mardi 13 avril 2010
UNE JOURNEE ET UNE ETERNITE A AUSCHWITZ
Ce blog associe des réflexions de juifs de Tunisie. Nous avons tous le sentiment profond d’avoir eu une chance extraordinaire d’avoir échappé à la destruction grâce à la victoire rapide des armées américaine, anglaise et de la 2ème DB française.
Pourquoi certains d’entre nous se sentent-ils obligés par une force interne et indéfinissable à se rendre sur les lieux de l’extermination de tant de juifs européens ?
Il n’y a pas de raisons évidentes. C’est pour ne pas oublier ce que nous avons, à plusieurs, éprouvé au cours de cette visite épuisante pour les anciens - mais nous pensions sans arrêt à ceux qui l’avaient vécue dans des conditions autrement éprouvantes- que ces lignes ont été écrites.
UNE JOURNEE ET UNE ETERNITE A AUSCHWITZ
Jean Belaisch
Les récits d’une journée passée à Auschwitz ont été innombrables et de dire ou écrire quelque chose de significatif et nouveau à ce sujet paraît impossible : l’intense émotion, l’accablement, le désespoir l’impuissance ont frappé tous ceux qui sont passés sous son portail avec sa vraie fausse devise désormais fallacieuse à deux titres.
Pourtant, ces émotions sont plus lourdes pour chacun de ceux qui ont fait ce voyage, parce qu’il a vécu ces minutes, que celles qu’il a éprouvées à la lecture de différents livres ou revues ( en dehors des livres inoubliables de Primo Levi, George Semprun ou David Rousset).
Nous avons donc été conduits de l’aéroport de Cracovie à Auschwitz, et comme toujours, durant le trajet, notre guide nous a parlé de la Pologne d’aujourd’hui pour nous donner des informations que nous aurions pu trouver sur Google si elles nous avaient intéressés.
Et nous avons ensuite entendu la voix de 14 ans (âge auquel elle a été emmenée par trois gendarmes) de Ida Grinspan.
Elle nous a fait revivre le trajet en wagon fermé vers le camp. Elle nous a raconté que les voisins de la maison où elle vivait cachée sont venus lors de son arrestation lui donner des denrées alimentaires rarissimes à l’époque pour qu’elle puisse supporter les peines des jours à venir qu’ils prévoyaient très dures. Et qu’elle les avait conservées avec l’intention de les donner à sa mère raflée un an et demi avant elle et qu’elle espérait naïvement retrouver en Allemagne.
Elle n’avait pas voulu en manger la moindre miette pour que sa mère puisse profiter de tout…. Et à l’arrivée à Auschwitz elle avait été désespérée parce que l’ordre avait été donné de tout laisser dans le wagon… et qu’elle ne pourrait pas faire ce plaisir à sa mère. Elle s’était privée pour rien ! Elle nous avait raconté d’une voix sereine mais dramatiquement vraie tout ce que tout le monde sait sur les conditions du voyage, la vie et les morts au cours de ces 2 jours tout en imaginant ce que les juifs grecs avaient dû supporter comme effroyables souffrances alors que leur voyage s’était prolongé pendant 4 jours.
Nous sommes arrivés au camp, les baraques alignées, les châlits, les centaines de paires de lunettes, les milliers de chaussures d’été et d’hiver, d’enfants et d’adultes, achetées dans la joie et abandonnées dans l’horreur, les vitrines de cheveux blancs, les commentaires ni froids, ni émus -c’était le ton qui nous paraissait le mieux adapté- qui tombaient comme des pierres dans nos oreilles.
Et je réalisais à quel point sans le récit de Ida G, la visite d’Auschwitz aurait perdu tout poids, n’aurait presque plus eu de signification. Ces baraquements vides, alignés, même ces salles de douches, ces sombres couloirs ou pièces où le ZYKLON B était déversé, ne semblaient plus capables de dire quoique ce soit, ne semblaient plus capables d’inspirer cette émotion qui nous étreignait tous.
L’infernale visite des lieux (où les déportés qui n’avaient pas respecté les règles de vie dans le camp étaient jugés) et les réduits dans lesquels étaient réunis 5 à 6 personnes condamnées à mourir de faim, debout, sans autre raison que de diversifier les façons de tuer et de faire souffrir des humains, serraient tout de même les cœurs des visiteurs qui ne comprenaient pas les raisons de pareils comportements !
Pour ma part, j’ai été remué par ce qui pourrait paraître un petit « détail » dans ces lieux. Les déportés des deux sexes, tout le monde l’a lu, étaient rasés : la tête, les aisselles, le pubis, mais quand la guide précisait qu’à la fin de la séance, les crânes étaient griffés de partout et le visage ruisselant de sang, on ressentait la douleur que ces rasoirs aux dents de scie ébréchés pouvaient provoquer sur ces êtres humains que l’on allait passer à la vraie douche, pour les utiliser comme main d’œuvre parce qu’ils avaient eu eux, la chance d’être sélectionnés pour vivre.
Mais sans la présence d’anciens déportés vivants, qui nous le prouvaient, quelqu’un pouvait-il accepter de croire que des humains avaient pu utiliser ces bâtiments blancs, propres, banaux, pour en faire des lieux où exercer imperturbablement leur macabre et inimaginable méchanceté.
Arrive la fin de la visite, on voit au loin se dessiner des bâtiments en ruine. On nous dit que là étaient les fours crématoires que les allemands avaient fait sauter, en toute hâte, avant leur départ car les troupes alliées arrivaient.
Et ces ruines montrent, sans laisser le moindre doute, que les nazis savaient qu’ils commettaient a Auschwitz des « horreurs inhumaines » et qu’ils faisaient de leur mieux pour ne pas avoir à les payer.Les Faurisson, les Chomski, les Goldnich que Raymond Barre, notre ex premier ministre s’obstinait avant sa mort à appeler « un homme bien », sont heureusement là aussi pour le prouver. Par leurs dénégations, ils nous montrent qu’ils acceptent, au moins, de reconnaître que si les allemands avaient commis ce dont le monde entier les accuse, ils eussent été des véritables et effrayants criminels ! Et les nazis en détruisant les chambres à gaz montrent eux aussi qu’ils le savaient et qu’ils voulaient donc effacer toutes ces traces dangereuses autant que déshonorantes.
Et si les négationnistes n’existaient pas, on pourrait imaginer que les nazis n’étaient pas conscients des horreurs qu’ils commettaient vis à vis de l’humanité.
Curieusement, ces restes métalliques de fours crématoires ne sont pas exposés, n’ont pas été remontés en plein jour. Peut-être l’ont-ils été et recachés? Peut être ne veut-on pas les montrer ? Peut-être avec raison !
En tous cas, je pense –et j’espère me tromper- que Auschwitz sans déportés vivants pour les faire "exister", risque assez rapidement de n’être plus qu’un lieu de mémoire banalisé, à moins que l’on découvre un moyen d’en prouver l’horreur.Mais les hommes ne sont-ils pas suffisamment inhumains pour que les preuves d’une pareille et innommable conduite aient une quelconque utilité ?
Pourquoi certains d’entre nous se sentent-ils obligés par une force interne et indéfinissable à se rendre sur les lieux de l’extermination de tant de juifs européens ?
Il n’y a pas de raisons évidentes. C’est pour ne pas oublier ce que nous avons, à plusieurs, éprouvé au cours de cette visite épuisante pour les anciens - mais nous pensions sans arrêt à ceux qui l’avaient vécue dans des conditions autrement éprouvantes- que ces lignes ont été écrites.
UNE JOURNEE ET UNE ETERNITE A AUSCHWITZ
Jean Belaisch
Les récits d’une journée passée à Auschwitz ont été innombrables et de dire ou écrire quelque chose de significatif et nouveau à ce sujet paraît impossible : l’intense émotion, l’accablement, le désespoir l’impuissance ont frappé tous ceux qui sont passés sous son portail avec sa vraie fausse devise désormais fallacieuse à deux titres.
Pourtant, ces émotions sont plus lourdes pour chacun de ceux qui ont fait ce voyage, parce qu’il a vécu ces minutes, que celles qu’il a éprouvées à la lecture de différents livres ou revues ( en dehors des livres inoubliables de Primo Levi, George Semprun ou David Rousset).
Nous avons donc été conduits de l’aéroport de Cracovie à Auschwitz, et comme toujours, durant le trajet, notre guide nous a parlé de la Pologne d’aujourd’hui pour nous donner des informations que nous aurions pu trouver sur Google si elles nous avaient intéressés.
Et nous avons ensuite entendu la voix de 14 ans (âge auquel elle a été emmenée par trois gendarmes) de Ida Grinspan.
Elle nous a fait revivre le trajet en wagon fermé vers le camp. Elle nous a raconté que les voisins de la maison où elle vivait cachée sont venus lors de son arrestation lui donner des denrées alimentaires rarissimes à l’époque pour qu’elle puisse supporter les peines des jours à venir qu’ils prévoyaient très dures. Et qu’elle les avait conservées avec l’intention de les donner à sa mère raflée un an et demi avant elle et qu’elle espérait naïvement retrouver en Allemagne.
Elle n’avait pas voulu en manger la moindre miette pour que sa mère puisse profiter de tout…. Et à l’arrivée à Auschwitz elle avait été désespérée parce que l’ordre avait été donné de tout laisser dans le wagon… et qu’elle ne pourrait pas faire ce plaisir à sa mère. Elle s’était privée pour rien ! Elle nous avait raconté d’une voix sereine mais dramatiquement vraie tout ce que tout le monde sait sur les conditions du voyage, la vie et les morts au cours de ces 2 jours tout en imaginant ce que les juifs grecs avaient dû supporter comme effroyables souffrances alors que leur voyage s’était prolongé pendant 4 jours.
Nous sommes arrivés au camp, les baraques alignées, les châlits, les centaines de paires de lunettes, les milliers de chaussures d’été et d’hiver, d’enfants et d’adultes, achetées dans la joie et abandonnées dans l’horreur, les vitrines de cheveux blancs, les commentaires ni froids, ni émus -c’était le ton qui nous paraissait le mieux adapté- qui tombaient comme des pierres dans nos oreilles.
Et je réalisais à quel point sans le récit de Ida G, la visite d’Auschwitz aurait perdu tout poids, n’aurait presque plus eu de signification. Ces baraquements vides, alignés, même ces salles de douches, ces sombres couloirs ou pièces où le ZYKLON B était déversé, ne semblaient plus capables de dire quoique ce soit, ne semblaient plus capables d’inspirer cette émotion qui nous étreignait tous.
L’infernale visite des lieux (où les déportés qui n’avaient pas respecté les règles de vie dans le camp étaient jugés) et les réduits dans lesquels étaient réunis 5 à 6 personnes condamnées à mourir de faim, debout, sans autre raison que de diversifier les façons de tuer et de faire souffrir des humains, serraient tout de même les cœurs des visiteurs qui ne comprenaient pas les raisons de pareils comportements !
Pour ma part, j’ai été remué par ce qui pourrait paraître un petit « détail » dans ces lieux. Les déportés des deux sexes, tout le monde l’a lu, étaient rasés : la tête, les aisselles, le pubis, mais quand la guide précisait qu’à la fin de la séance, les crânes étaient griffés de partout et le visage ruisselant de sang, on ressentait la douleur que ces rasoirs aux dents de scie ébréchés pouvaient provoquer sur ces êtres humains que l’on allait passer à la vraie douche, pour les utiliser comme main d’œuvre parce qu’ils avaient eu eux, la chance d’être sélectionnés pour vivre.
Mais sans la présence d’anciens déportés vivants, qui nous le prouvaient, quelqu’un pouvait-il accepter de croire que des humains avaient pu utiliser ces bâtiments blancs, propres, banaux, pour en faire des lieux où exercer imperturbablement leur macabre et inimaginable méchanceté.
Arrive la fin de la visite, on voit au loin se dessiner des bâtiments en ruine. On nous dit que là étaient les fours crématoires que les allemands avaient fait sauter, en toute hâte, avant leur départ car les troupes alliées arrivaient.
Et ces ruines montrent, sans laisser le moindre doute, que les nazis savaient qu’ils commettaient a Auschwitz des « horreurs inhumaines » et qu’ils faisaient de leur mieux pour ne pas avoir à les payer.Les Faurisson, les Chomski, les Goldnich que Raymond Barre, notre ex premier ministre s’obstinait avant sa mort à appeler « un homme bien », sont heureusement là aussi pour le prouver. Par leurs dénégations, ils nous montrent qu’ils acceptent, au moins, de reconnaître que si les allemands avaient commis ce dont le monde entier les accuse, ils eussent été des véritables et effrayants criminels ! Et les nazis en détruisant les chambres à gaz montrent eux aussi qu’ils le savaient et qu’ils voulaient donc effacer toutes ces traces dangereuses autant que déshonorantes.
Et si les négationnistes n’existaient pas, on pourrait imaginer que les nazis n’étaient pas conscients des horreurs qu’ils commettaient vis à vis de l’humanité.
Curieusement, ces restes métalliques de fours crématoires ne sont pas exposés, n’ont pas été remontés en plein jour. Peut-être l’ont-ils été et recachés? Peut être ne veut-on pas les montrer ? Peut-être avec raison !
En tous cas, je pense –et j’espère me tromper- que Auschwitz sans déportés vivants pour les faire "exister", risque assez rapidement de n’être plus qu’un lieu de mémoire banalisé, à moins que l’on découvre un moyen d’en prouver l’horreur.Mais les hommes ne sont-ils pas suffisamment inhumains pour que les preuves d’une pareille et innommable conduite aient une quelconque utilité ?
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