Jean Belaisch
L'amour des parents
Les Arborescences de l'amour
Tout est amour et le reste est malentendu
J’en ai été très affecté me demandant si je l’avais trompé ou si au contraire je lui avais permis de mourir dans la paix. Et j’ai pensé que les humains avaient un besoin immense d’être rassurés qui n’avait peut-être pas été analysé assez en profondeur, du moins d'après mes connaissances. Cela m’a poussé à ces réflexions sur la nature sociale de l’animal humain et sur les différentes formes d’attachement et d’amour y compris pour Dieu, qui le font vivre et survivre en partie parce qu'elles l'aident à se rassurer.
Les grands philosophes des siècles passés ont tous, quoique plus ou moins assidûment, étudié la nature de l’attachement entre êtres humains. La profondeur de leurs réflexions est attestée par la survie de leurs écrits qui sont encore et toujours étudiés et très régulièrement cités. Cependant les connaissances scientifiques en matière de biologie et de comportements des animaux ont beaucoup progressé et ont jeté sur la nature des sentiments et des comportements humains un éclairage qui n'avait jamais existé auparavant.
L'amour des parents
Cette reconnaissance est donc personnalisée. Et parmi toutes les personnes vivant autour de lui, il sera polarisé vers ses parents ou la personne qui en aura tenu lieu et il en concevra en partie de façon inconsciente un sentiment fort qui va durer très longtemps, généralement toute une vie : une reconnaissance pour la quiétude qu’ils lui ont apportée pendant les jours où il n’avait aucun moyen personnel de se défendre. En échange de leur attention, il leur offrira dès ses premières semaines un des plus extraordinaires présents que la nature ait mis au point : son sourire innocent. Et on ne peut douter qu’il prenne vite conscience de l’efficacité de ses mimiques puisqu’il continuera à en user avec toutes les personnes qui lui sont chères ou utiles.
La mort, l'âme immortelle et l'amour de Dieu
La solution n'a sans doute pas été facile à trouver mais les hommes –quasiment de toutes les civilisations - en ont, après des centaines de milliers d’années de recherche, trouvé une sans nier qu'elle reste néanmoins hypothétique : il suffirait qu’après la mort, une forme de vie se poursuive. Comme le corps est désormais manifestement voué à la destruction, ce qui survit est l’âme, d’une nature tout autre que corporelle, détentrice de 2 qualités essentielles, elle est impérissable et immortelle. Cette vie des âmes est régie par un être éternel pour qui la mort n'a aucun sens. Cet être suprême, se situe presque par définition en un lieu inatteignable, l'endroit le plus vraisemblable étant le ciel ou tout l'univers. Dieu est donc par définition celui que fait revivre les morts comme cela est écrit dans la prière majeure des juifs (l'amida). A priori Il éprouve un amour sans borne pour l'humanité. Comme sa fonction est de rassurer les hommes il se doit qu'à son tour, il soit l’objet d’un amour inaltérable de leur part.
Les prêtres
La présence de prêtres dans toutes les religions contribue à l'ambivalence des explications. Puisque Dieu est invisible, impalpable, qu'il ne leur parle pas -ou plus-, il est apparu utile pour que les hommes puissent affermir leur croyance en cet être suprême, qu'il ait des intermédiaires sur terre, des points d'ancrage présents qui transmettent ses volontés. Les hommes pourront rencontrer ces intercesseurs qui contribueront à les apaiser en leur enseignant ce que les vivants doivent faire pour avoir leur chance de survivre dans une paix éternelle, après la fin de leur vie terrestre. Et s’ils se comportent vis-à-vis de l'Eternel, comme ils l’ont fait envers leurs parents, ils auront des chances d’être élus pour cette forme de vie post mortem.
Cependant, même si Dieu a été imaginé par les humains pour les rassurer, certains d’entre ceux-ci n’ont pas manqué de chercher à utiliser cette puissance suprême et ineffable pour guider les humains dans leur parcours accidenté sur la terre et canaliser, autant que faire se peut leurs instincts trop souvent ontologiquement égoïstes et guerriers. L'objectif d'apaiser les craintes des hommes n’est donc pas seul en action dans cette relation transcendante ! Et il ne serait pas impossible qu' ils aient, par la suite, voulu profiter de ces craintes pour assoir un pouvoir personnel.
Il n'est évidemment pas question ici de reprendre la question de l'existence de Dieu
mais de discuter des attitudes humaines.
L'amour filial et l'amour pour Dieu le père sont certes très ressemblants comme les prières dans toutes les religions le démontrent depuis des siècles. Cependant, cette explication rencontre bien des obstacles.
Est-il possible d'admettre que Dieu soit une pure production de l'imagination de l'homme alors que des milliards d'humains croient en lui. La résistance de leur foi à tant de malheurs affreux et de catastrophes naturelles qui engloutissent des centaines ou des milliers d'humains à la fois n'est-elle pas une preuve de son existence ? Comment en particulier des juifs qui ont survécu aux camps de destruction continuent-ils à trouver des raisons de croire en ce pouvoir supérieur à tout autre qui a laissé faire des crimes aussi insensés…? Les textes des prières tant ceux des Juifs que ceux des Chrétiens ou des Musulmans, ne peuvent manquer de frapper par la proximité qu'ils révèlent entre l'homme croyant et Dieu et par la confiance absolue en son omniprésence dont ils témoignent, alors que, par exemple pour les juifs, il a cessé de leur parler depuis au moins 2500 ans. Dieu accompagne à tout instant d'innombrables humains dans leurs pensées et leurs actes, y compris ceux qui paraissent être de bien peu d'importance. Il faut donc qu'un lien d'une nature mystérieuse relie la divinité à l'humanité pour qu'une si grande proportion de ses membres soit persuadée de sa puissance et de son règne au point de lui consacrer une part majeure de leur vie.
Si on continue à s'interroger sur les raisons pour lesquelles la foi dans les dogmes religieux est si forte chez tant d'hommes de tous les niveaux d'intelligence et de culture, (en dehors des cas où ils ont un intérêt direct comme les dignitaires de toutes les églises, à croire dans l'existence de l'Eternel) on est conduit à se poser de nombreuses questions :
- Serait-ce parce Dieu qui l'a créé a mis dans le programme génétique de l'homme une aptitude à croire en lui?
- Est-ce parce que les circonstances de leur vie ont fait qu’ils ont été impressionnés par l’idée de la mort plus que la majorité des humains
- Est-ce simplement parce qu’une certitude qui a mis tant de temps à s’installer dans le cerveau des hommes ne peut s’en détacher si vite?
"Grâce au ciel" et pour d'autres raisons qui existent certainement, ces humains bénéficient donc de défenses qui les aident à vivre, et c'est sans doute pourquoi les découvertes "scientifiques" qui ont battu en brèche certaines des affirmations des textes bibliques fondamentaux n'ont pas de prise sur eux.
Dans la pratique et depuis des temps immémoriaux la demeure de l'homme c'est l'horizon, Aussi l'homme franchit-il sans cesse cette ligne qui sépare la terre et le ciel parce qu'il ne se sent tout à fait bien ni sur l'un ni dans l'autre, tentant tous les jours ou presque d'envoyer des prières vers le haut et inéluctablement ramené sur la terre par la gravitation dont il a découvert les lois, et par ses appétits digestifs et sexuels auxquels il est contraint d'obéir s'il veut vivre !
Pour sortir de cette aporie, on peut, comme l'a fait Spinoza assimiler Dieu à la nature: Deus sive natura, ou alors adopter l'attitude de grands savants qui ont choisi d’établir une franche distinction entre les observations de la science moderne et la relation qu’ils ont avec Dieu. Ils insistent sur notre ignorance de ce que devient l’âme - en laquelle les chercheurs des neurosciences ne croient pas- après la mort. Et placent ces deux modes de pensée sur des plans différents. Et ainsi ce qui rationnellement semble impossible devient émotionnellement intelligible : il me devint clair qu'il y a une différence entre la science qui ne traite que des interrelations entre les phénomènes et la religion qui révèle l'essence des choses et leur objet ( Herman Branover cité par Gilles Kepel***). On peut même simplement se dire comme le prix Nobel Niels Bohr que l'opposé d'une vérité profonde n'est pas une erreur elle peut être une autre profonde vérité !
Tout est dit dans cette phrase qui suffit à montrer qu’il est de la plus grande banalité de faire découler l'un de l'autre les deux amours. Cependant la recherche des raisons de la résistance par tant d'hommes et de femmes universitaires aux apports de la science, mérite cet essai d’approfondissement.
L'amour entre adultes et ses liens avec la spiritualité.
L'histoire de l'homme montre qu'il a suivi une ascension régulière vers l'abstraction. Il n’a donc cessé d'étayer métaphoriquement ce qu’on a pu appeler « l’hypothèse déiste » par des textes d'une haute élévation spirituelle qui maintiennent l'ambigüité. Parmi ceux-ci l’un des plus connus est le Cantique des Cantiques. Et il serait difficile de trouver une illustration plus poétique, plus profonde et plus probante des analogies et du tissage étroit entre l'amour pour Dieu et l'amour pour l'être aimé que ce magnifique texte sacré qui flirte sans cesse avec le plus délicat érotisme. Ce poème "éternel" nous montre que les innombrables facettes de l'amour sont si voisines les unes des autres qu'il est quasiment impossibles de les dissocier. A fortiori toute tentative de représentation d'un tableau global visant à éclairer toutes les nuances de l'amour est vouée à l'échec. En outre, les cheminements de l'esprit humain divergent en d'innombrables directions lorsqu'un sujet est captivé par une personne du sexe opposé. Cependant, on doit bien aussi reconnaitre qu'un substratum biologique a les plus grandes chances de se trouver caché quelque part dans cette attraction mutuelle ou non réciproque.
La fonction de cette forme d'amour est si importante que la nature a mis en œuvre pour que naisse ce troisième homme un ensemble de systèmes dont l'inimaginable complexité et la cohérence surprennent tous ceux qui l'étudient.
Avant de se pencher sur l'amour classique entre un homme et une femme, il est donc indispensable de dire quelques mots sur l’amour reproductif pour montrer que ce soubassement ne peut -ou ne devrait ?- jamais être négligé quand on veut décrire les caractéristiques de l’amour entre humains.
L’amour reproductif est la résultante de deux forces dont le poids varie selon les couples :
- celle de la vie, évidente mais dont personne n’est tout à fait conscient ; le vivant ne peut en effet, mériter ce qualificatif que s’il est capable de survivre- or la reproduction est la seule qui le lui permette.
- et celle qu'il apporte aux deux membres du couple. Chacun des deux se sent rassuré dans son estime de lui-même puisqu'un autre lui envoie un double message : il lui dit: tu es digne d'être aimé (e) et en même temps lui annonce qu’il donne son accord pour la création d’un ou plusieurs enfants avec elle ou lui -enfants qui prolongeront son passage spécifique sur la terre.
Et nous allons donc tenter de prouver que les bases biologiques de l'amour-sentiment sont d'une indéniable puissance.
Un enfant ne peut naître que si un spermatozoïde a pénétré un ovule. Or cette rencontre et cette fusion mettent en oeuvre pour avoir lieu, une telle cascade de phénomènes qu'il faudrait un livre entier (qui a d'ailleurs été écrit plusieurs fois) pour entrer dans tous ses détails.
Que l'on pense simplement d'abord au cycle menstruel féminin tout entier dévolu à la reproduction et qui implique non seulement l’utérus et ses trompes, les ovaires qui expulsent un ovule par mois, mais aussi le système nerveux, l'hypophyse et de nombreuses cellules du tissu graisseux qui sécrètent une pléthore d'hormones jusque là inconnues et qui, en fait, jouent ici un rôle immense. Et, dans le deuxième sexe, au phénomène plus simple seulement en apparence, et continu de la sécrétion de la testostérone chez l'homme et à la libération quotidienne de myriades de spermatozoïdes.
Pour montrer la minutie de cette organisation, jetons un coup de projecteur sur un rapprochement très intime: la pénétration du spermatozoïde dans l'ovule.
Pour que cette cellule mobile traverse la membrane qui entoure et protège l’ovule, il est indispensable que pas moins de 3 systèmes de molécules complexes et complémentaires soient fabriquées à la fois par le spermatozoïde et l'ovule et libérées à un moment précis au fur et à mesure de l'avancée du spermatozoïde, assurant ainsi la spécificité de chaque espèce!
D'un autre côté, toute cette industrie ne servirait de rien si l'homme et la femme ne se rapprochaient pas. Et la nature a donc prévu un second système, infiniment plus compliqué, pour qu'une attirance naisse implacablement entre ces deux sexes. Un système qui comporte une part hormonale –les hormones sexuelles****- et une autre qui se déroule dans le cerveau où se fabriquent et voyagent à toute vitesse des molécules chimiques - les neurotransmetteurs- essentielles au jaillissement des sensations de plaisir et aux mécanismes de récompense. Ce sont les sérotonine, endorphines, dopamine, ocytocine etc. qui sont libérées sous forme de pics tandis qu'à d’autres périodes ce seront des molécules d’action inverse qui seront relarguées. Chacun aura reconnu ici la « versatilité » des sentiments éprouvés en quelques secondes par tous les amoureux.
De plus, la dualité des sexes a également une conséquence liée à leur complémentarité : le désir de pénétration dans les deux sens du mot "pénétrer et être pénétrée" qui se complète par un sentiment de fusion et s'accompagne de ce plaisir tellement particulier imaginé par la nature –ou que la nature a sélectionné tellement il était « bon » pour parler comme la bible- pour pousser à la répétition du geste. Le tout se passant aussi bien dans le cerveau et la
moelle qu’au niveau génital. Cette fusion procure en outre, une sensation d’éternité, source probable du doublet Amour-Toujours !
L'amour "ordinaire de tous les jours " et la petite enfance
Un retour s'impose ici sur la petite enfance. Immenses sont les conséquences des conditions dans lesquelles ont été vécues les premiers mois de la vie de l'enfant (et bien entendu, quoique probablement à un moindre degré, des années suivantes) sur les formes d'attachement, d'affection et d'amour qu'il éprouvera et manifestera au cours de son existence.
Une preuve impressionnante et démonstrative de ces conséquences est apportée par le cas, au moins en France comme en Espagne, des enfants roumains abandonnés et adoptés tardivement -mais les effets sont les mêmes pour tous les enfants du monde qui ont vécu le même calvaire.
Ces enfants orphelins ou abandonnés sont laissés trop souvent dans leur pays pendant des années dans un état de solitude affective effroyable. Et trop souvent encore ils ne sont adoptés qu’après l’âge de 5 ans. Ils ne peuvent se faire, pendant la période où ces notions s’impriment normalement dans le cerveau, aucune idée de ce qu’est une relation affective chaleureuse et sincère. Et encore moins de l’amour entre adultes et enfants. Aussi, surtout lorsqu’ils parviennent à l’adolescence et parfois bien avant, quelque soit le comportement et les efforts de leurs parents adoptifs, ils se révèlent incapables de répondre par un comportement d’affection réciproque et ne disposent d'aucun moyen de contrôler leurs pulsions agressives. Ils vont parfois très loin dans leurs comportements délictueux créant des situations ingérables pour leurs parents. Et une enquête espagnole récente a abouti à la conclusion que les futurs parents avaient été insuffisamment informés des difficultés de leur entreprise.
Ces observations ainsi que les impressionnantes études de Konrad Lorenz et de Harlow peuvent aider à mieux comprendre les fondements de l'amour terrestre, ordinaire, sur lequel nous allons ajouter quelques réflexions dans le cadre de cet examen panoramique des différentes sortes d'attachements humains. On a observé au cours de ces dernières années qu'ils sont bien plus proches qu’on ne le pensait de ceux que manifestent plusieurs espèces animales, ce qui est bien normal, la fonction reproductive de cette attraction étant naturellement analogue dans les espèces vivantes sexuées.
Etre rassuré et être aimé
En quoi ce sentiment aux formes si diverses dépend-il du besoin d'être réassuré ? Et comment ce besoin s'associe-t-il aux exigences de l'amour reproductif ?
Les architectes insistent sur le fait que l'endroit où un humain se sent le mieux est un coin. Il est protégé par les 2 murs qu'il a derrière lui et il voit à travers des ouvertures ou des fenêtres placées devant lui, l'espace d’où pourrait venir l'adversaire. Il est donc, autant que faire se peut, rassuré. Ce que la rencontre amoureuse apporte, entre autres évidemment, c'est le sentiment que l'autre vous a compris et vous apprécie, qu'il partage vos goûts, a des affinités analogues et par conséquent qu’il ne vous froissera pas. Donc d'une façon ou d'une autre qu’il se comportera comme vos parents ou les personnes qui vous ont fait du bien durant la période où vous étiez fragile et dépendant. Et l'on comprend alors les dégâts apparemment excessifs que peuvent causer une phrase ou un geste de l'être aimé qui ne correspond pas à la haute idée que se faisait de lui son amoureux! Descartes avait perçu le rôle de l'empreinte quand il disait qu'il avait une prédilection pour les femmes atteintes d'un léger strabisme en raison de ce qu'une des personnes qui s'était occupée de lui avec beaucoup d'affection dans son enfance présentait ce petit défaut.
Nous poursuivrons donc périlleuse cette tentative sans méconnaitre la justesse de toutes les critiques qui ne peuvent manquer d’être déversées sur un tel essai. Il n'est pas imaginable en effet que quelqu'un puisse prétendre être capable de tirer la substantifique moelle de tous les dialogues, confessions, chansons, livres, films qui en ont fait leur thème principal, quelque soit l’expérience que il a pu acquérir au contact de centaines d'êtres humains. Il n'est pas pensable non plus que l'on puisse être à même de démonter les mécanismes de toutes ces formes d'attachement !
Cependant, cet amour aux formes si variées entre dans la cohorte de l'ensemble des sentiments et des pulsions éprouvés par les humains et il ne paraît pas « illogique » au médecin que je suis de rapporter ici quelques données concernant le but majeur de la rencontre que l'amour entre humains rend possible, c'est à dire à la "production" d'un troisième être. Rencontre essentielle car indispensable à la prolongation de l'existence de cette espèce sur la terre.
- C'est le besoin d'être proche physiquement et mentalement de la personne aimée et ce sont, lorsque l'autre n'est pas en phase, les insupportables hauts et bas de l'humeur qui ont fait dire à un humoriste qu'il était dans le tambour d'une machine à laver tournant à une vitesse variable! En fin de compte combien nombreux sont ceux qui ne savent pas s'ils doivent bénir ou maudire le jour de leur rencontre fatidique et qui répondent différemment selon les jours.
- l'amour en effet, c’est aussi la jalousie inépuisable et taraudante, et, lorsque la rupture est consommée, les comportements délirants ou lamentables que les sujets sensés n’imagineraient pas d'adopter tant qu’ils vivent une existence «normale» jusqu'au jour où eux aussi sont emportés par la même vague du doute qui ronge et qui détruit !
- Enfin ce peut être l'amour éthéré, en apparence purement intellectuel, où tout semble se dérouler sur le plan des émotions et des sentiments sans la moindre intervention dans le domaine de la génitalité. En réalité et rares sont ceux qui l’admettent, quelle que soit la nature des sentiments éprouvés consciemment par les deux amoureux, il faut bien désormais admettre que l’attraction physique, physiologique, sensuelle, organisée depuis des millions d'années par la nature n'est jamais très loin, tant ses bases sont puissantes et solides et tant elle fait partie intégrante des mécanismes grâce auxquels la vie des mammifères s'est pérennisée depuis leur apparition sur cette terre, même si le fantastique cerveau humain a su les transmuter par son alchimie élucubratrice.
Pourquoi l'éternité s'insinue-t-elle si souvent aux côtés de l'amour?
Toutes ces formes d’amour exigent, semble-t-il, d'être liées à une forme de pérennité et même d'éternité.
Certes ce fantastique back-ground de la sexualité qui remonte à la nuit des temps peut être qualifié d’éternel. D’autre part quel serait le sens et le pouvoir d'un amour qui ne s'annoncerait pas comme éternel ? Alors que les buts que la biologie lui assigne exigent que non seulement il conduise à un rapprochement fécondant mais aussi que les deux membres du couple élèvent les enfants qui naîtront de leur union jusqu'à leur autonomie. Est-ce cependant la seule raison pour laquelle l’amour se déclare comme éternel ? Cet amour dont tant d’histoires viennent prouver qu’il peut être très bref, pourquoi a-t-il, à un moment ou à un autre, eu l’audace de se déclarer « pour toujours » ? On l'a vu les hommes courent après l'immortalité !
L'explication de la mansuétude dont les juges témoignent envers les crimes passionnels depuis des temps immémoriaux est peut-être à rechercher dans cette idée d’éternité ? Ces crimes ne sont-ils pas la conséquence de l’obligation perçue par les abandonnés, d’empêcher la personne qui leur a juré l’entente éternelle, d’avoir une chance de faire la même promesse à un autre homme ou une autre femme.
Mais surtout ne signifie-t-il pas qu’il s'apparente à l'amour pour les parents ou pour Dieu ?
L'amour platonique qui se présente comme débarrassé des scories biologiques et s'affirme purement "cérébral" et d'essence spirituelle prétend davantage encore être éternel.
Comment l'expliquer? Peut-on recourir à la théorie mille fois entendue qui fait jouer un rôle au développement spécifique du lobe frontal du cerveau des humains qui les pousse vers l'abstraction, les arts, le ciel et à se dégager des pesanteurs terrestres ? Cette explication est très probablement vraie parfois mais elle est bien optimiste. Il est loin d'être exclu que la peur ne joue le plus grand rôle dans cet arrêt sur le parcours du couple. Peur de ne pas pouvoir supporter l’idée que l'autre puisse un jour, comme cela est arrivé si souvent, vous décevoir, vous tromper ou vous abandonner. Et plus souvent peut-être chez les sujets plus fragiles en ce qui concerne le fonctionnement de leur système sympathique ou hormonal, la crainte (masculine surtout mais non exclusivement ) de décevoir les attentes de l'autre sur le plan banal des performances sexuelles. Et parfois d'un moindre désir féminin résultant précisément d'un déficit hormonal qui aplatît le désir physique[4].
La fin de l'amour
Quand deux personnes s'aiment ça ne peut jamais bien finir *****
Une autre question autrement plus complexe est celle de la disparition de l'amour, subite et inattendue pour la personne qui n'est plus aimée et parfois aussi pour celle qui s’aperçoit qu’elle n'aime plus. Est-ce la déception provoquée par une prise de conscience brutale de différences de caractère ou de conceptions passées inaperçues auparavant? Est-ce parce que l'un des deux a pris conscience des limites du bonheur que le past-aimé pourrait lui apporter ou au contraire de ce que l'autre a mis la barre trop haut? Peut-être aussi celui qui s'échappe a-t-il eu le sentiment d'étouffer dans l'enclos où son amoureux l'avait cloîtré sans s'en rendre toujours compte?
Chacune de ces explications peut être la bonne. Et, question qui en découle, pourquoi les chagrins d'amour sont-ils parfois si graves? Pourquoi poussent-ils si souvent au suicide? A un suicide parfois complètement imprévisible pour l'entourage qui voit avec stupeur le meilleur des deux amants, sujet généralement de grande qualité humaine, se supprimer parce que son "conjoint" depuis quelques mois, souvent humainement peu intéressant, l'a quitté. On le comprend si c'est la deuxième ou troisième fois qu'il ou elle a été abandonné. Mais ce n'est habituellement pas le cas, et pourtant il pense : "C'est une preuve de plus de ma piètre valeur pour les autres. Pourquoi alors exister ?" Et il faut sans doute aussi remonter à la première enfance pour retrouver des facteurs fragilisants bien enfouis et parfois liés à une attitude parentale ambigüe.
Nous n'entrerons pas ici dans la question des couples qui se défont après la naissance d'un enfant que la mère ou moins souvent le père ont investi à ce point que l'autre se sent intolérablement abandonné. L'explication est alors trop simple pour être mise en doute quoiqu'à l'évidence elle soulève aussi une cascade de questions.
La preuve par l'âge : une décision apparemment étonnante
Les viols qui n'ont rien à voir avec l’amour, qui sont une des formes de crimes les plus odieux méritant les peines les plus lourdes, posent des questions qu’il n’est pas possible d’envisager ici dans leur complexité. Ils relèvent cependant eux aussi de la tendance irrépressible des vivants, à utiliser leur appareil reproducteur parce que comme l’écrivent les savants : la logique du vivant c’est de se reproduire ! Et que la machinerie de leur appareil neuro-reproductif, normalement bridée par un système inhibiteur qui est hélas chez les violeurs insuffisamment efficace, est toute entière orientée vers la copulation. Les histoires effroyables qui ont défrayé la chronique récemment sont peut-être à mettre en parallèle avec la suppression de petites filles dès que l'échographie a permis de connaitre le sexe de l'enfant à venir, c'est à dire avec une raréfaction des partenaires sexuelles.
L’amour homosexuel
Il reste une forme d'amour qui a résisté aux siècles et qui se dresse imperturbable, contre les exigences de la biologie. L’amour homosexuel prouve que l’amour est doté de plusieurs facettes et mécanismes et qu'il obéit à plusieurs lois, celle de la reproduction étant très ambivalente comme le prouvent les demandes de droit à la paternité-maternité si souvent faites aujourd'hui par des couples d’homosexuels. Il relève probablement aussi de certaines des explications précédentes et du besoin d’être rassuré. C'est un autre monde qui exige d'être exploré et qui dépasse de loin nos compétences.
L'humain est soumis à des forces qui s'exercent sur lui comme sur tout le règne animal et qui ont pour effet de favoriser la pérennité de son espèce. L'immense place occupée par son appareil reproducteur dans son activité psychique et la précision de ses mécanismes de fonctionnement en témoignent clairement.
Au cours des premiers mois et premières années de sa vie, son environnement, par la qualité des échanges de toute nature qu'il aura avec lui, lui fera éprouver des émotions qui structureront sa personnalité. Il sera ainsi conditionné de façon probablement définitive dans la manière dont il interprétera les comportements des autres vis à vis de lui et dans ses réponses à ces personnes et à diverses situations plus ou moins angoissantes.
Ainsi se tissera progressivement un fil d'Ariane fait d'apports des générations précédentes et de son vécu propre qui le guidera plus ou moins consciemment et orientera son avenir. Même ses certitudes sur son état de santé, sa manière de croire dans les médecins ou les médicaments qu’ils lui prescrivent seront commandées par ses premiers attachements.
Cet essai d'analyse des mécanismes qui jouent dans le besoin de sécurité et les interactions avec les autres humains et avec Dieu, n’a d’autre prétention que de rappeler ou de faire connaître le rôle capital des ineffaçables bases biologiques de ce sentiment aux formes innombrables qu'est l' "amour" (on pourrait dire mais moins bien "les amours " ), car cette force s'exerce sur tout individu, quelque soit l'opinion qu'il en a lui-même.
Pourquoi avoir voulu développer ces hypothèses comme si elles étaient presque des certitudes? A la fois dans l'intention de rassembler les faits et les idées qui les sous-tendent et pour connaître les réactions de celui ou celle qui liront ces lignes. Au bout du compte ces notions, classiques pour nombre d'entre elles depuis Freud, magnifiquement analysées par Boris Cyrulnik, renforcées par l'étude des comportements animaux et par des observations de pure biologie, ont des chances d'influencer au moins quelques personnes. Nous espérons qu'elles pourront inciter celles-ci à offrir à leurs contemporains des moyens de se rassurer sur leur propre valeur, contribuant ainsi à élever l'étiage du bonheur sur la terre. Le psychanalyste Jose Luis Goyena a insisté sur la façon optimale de conclure les séances parfois si éprouvantes. Le médecin qui a vu l'intensité des réactions émues de ses malades à la simple affirmation qu'il les considère comme des humains de qualité, ne peut que tenir à la diffusion de cette si solide vérité !
* Lorenz Konrad
*** de Kervasdoué A. & Belaisch J. Pourquoi les femmes souffrent-elles davantage et vivent-elles plus longtemps. Odile Jacob 20 Paris
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