Ida et ses deux amies à décider de choisir et de réussir des sorties nocturnes discrètes et périlleuses pour se laver le corps à l’eau glacée, ainsi accessible. Elles purent ainsi mieux survivre et assumer leur labeur quotidien, du lever au coucher du soleil, de leur longue détention.
Le rôle fondamental de la cuillère, ustensile élémentaire et indispensable dont la perte devait être compensée par le troc d’une nouvelle cuillère contre une ration de pain et le partage temporaire à trois des rations de pain de ses deux amies.
Ce sont quelques exemples parmi d’autres commentaires, exprimés avec une détermination tranquille à aller au bout de son message, bousculant avec un sourire touchant le retard possible de quelques minutes à une commémoration collective.
De cette journée, je retiendrai deux pensées réconfortantes :
- Le sérieux, la gravité, l’imprégnation des groupes de jeunes qui pourront s’opposer aux négationnistes et transmettre la vérité plus longtemps
- La rencontre avec un groupe de jeunes israéliens de 15 à 16 ans, membres d’un mouvement de jeunesse éduqués dans la confiance et la détermination d’Israël à défendre ses citoyens. Ils sont venus pour essayer de comprendre et rendre hommage en chantant l’Ha Tikvah (l’espoir) autour du drapeau bleu et blanc.
Peut-on espérer aussi que le précieux témoignage des rares survivants puisse transmettre et faire ressentir la dimension unique de la Shoah car la réflexion, l’analyse intellectuelle ne peut mener qu’à l’incrédulité.
Alors, merci Ida !
G. NAHUM-MOATTY
Au milieu de nombreux groupes qui convergeaient au petit matin vers l’aéroport de Roissy, nous nous sommes retrouvés à trois pour faire le voyage à Auschwitz le 24 mars 2010 : Jean Belaïsch, Bernard Lobel et moi-même. Trois médecins de générations différentes mais proches, unis par leur amitié tissée par leurs rencontres, leurs échanges, l’estime mutuelle de leur manière d’être médecins. Il était bon de ne pas affronter et supporter Auschwitz de manière solitaire.
Nous étions là pour encadrer une soixantaine d’étudiants en médecine à qui l’AMIF donnait la possibilité de relayer un témoignage juste sur la Shoah.
J’ai vécu cette journée dans un état d’anesthésie intellectuelle et émotionnelle, dans un état d’incrédulité devant l’horreur.
L’atmosphère d’une journée printanière ensoleillée, dans une paisible campagne polonaise et l’alignement des bâtiments de brique rouge, était complétée par le récit de la guide polonaise. Ses propos plein d’empathie, mais techniques, historiques, précautionneux au respect de l’horaire et de la programmation rendaient insaisissables la dimension du drame humain dont ce décor avait été le cadre.
Des écrits, des photos, des films ont permis de prendre la dimension du drame de la Shoah. Il est important de définir cette catastrophe humanitaire pour laquelle un mot a été choisi, sans synonyme qui est unique par ses caractéristiques.
Elle est unique parce qu’elle a abouti à la mort de plusieurs millions d’êtres, hommes, femmes et enfants.
Elle est unique, parce qu’elle a été pensée, conçue et réalisée par un pays en Europe occidentale dont le niveau intellectuel, culturel et artistique était une référence de haut niveau social dans le progrès de l’humanité.
Cette « barbarie propre » a été appliquée avec une qualité et un raffinement, dans le conditionnement de l’homme en sous-homme, affaibli, affamé, anesthésié et malléable, à faire disparaître en fumée âcre.
Elle a été unique et encore plus choquante pour nous médecins imprégnés d’humanisme, par le comportement des médecins nazis dans les camps. Ils étaient présents à tous les moments décisifs de la sélection initiale, des sélections secondaires conditionnées par les flux humains et régulatrices en cas de risque de surpopulation. Ils assumaient les exécutions par injection intracardiaques de phénol et les expérimentations humaines pseudo-utiles, souvent par curiosité et perversité. Ils envoyaient des sujets humains vers des laboratoires pharmaceutiques pour des tests de tolérance à diverses substances sans chance de survie.
Elle est unique, parce qu’à l’inverse des autres assassinats à grande échelle, elle a fait converger pour une solution finale, toutes les populations juives d’Europe, souvent avec la complicité des autorités locales, et même du fond des îles grecques, par convois ferroviaires vers l’Europe orientale.
Le camp d’Auschwitz Birkenau fut le fleuron performant de cette organisation avec un souci de ne pas laisser de traces.
Toutes ces réflexions n’ont pu être élaborées que par le témoignage des survivants des camps d’extermination qui ont révélé l’inimaginable, l’horrible vérité.
Madame Ida Grinspan, survivante d’Auschwitz, alerte octogénaire intervenait dans notre groupe, au fur et à mesure de la visite du camp. L’émotion d’une lutte pour la survie de chaque jour dans une atmosphère écrasante où la mort était quasi inéluctable.
Madame Ida G. s’exprimait en mots simples, précis, justes, sans emphase, puisés dans un vécu intensément marquant pour être bouleversants. Elle mettait en lumière la transformation de l’homme, le développement de l’instinct de survie dans des conditions qui défiaient les règles physiologiques de survie. Il était émouvant de l’entendre raconter des situations qui associaient intelligence et solidarité :
- Partager à trois une couverture par des températures nocturnes largement négatives, en prenant à tour de rôle la place du milieu pour « avoir plus chaud » avec aussi l’assurance du confort une nuit sur trois.
- La course aux latrines collectives, impudiques et puantes se faisait sans la possibilité d’une hygiène corporelle élémentaire. L’encombrement autour du filet d’eau glacée obligeait au renoncement de celles qui ne pouvaient attendre à cause de l’appel implacable et prolongé, suivi du repas infâme mais précieux pour la survie.
La conscience, que par manque d’hygiène des complications infectieuses cutanées ou digestives concrétiseraient une mort certaine à la prochaine sélection, poussa Ida et ses deux amies à décider de choisir et de réussir des sorties nocturnes discrètes et périlleuses pour se laver le corps à l’eau glacée, ainsi accessible. Elles purent ainsi mieux survivre et assumer leur labeur quotidien, du lever au coucher du soleil, de leur longue détention.
Le rôle fondamental de la cuillère, ustensile élémentaire et indispensable dont la perte devait être compensée par le troc d’une nouvelle cuillère contre une ration de pain et le partage temporaire à trois des rations de pain de ses deux amies.
Ce sont quelques exemples parmi d’autres commentaires, exprimés avec une détermination tranquille à aller au bout de son message, bousculant avec un sourire touchant le retard possible de quelques minutes à une commémoration collective.
De cette journée, je retiendrai deux pensées réconfortantes :
- Le sérieux, la gravité, l’imprégnation des groupes de jeunes qui pourront s’opposer aux négationnistes et transmettre la vérité plus longtemps
- La rencontre avec un groupe de jeunes israéliens de 15 à 16 ans, membres d’un mouvement de jeunesse éduqués dans la confiance et la détermination d’Israël à défendre ses citoyens. Ils sont venus pour essayer de comprendre et rendre hommage en chantant l’Ha Tikvah (l’espoir) autour du drapeau bleu et blanc.
Peut-on espérer aussi que le précieux témoignage des rares survivants puisse transmettre et faire ressentir la dimension unique de la Shoah car la réflexion, l’analyse intellectuelle ne peut mener qu’à l’incrédulité.
Alors, merci Ida !
G. NAHUM-MOATTY
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